Etats-Unis: qui gagnera le «vote catholique»?
Par Raphaël Zbinden et Bernard Litzler
Les deux candidats à la présidence américaine du 3 novembre 2020, le démocrate Joe Biden et le républicain Donald Trump, essaient de se rallier le «vote catholique». Ce dernier constitue pourtant une réalité complexe, qui met en jeu de multiples facteurs, au-delà du domaine de la religion.
«Avortement» ou «Catholique» : sur le site CatholicVote.org, l’internaute est invité à cliquer sur l’un des boutons placés sous un portrait de Joe Biden. L’allusion est claire: on ne peut pas être à la fois catholique et pro-avortement. CatholicVote est l’un des premiers groupes de pression existant dans la «pêche» au «vote catholique» en vue des élections présidentielles américaines du 3 novembre.
Comme en atteste ce site, la question de l’avortement apparaît cruciale dans le choix du futur président, du moins pour ses membres. A l’approche des élections, la frange conservatrice de l’Eglise catholique brandit plus haut «l’épouvantail» de l’IVG afin de dissuader les fidèles de voter pour un candidat démocrate résolument «pro-choice», c’est-à-dire en faveur de la liberté d’interrompre une grossesse.
Ténèbres contre lumière
Début août, le cardinal américain Raymond Burke, «patron» de l’Ordre de Malte, a appelé à refuser la communion à Joe Biden. Pour le prélat, interviewé par la chaîne pro-Trump Fox News, le fait de tendre l’hostie à l’ancien vice-président de Barack Obama serait un «sacrilège», eu égard à ses positions sur l’avortement. Des attaques qui rappellent celles lancées en 2004 contre le candidat démocrate John Kerry, dans un mouvement appelé les «Communion Wars» (les ›guerres de la communion’),
Avec l’ancien nonce apostolique aux Etats-Unis, Mgr Carlo Maria Vigano, le cardinal Burke appartient à la mouvance de l’Eglise américaine opposée au pape François et largement favorable à Donald Trump. L’archevêque a d’ailleurs envoyé au président actuel, en juin 2020, une fervente lettre de soutien. Il y affirme notamment que les manifestations de «Black Lives Matter» (›Les vies noires comptent’) et le confinement imposé dans le cadre de la pandémie sont des éléments d’une campagne apocalyptique menée par les «fils des ténèbres» contre les «fils de la lumière».
Bible à la main
Dans le mouvement catholique anti-démocrate, se trouve aussi le Père Frank Pavone. Le directeur de l’organisation «Priests for Life» (Prêtres pour la vie) soutient ouvertement Trump, comme il l’avait déjà fait en 2016. Il a même été conseiller dans la campagne électorale du magnat de l’immobilier, avant de se retirer récemment.
Nul doute que le président républicain s’appuiera sur ces réseaux pour tenter de capter le vote catholique. Car ce dernier est considéré comme «clé», le nombre de catholiques étant évalué à 23% de l’électorat américain. Depuis le début de son mandat, Donald Trump n’a en tout cas pas hésité à jouer la partition religieuse pour plaire aux chrétiens. Dernier épisode connu: la séance photo du président, Bible à la main, devant une église anglicane proche de la Maison Blanche, le 29 mai, après les émeutes consécutives à la mort de George Floyd. Le fait d’avoir chassé des manifestants pacifiques au moyen de gaz lacrymogènes pour réaliser le «shooting», avait été critiqué, même dans les milieux conservateurs chrétiens.
Vote stratégique
De son côté, le catholique Joe Biden a bien compris l’importance stratégique du vote de ses coreligionnaires. Certains observateurs relèvent que sa campagne intègre de plus en plus l’élément religieux. Michael Wear, en charge des questions religieuses dans le gouvernement Obama, avait critiqué le manque d’attention à cet aspect dans la campagne d’Hillary Clinton, en 2016, souligne Michael J. O’Loughlin, dans la publication jésuite America Magazine.
«Le plus important est que Biden montre explicitement aux électeurs croyants qu’il veut leur voix. Ceci doit être clairement exprimé», dit Michael Wear. «L’ancien vice-président n’a pas besoin de participer chaque jour à des événements religieux. Mais nous voudrions le voir dans des moments clés, où la question religieuse occupe le devant de la scène».
Les croyants pour Biden
Joe Biden est pourtant loin d’être inactif sur le plan religieux. Il a ainsi fréquemment évoqué sa foi devant ses électeurs, notamment lors des primaires démocrates. La campagne démocrate s’efforce également de mettre en avant des personnalités catholiques connues pour soutenir publiquement le candidat. Autre initiative, la campagne «Believers for Biden» (Les croyants pour Biden), qui comprend des conversations virtuelles du candidat sur des thèmes religieux, ainsi que des intentions de prière hebdomadaires.
Un «directeur des questions religieuses» a, en outre, été engagé récemment. Il s’est principalement adressé aux juifs, aux musulmans et même aux évangéliques de tendance républicaine. Mais jusqu’à maintenant, sa stratégie religieuse a surtout consisté en l’insertion de «valeurs» spécifiquement religieuses dans les discours de Biden à l’adresse de groupes traditionnellement favorables aux démocrates, tels les femmes, les hispaniques ou les LGBT. Des valeurs qui mettent surtout en avant la solidarité. «Au cœur du catholicisme, se trouve le message selon lequel il faut prendre soin de son prochain», assure John McCarthy, un membre de campagne de Joe Biden, à America Magazine.
Camp sans uniformité
Il est certain, pour autant, que la question de l’avortement ne pourra pas être éludée par le candidat démocrate. Etant donné que la thématique est importante pour beaucoup de fidèles, et que l’IVG est explicitement condamnée par l’Eglise catholique. Des démocrates ont ainsi exhorté le parti à assouplir sa position sur l’avortement, afin d’envoyer le signal aux électeurs «pro-vie» qu’ils ne sont pas négligés.
Néanmoins, une campagne ne se joue pas uniquement sur ce thème. Et le vote catholique est loin de l’uniformité qu’on lui prête. Comme lors des élections présidentielles de 2016, le clivage, au sein du catholicisme américain, entre les hispaniques, favorables à Biden, et les Blancs, plutôt attirés par Trump, existe toujours, selon les observateurs (voir encadré). Le président actuel doit faire d’immenses efforts pour conquérir cet électorat catholique blanc. Mais la question reste ouverte, devenant obsédante par moments pour l’électeur catholique : faut-il voter pour le président républicain, pourtant contesté, simplement parce que le candidat démocrate se déclare favorable à l’IVG ? La campagne va encore durer deux mois et demi. (cath.ch/ag/rz/bl)
Les catholiques: blancs et hispaniques
Historiquement, les catholiques blancs et hispaniques votent pour des partis différents lors des élections présidentielles. Au cours des quatre derniers cycles électoraux, la majorité des catholiques blancs ont choisi le candidat républicain et la majorité des catholiques hispaniques le candidat démocrate.
Une tendance qui se confirme: selon l’institut de sondage Pew, dans une enquête publiée le 13 août 2020, les électeurs catholiques blancs prévoient de voter pour Donald Trump à 59%, contre 40% en faveur de Joe Biden. En 2016, le président Trump avait bénéficié de 52% des voix catholiques, annonce Pew, contre 45% à Hillary Clinton. BL