Le Père Robert Sirico, adepte du libéralisme, critique Fratelli tutti
Le prêtre américain Robert Sirico, fervent adepte du libéralisme économique, n’apprécie guère que le pape François critique «une économie qui tue» pour prôner à sa place «une économie qui fait vivre». Il critique sa récente encyclique Fratelli tutti et se demande si le Vatican comprend quelque chose à la finance et à l’économie.
Jacques Berset, cath.ch, avec I.Media
Le co-fondateur de l’Institut Acton (Acton Institute for the Study of Religion and Liberty), un think tank catholique et libéral qui a pour but de «réconcilier l’Eglise catholique avec l’économie de marché», prend clairement une position critique concernant l’encyclique Fratelli tutti (»Tous frères»), publiée le 4 octobre 2020, jour de la fête de saint François d’Assise.
Une «incompréhension de l’économie» de la part du Vatican?
Ce pourfendeur du socialisme et de la théologie de la libération affirme que «durant tout ce pontificat, il semble y avoir eu un nuage sur le monde économique et financier!»
Dans Fratelli tutti, le pape François décrit un «stéréotype» de l’économie de marché, déplore le Père Robert Sirico, de l’Institut Acton «pour l’étude de la religion et de la liberté», basé à Grand Rapids, dans le Michigan. Sa mission déclarée est de «promouvoir une société libre et vertueuse caractérisée par la liberté individuelle et soutenue par des principes religieux».
Le prêtre américain déplore une «incompréhension de l’économie» de la part du Vatican et invite ses responsables et le pape François à un «dialogue honnête» sur les questions économiques.
Interrogé par Claire Guigou, de l’agence I.Media, à Rome, sur sa première réaction à la lecture de la dernière encyclique du pape, Sirico s’attendait «à quelque chose de neuf, mais il y n’y a pas vraiment d’éléments nouveaux. D’une certaine manière, il s’agit plus d’une compilation d’autres discours».
Une pensée «frustrante»
«Sur le plan économique, qui est mon champ de travail, le pape continue sur sa ligne de pensée qui est frustrante, car il condamne certaines choses, notamment le fait que le marché ne peut subvenir à tous les besoins de l’homme. En réalité, je ne connais personne qui pense ainsi. Personnellement, je n’applique pas cette pensée».
Sirico déplore que le pape François «déploie de l’énergie à condamner cette notion qu’il appelle ‘néolibéralisme’, mais je me demande quels think tanks ou écoles appliquent cette règle. La question sur laquelle on doit se mettre d’accord est celle de savoir comment on nourrit les pauvres. Voici ce qui est entre les mains du pape. Il est vrai que le marché doit être régulé par la loi et doit être orienté vers le bien commun et inscrit dans une morale, mais il s’agit toujours du marché…»
L’adepte du libéralisme économique se sent exclu par le Vatican
Le prêtre américain assure très bien connaître le monde de l’économie et les nombreuses personnes qui font la promotion du libre marché. «Cependant, je ne connais personne qui remplit les caractéristiques dont le pape parle dans Fratelli tutti. Bien sûr que la vie humaine ne se limite pas aux biens matériels… De plus, le pape invite à un dialogue, à un débat à propos de ces sujets, mais je ne suis pas certain qu’il va en débattre en réalité. Pour le moment, à Rome, lorsqu’il y a des conférences, le Vatican exclut les personnes qui représentent mon point de vue. Il est donc difficile de percevoir l’authenticité de cette invitation au dialogue».
La propriété privée, un «droit naturel secondaire»?
Le droit à la propriété privée ne peut être considéré que comme un «droit naturel secondaire dérivé du principe de la destination universelle des biens» et n’est pas absolu, explique le pape. Le Père Sirico estime que le mot «secondaire» est nouveau. Ensuite, l’idée que la propriété n’est pas absolue fait partie de l’enseignement de l’Eglise et est tout à fait correcte, admet Robert Sirico. Le fait qu’elle soit soumise à la destination universelle des biens fait aussi partie de la Tradition.
«La confusion réside, il me semble, dans le fait de ne pas voir le droit à la propriété privée comme normatif dans la société. Je trouve qu’il est difficile d’imaginer un système normatif autre que celui de l’économie de marché fondée sur la propriété privée. Ensuite, le pape ne relativise pas le droit à la propriété, il le qualifie, il dit qu’il n’est pas absolu. Mais, comme d’autres droits, il est sacré car l’homme est en relation avec un monde matériel. Ce n’est pas mon opinion mais l’opinion de Léon XIII dans l’encyclique Rerum Novarum«.
Feu sur la théorie du ruissellement
Le prêtre américain s’en prend à la charge du pape François contre la théorie du ruissellement, qui est la traduction de l’anglais trickle down economics, une théorie économique d’inspiration libérale qui affirme que les revenus des personnes les plus riches sont, en fin de compte, réinjectés dans l’économie au moyen de la consommation et de l’investissement, dont profite l’ensemble de la société.
«Cette théorie n’est citée qu’une fois et je ne suis pas certain que ceux qui ont contribué à la rédaction de ce point connaissent le travail d’Adam Smith [l’un des penseurs à l’origine de cette théorie du ruissellement, ndlr]. Ce dernier ne pensait pas que le marché régissait toutes les relations entre les hommes. Adam Smith était quelqu’un qui a critiqué la crise financière et qui est lui-même contre le mercantilisme. Je ne suis pas certain que nous puissions débattre sur ce point sachant que cette théorie n’est pas comprise au Vatican», martèle Sirico.
Pour diminuer la pauvreté, il faut produire de la richesse
«De plus, il y a des économistes du libre marché qui soutiennent cette théorie, et d’autres non. Enfin, qui a dit que le marché se suffisait à lui-même? Une fois de plus, à qui le pape fait-il référence? Même le plus extrême des libéraux ne pense pas cela. Ce serait un argument absurde de dire que tout l’être humain peut s’épanouir uniquement par le marché».
«Le problème est plutôt le suivant, poursuit-il: quel est le meilleur moyen de produire de la richesse? Si nous voulons diminuer la pauvreté, nous devons produire de la richesse. C’est une logique nécessaire. Vous voulez que les personnes soient moins pauvres ? Il faut leur donner de l’argent ou des ressources. Cela ne signifie pas que tous les besoins de ces personnes pauvres seront ‘remplis’: amour, solitude… C’est dresser un stéréotype de l’économie de marché que de penser ainsi!»
«L’Eglise catholique n’a pas de modèle économique mais une morale»
Pour le Père Sirico, l’Eglise catholique n’a pas de modèle économique mais une morale. «Sur ce sujet, il n’y a pas de dogme. C’est ce que Jean XXIII disait. Je serais intéressé par un dialogue honnête avec le Vatican et heureux que puisse être organisée une conférence avec les représentants du Vatican et des représentants du libre marché afin d’avoir une discussion devant le pape».
«Vous savez l’image historique qu’utilise le pape François dans l’encyclique, celle de saint François allant voir le sultan pour dialoguer, est intéressante. Pourquoi le pape François ne vient-il pas dialoguer avec le sultan [les libéraux, nldr]? Les représentants du Vatican évitent cela: les gens qui pensent autrement sont exclus….»
Le prêtre américain pense, dans un certain sens, que certains points de l’encyclique sont trop idéalistes. «En d’autres termes, le pape commence en partant du principe que les choses sont telles qu’il voudrait qu’elles soient. En réalité, si on ne comprend pas la technique pour percevoir la réalité économique, même avec toutes les bonnes intentions, c’est compliqué… Je pense que le problème est là: ils souhaitent aider les pauvres mais ils ont besoin de la technique afin que les pauvres deviennent moins pauvres. A ce titre, les papes ont toujours été entourés de voix très différentes». (cath.ch/imedia/cg/ag/be)