Clare Crockett: «Tout ou rien!»
Sourire ravageur, joie de vivre communicative, don pour le théâtre et la musique, avec pour devise «tout ou rien», Clare Crockett se rêvait comme une grande actrice. Aujourd’hui c’est sur internet et les réseaux sociaux que la jeune religieuse catholique irlandaise, décédée en 2016, a trouvé la célébrité. Bien avant les autorités ecclésiales, le web la proclame «santa subito» (sainte tout de suite!).
«Dans ma vie, cela a toujours été tout ou rien: devenir une actrice célèbre, ou rien. Noir ou blanc. On peut aussi dire que j’ai cherché l’amour en des lieux où je ne l’ai pas trouvé. J’ai eu des petits copains, j’ai eu beaucoup d’amies et d’amis, beaucoup de succès dans le monde du théâtre, j’ai joué dans un film, j’ai été présentatrice d’émissions, etc. Mais je sentais que cela ne me remplissait pas.» C’est finalement en Dieu comme religieuse que Clare Crockett a trouvé sa voie.
Morte en 2016, à l’âge de 33 ans, lors d’un tremblement de terre en Equateur, Sister Clare fait désormais un tabac sur internet et les réseaux sociaux. Le biopic qui lui est consacré a été vu 3,9 millions de fois, une recherche google recense 1,35 million d’occurrences, un article lui est consacré sur Wikipedia. Sa première biographie ‘officielle’ a été publiée en septembre 2020. Un CD rassemble ses chansons. Son portrait sous forme d’une fresque géante orne depuis l’été une façade de son quartier natal de Derry, en Irlande du Nord. Au-delà du monde anglo-saxon, la fièvre a aussi gagné l’Amérique latine, puisque Sister Clare a vécu également en Espagne et en Equateur.
«Clare comprend que Dieu a vraiment donné sa vie pour elle et que la seule façon de Lui répondre est de s’offrir en retour»
Marquée par les haines du conflit en Irlande du Nord
Née en 1982 en Irlande du Nord, Clare grandit dans une famille catholique peu fervente. Sa ville natale de Derry est marquée par le conflit nord-irlandais. L’ambiance de violence et de haine la marque. Cependant, Clare fait toujours le pitre en classe, imitant sur commande tel professeur ou demandant aux autres de faire ses devoirs en échange de cigarettes…, raconte le magazine catholique féminin français Zélie. Son rêve est de devenir une actrice de renommée mondiale. Elle écrit des pièces et fait beaucoup de théâtre. A 15 ans, grâce à son talent, elle parvient à entrer dans le milieu de la télévision. On la découvre présentatrice de deux émissions sur la quatrième chaîne nationale, puis sur une autre télévision importante. C’est aussi l’âge où elle cesse d’aller à la messe.
En l’an 2000, son amie Sharon l’invite à aller en Espagne. Le voyage étant gratuit, Clare, alors âgée de 17 ans, accepte volontiers. Elle imagine plages et boîtes de nuit… et se rend compte trop tard qu’il s’agit d’un pèlerinage pour la Semaine Sainte. Elle ne peut cependant pas se rétracter, son nom étant sur le billet.
Un électrochoc spirituel
Sur place, les activités spirituelles sont organisées par le «Foyer de la Mère» (Hogar de la Madre) , une communauté reconnue en 1994 par l’évêque de Cuenca. Les premiers jours, Clare commence par prendre le soleil. Arrive le Vendredi-Saint. Pressée de participer à l’office de la Passion, l’adolescente se met au fond de la chapelle pour attendre la fin de la liturgie, pensant au prochain repas.
Au moment de la procession pour vénérer la Croix, elle suit le mouvement, les mains dans les poches. C’est alors un électrochoc spirituel, racontera-t-elle plus tard. Lorsque vient son tour d’embrasser le Christ, Clare comprend que Dieu a vraiment donné sa vie pour elle et que la seule façon de Lui répondre est de s’offrir en retour. Quelques minutes plus tard, elle confie au fondateur de la communauté le Père Rafael Alonso, son désir de devenir religieuse.
«Je voulais tout faire par mes propres forces»
Après ces jours intenses, Clare rentre en Irlande. Elle participe au tournage du film de télévision Sunday de Charles McDougall, où elle tient un petit rôle. L’histoire est celle du Bloody Sunday du 30 janvier 1972 où 32 manifestants irlandais furent tués par des soldats britanniques. Le milieu du cinéma dans lequel elle évolue n’est pas porteur pour la foi qu’elle vient de redécouvrir: divertissements, alcool, cigarette, drogue, petit copain… Elle expliquera: «Je pensais que je ne pouvais pas arrêter tout cela. Je sentais que je n’en avais pas la force… évidemment que je n’en avais pas la force, car je n’avais pas demandé au Seigneur de m’aider. Je voulais tout faire par mes propres forces.»
La première chose qui attira mon attention sur Sœur Clare, après son sens de l’humour et de l’accueil, fut la manière qu’elle avait de parler du Seigneur»
Un deuxième appel divin retentit en pleine discothèque, alors que Clare a trop bu. «Pourquoi continues-tu à me blesser?» Peu après, de retour dans sa chambre d’un grand hôtel à Londres, elle ressent fortement le vide de son existence. Clare comprend alors que sa vie n’a de sens que si elle l’offre au Christ.
«J’avais trouvé un amour plus fort»
C’est chose faite en août 2001: elle entre chez les «Servantes du Foyer de la Mère», la communauté espagnole où elle avait commencé son itinéraire spirituel un an plus tôt. Les appels répétés de son manager et les réticences de son entourage n’y feront rien. «Au début, j’avais la tentation de regarder en arrière et de m’y complaire, mais je comprenais que j’avais trouvé un amour plus fort », commentera-t-elle.
Les premiers temps de sa vie religieuse ne sont pas faciles. Le travail physique lui pèse. Elle aime toujours attirer l’attention, faisant des entrées solennelles dans la salle à manger en proclamant «Me voici!» Mais sa forte volonté la pousse à foncer dans la direction qu’elle a clairement vue. Elle persiste, dompte sa personnalité et prononce ses premiers vœux en 2006, prenant le nom de Sœur Clare Maria de la Trinité et du Cœur de Marie.
Dix ans après son premier appel en 2010, elle fait ses vœux définitifs, Au fil des ans, elle intègre successivement plusieurs maisons de la communauté en Espagne, en Floride et en Equateur. Son apostolat bénéficie notamment aux jeunes pauvres ou issus de familles en difficulté. Selon les lieux, elle participe aussi à d’autres activités comme, lors de son séjour à Valence, l’accompagnement de malades en phase terminale.
Une sœur hilarante au fort accent irlandais
Sister Clare n’a en rien renoncé a ses dons d’actrice et d’animatrice. Munie de sa guitare, elle sait rejoindre enfants et adolescents. «La première chose qui attira mon attention sur Sœur Clare, après son sens de l’humour et son sens de l’accueil, fut la manière qu’elle avait de parler du Seigneur», témoigne un jeune. Faisant mille mimiques lorsqu’elle raconte une blague, elle a en revanche les yeux d’une amoureuse pleine de respect en prononçant «Our Lord» (Notre Seigneur).
«Quelle est cette sœur hilarante avec un accent irlandais si fou? ‘Holy coolness’ (sainte détente), c’est ma première impression sur elle. Après l’avoir rencontrée, j’ai découvert qu’être saint et être cool étaient compatibles, et une merveilleuse façon de vivre», raconte une adolescente. L’humour apparaît aussi comme sa manière de retourner une situation difficile.
Le témoignage de sa supérieure n’est pas moins élogieux: «Je ne sais toujours pas ce qu’elle aimait et n’aimait pas faire, jamais je n’aurais pu le deviner. Quand je lui demandais quelque chose, sa réponse était toujours: ‘Bien sûr!’.
«Tout ce qui peut coûter me remplit de joie, parce que cela me rend proche du Seigneur.»
«Je ne peux expliquer cette joie et ce désir plein d’enthousiasme que j’ai de souffrir pour le Seigneur, écrit Clare un an avant son mort. Tout me paraît dérisoire: le manque de sommeil, le jeûne, la chaleur, le devoir de servir les autres… Tout ce qui peut coûter me remplit de joie, parce que cela me rend proche du Seigneur.»
Quelques mois plus tard, elle écrit: «Je suis heureuse, heureuse, heureuse! Même s’il y a des jours ou beaucoup de choses me sont difficiles. Cela vaut la peine de donner sa vie à Dieu, qui est si grand. C’est ce que mon cœur a toujours désiré, et ce qu’aucun amour humain, ni projet, ni autre chose n’a pu remplir.»
Un tremblement de terre fatal
Le 16 avril 2016, un tremblement de terre frappe la localité de Playa Prieta, en Equateur. La maison de la communauté où vit alors Sister Clare s’effrondre sur elle. La jeune femme, âgée de 33 ans, est retrouvée morte le manche de sa guitare dans la main. Cinq de ses compagnes sont également tuées.
Le rayonnement de Clare se diffuse sans plus attendre, d’abord sur place puis en Irlande. A partir d’images d’archives et de témoignages, sa communauté lui consacre en 2018 un biopic intitulé «Tout ou rien». En espagnol et en anglais le film totalise près de 4 millions de vues. Il sort en français en 2020 sur DVD en version originale sous-titrée. Chaque anniversaire ou chaque événement amènent de nouveaux témoignages. Des dizaines de courtes vidéos, où l’on voit Sister Clare chanter ou parler à des jeunes sont diffusées sur les réseaux sociaux. Un site internet en plusieurs langues lui est dédiée.
Sa communauté entretient soigneusement la flamme. Sœur Kristen Gardner, cheville ouvrière de la production vidéo en a fait un livre, publié en septembre 2020, sous le même titre Tout ou rien. Il constitue la première biographie officielle de sa consoeur. Elle relève à quel point la vie donnée de Sister Clare inspire un grand nombre de personnes. Pour elle Clare Crockett est un grand témoin du XXIe siècle qui montre comment la lumière de Dieu peut transfigurer une vie.
Le large sourire de Sister Clare orne désormais aussi une façade de son quartier de Derry à côté des portraits des héros de la résistance irlandaise. (cath.ch/zélie/mp)