Dom Marc de Pothuau: «Notre communion est la joie de Dieu»
L’abbaye cistercienne d’Hauterive (FR) a accepté d’accueillir un prêtre en difficulté. Le Père-Abbé Marc de Pothuau s’en explique. A partir de cette situation, il élargit la réflexion pour évoquer le rôle spirituel du monastère, après dix ans comme Abbé du monastère fribourgeois.
L’accueil dans le salon de réception de l’abbaye d’Hauterive est à l’image de celui qui en incarne l’autorité : simple et chaleureux. Les mots sont clairs, précis, et la profondeur spirituelle réelle. Ils sont ponctués d’éclats de rire, un des traits majeurs de cet homme épanoui dans son habit noir et blanc. Dom Marc de Pothuau, 50 ans, 60e Père-Abbé d’Hauterive, est moine depuis 25 ans. Il a succédé en 2010 à Dom Mauro Lepori, appelé à devenir Abbé général de l’Ordre cistercien de la commune observance.
Dom Marc s’explique sur la situation de l’abbé A.C., prêtre momentanément en retrait du ministère, et qui a demandé à être accueilli au sein de la communauté monastique.
Votre communauté accueille actuellement un prêtre mis en retrait de son ministère pastoral. Pourquoi avoir accepté cet accueil?
La Règle de saint Benoît nous demande d’accueillir chaque hôte comme si c’était le Christ lui-même. En plus ce prêtre m’a demandé de prendre un temps de réflexion et de prière pour se relever.
Cela m’a remémoré une sentence d’un Père du désert à qui on demande: «Qu’est-ce que vous faites dans votre monastère?» Et il répond: «Ici, nous chutons et nous nous relevons, nous chutons et nous nous relevons, nous chutons et nous nous relevons…».
Que peut-on dire de cette situation particulière?
L’Eglise joue ici quelque chose de son identité. Qu’est-elle sinon une communauté de pauvres qui s’aident à se relever mutuellement par le pardon réciproque? Loin de cautionner la culture du déchet qui veut nous gaver de lapidations publiques, nous devons chercher comment vivre cette entraide et la réconciliation.
Ce prêtre a conscience d’avoir blessé la communauté ecclésiale déjà si fragilisée. Ce temps de recul parmi nous pour vivre un profond questionnement intérieur devrait lui permettre de retrouver une place dans le diocèse. Le processus communautaire de la réconciliation allait de soi au début du christianisme.
«La culture du déchet veut nous gaver de lapidations publiques.»
Quel est votre rôle dans ce travail intérieur?
L’abbaye n’est pas une maison de redressement, mais d’intériorisation, un lieu où on écoute Dieu. Une chute grave me montre que j’ai besoin de renouer avec ma propre histoire pour intégrer à ce mystère d’amour qui m’habite ce qui ne l’est pas encore.
L’intégration de la vie affective vise à se contenir assez soi-même pour pouvoir se donner avec cohérence. Cela s’appelle la chasteté qui est un défi aussi bien pour les célibataires que pour les personnes mariées. Elle rend Dieu libre de transparaître à travers notre existence. Et la communauté monastique accompagne chacun sur ce chemin d’unité et de joie.
Vous évoquez des rapports humains harmonieux…
Une autre sentence m’habite. Un Père du désert, voyant quelqu’un en train de pécher, pleurait amèrement en disant: «Lui aujourd’hui, moi demain…» L’infidélité et l’éclatement intérieur nous guettent tous.
L’intégration de la vie affective est une sorte de synode intérieur où toutes les dimensions de la vie ont le droit de parler. Ainsi «les frères ennemis» de mes contradictions apprennent à s’écouter et cherchent ensemble un chemin. La vie communautaire et la vie intérieure sont des miroirs mutuels: une exclusion intérieure rejaillit toujours à l’extérieur. Seul le pacifié est pacifique.
Le monastère est un lieu où des solitudes se regroupent. Mais ces solitudes sont en communion…
La solitude est nécessaire pour expérimenter l’incompréhensible tendresse de Dieu. Mais elle n’est pas l’isolement, ce drame si fréquent de nos contemporains que la situation de ce prêtre révèle.
Le moine est un solitaire qui vit dans la communion des frères pour faire l’expérience de la communion avec Dieu. C’est-à-dire que nous nous entraidons à tenir dans cette solitude. Or rejoindre l’autre avec respect dans sa solitude, cela se nomme la consolation. Consolation et compassion fondent ainsi la véritable communion.
«La solitude est nécessaire pour expérimenter l’incompréhensible tendresse de Dieu.»
Et quand on ne vit pas cette communion?
Si je manque de consolation, je me jette sur la compensation. Dans la compensation, il n’y a pas de rencontre, je consomme (quelque chose ou quelqu’un!) et je m’isole toujours plus. Ce cercle vicieux est sans pitié. Il détruit tant de personnes actuellement! Mais il dope le commerce… Rares sont donc les politiques qui s’en inquiètent. Parmi ces addictions, la pornographie touche tous les âges, tous les sexes, tous les états de vie: c’est une pandémie terrible et muette. Comment apporter un peu de consolation à toutes ces personnes isolées?
L’écran souvent rajoute à l’isolement. Il donne une sécurité illusoire et un sentiment de puissance qui se manifeste dans la violence des propos et des comportements. Chacun se croit en lien avec beaucoup de monde, mais au fond il reste isolé et dans l’angoisse, car il sait qu’il peut devenir très vite la victime de la prochaine lapidation. La communication n’est pas encore la communion, loin de là!
Vous êtes Père-Abbé à Hauterive depuis dix ans. Quelles leçons en tirez-vous?
Tout d’abord qu’un pasteur est un chef qui ne doit jamais accepter sa solitude comme une fatalité. Son job consiste à collaborer avec l’Esprit saint qui rassemble. Il y a certes des décisions qu’il doit prendre seul, mais toujours en vue de rassembler le troupeau. Ensuite, que la seule manière d’aller vite c’est de mesurer son pas sur le plus lent, sinon il n’emmène pas tout le troupeau.
Le pasteur, enfin, doit être comme une dame de ménage qui ne se demande jamais qui a fait tomber la poussière. La poussière dans une communauté, c’est le mépris et la méfiance. La question n’est pas: qui est le fautif? Mais comment et quand nettoyer? Quel processus lancer pour vivifier l’estime et la confiance mutuelles.
Comment l’exercice du pouvoir dans un groupe de moines est-il en lien avec la synodalité que prône le pape François comme chemin pour l’Eglise?
La Règle de saint Benoît commence par le mot: «Ecoute». En fait, elle le décline: écoute en toi ce qui se passe, écoute ton frère, écoute la création, écoute le Créateur. Ecoute pour percevoir que tout et tous ne font qu’un dans le Christ. Rares et précieuses sont l’écoute et la communion. Et elles sont liées. Si la communion est si rare, c’est parce que l’écoute est rare.
La Règle présente la vie communautaire comme un synode, où on s’écoute pour trouver le chemin ensemble. Si les moines doivent écouter leur abbé, l’abbé doit écouter même le moine le plus jeune. N’écoute que celui qui se sait écouté! La vie monastique est une écoute permanente, que ce soit pendant la liturgie, la lectio divina ou le travail. Le moment du conseil a un aspect eucharistique: se rassembler pour chercher la volonté de Dieu, ce qui lui plaît. Cela suppose de sacrifier son temps, son avis et son projet parce que Dieu a le sien: notre communion qui est sa joie!
«La règle de saint Benoît commence par le mot: «Ecoute».»
Quel avenir esquisser pour la vie monastique au sein de l’Eglise?
Celui qui se projette dans le futur court après son projet et se sacrifie pour lui. Le burn out est la version moderne de l’holocauste aux idoles. Alors que l’avenir, c’est Dieu! Il vient et demande à être accueilli instant après instant, comme un présent, au double sens du mot! La vie monastique est célébration de cet accueil.
Accueillir le présent, accueillir Dieu, c’est aussi accueillir celui qui vient comme une présence de Dieu: l’hôte! Il est souvent fragile. La vie monastique doit donner place à l’émouvante et désarmante humilité de Dieu. (cath.ch/bl)