Kamala Harris, l’avenir de la religion américaine
En choisissant Kamala Harris comme vice-présidente, le candidat démocrate à la présidentielle américaine Joe Biden pourrait bien s’assurer un ticket pour la maison blanche. La sénatrice noire américaine incarne la diversité culturelle autant que religieuse.
RNS/Protestinter
En tant que femme noire-américaine, Kamala Harris remplit les deux critères essentiels que le candidat démocrate à la présidentielle américaine Joe Biden voulait pour son colistier. Mais la sénatrice californienne de 55 ans a d’autres atouts dans la course à la présidence de 2020. Elle incarne l’avenir de la religion américaine. À une époque où le pluralisme religieux se développe, la jeune génération du pays, dont beaucoup sont des enfants et des petits-enfants d’immigrés, reconnaîtra en Kamala Harris une forme d’appartenance multiconfessionnelle et spirituelle peu familière à la majorité chrétienne essentiellement blanche de ces dernières décennies.
Kamala Harris est née à Oakland, en Californie, d’un père jamaïcain immigré – Donald Harris – et d’une mère indienne immigrée – Shyamala Gopalan. À la fois noire-américaine et sud-asiatique, elle grandit dans un foyer aux pratiques religieuses chrétiennes et hindoues. Adulte, elle épouse Douglas Emhoff, un avocat juif né à Brooklyn.
Une génération métissée
«Il y a beaucoup plus de jeunes Américains qui, du point de vue de l’identité, sont comme Kamala Harris: métisse, avec un bagage d’expériences culturelles, ethniques et religieuses très différentes. Ce n’est qu’un fait démographique», déclare Eboo Patel, fondateur et président de l’Interfaith Youth Core, un organisme à but non lucratif qui œuvre pour faire de la coopération interconfessionnelle une norme sociale. C’est particulièrement vrai pour les membres du Parti démocrate et de sa coalition électorale, qui sont plus jeunes et plus diversifiés sur le plan racial et ethnique que la base du Parti républicain. Celui-ci s’affilie également moins à la religion traditionnelle.
Joe Biden et Kamala Harris s’identifient comme chrétiens: lui catholique, elle baptiste noire. Pourtant, le ticket qui sera officiellement désigné la semaine prochaine à Milwaukee comme le choix du Parti démocrate pour la présidence et la vice-présidence représente un contraste saisissant avec le président Donald Trump et le vice-président Mike Pence, qui sont tous deux blancs, protestants et de sexe masculin.
Les chrétiens de demain
Kamala Harris, qui est membre de la Third Baptist Church of San Francisco, apporte une version ethniquement et racialement diverse du christianisme. Elle apprécie également les contributions de nombreux non-chrétiens, qui se trouvent être des membres de sa famille. Un rapport de Pew Research publié l’année dernière a révélé que les États-Unis deviennent de moins en moins chrétiens et que le nombre de personnes sans religion augmente. Le christianisme est toujours en tête. Deux tiers (65%) des Américains se disent chrétiens, mais les chrétiens blancs sont une minorité (42%) dans le pays, a déclaré Robert P. Jones, PDG et fondateur du Public Religion Research Institute.
En ce sens, «le billet Biden-Harris ressemble beaucoup plus à l’avenir de l’Amérique et le billet Trump-Pence ressemble beaucoup plus au passé de l’Amérique», analyse-t-il. Et de poursuivre: «En examinant l’affiliation religieuse des Américains par âge, le contraste est encore plus frappant. En termes de composition raciale et religieuse, les démocrates qui s’identifient comme tels ressemblent à l’Amérique des trentenaires, tandis que les républicains qui s’identifient comme tels ressemblent à l’Amérique des septuagénaires.»
Un paysage religieux dynamique
Le Parti républicain a également connu des changements démographiques dans ses rangs. Nikki Haley, qui a été ambassadrice aux Nations Unies sous Donald Trump de 2017 à 2018, est née dans une famille sikhe et s’est convertie au christianisme peu après avoir épousé un méthodiste. De même, Bobby Jindal, ancien gouverneur de la Louisiane, est né dans une famille hindoue et s’est converti au catholicisme au lycée. Ces changements de religion, ainsi que l’appartenance religieuse multiple, font partie du paysage religieux dynamique de l’Amérique et ne feront probablement que se banaliser davantage.
«Les aumôniers universitaires voient cela tout le temps», observe Rachel A. Heath, une étudiante en doctorat à l’Université Vanderbilt qui écrit sa thèse sur les réponses chrétiennes à l’appartenance religieuse multiple et qui a été aumônière dans le passé. Dans une telle atmosphère, l’éclectisme religieux de Kamala Harris est aussi susceptible d’être un atout qu’une distraction à l’approche des élections du 3 novembre. «Je ne pense pas que sa biographie religieuse sera négative pour la campagne», affirme John C. Green, directeur émérite de l’Institut Ray C. Bliss de politique appliquée de l’Université d’Akron. «Il y a peut-être des gens qui se plaignent. Mais je ne pense pas que ces plaintes aient beaucoup de résonance, car elle représente une tendance de plus en plus courante.» (cath.ch/rns/protestinter/rz)
À trois mois des élections américaines, retour sur cinq «faits religieux» de la vie de Kamala Harris
1. Elle a été élevée dans l’hindouisme et le christianisme.
Sa mère, Shyamala Gopalan, est originaire de Chennai, en Inde, et son père, Donald Harris, de la Jamaïque. Ils se sont rencontrés alors qu’ils étaient étudiants de troisième cycle à l’Université de Californie, à Berkeley.
Son prénom, Kamala, signifie «lotus» en sanskrit. C’est aussi l’autre nom de la déesse hindoue de la fortune, de la prospérité, de la richesse et de l’abondance, Lakshmi. Kamala Harris a visité l’Inde à plusieurs reprises lorsqu’elle était jeune fille. Elle y a notamment fait la connaissance des membres de sa famille qui y résident. Ses parents divorcent alors qu’elle est âgée de 7 ans. Elle grandit entre Oakland et Berkeley, fréquentant des églises à prédominance noire. À l’époque, sa voisine du dessous, Regina Shelton, l’emmène, elle et sa sœur Maya, à l’église de Dieu de la 23e avenue à Oakland. Kamala Harris se considère aujourd’hui comme une baptiste noire.
2. Elle est mariée à un juif.
Kamala Harris rencontre son mari, l’avocat de Los Angeles Douglas Emhoff, lors d’un «blind date» à San Francisco. Ils se marient en 2014. Clin d’œil à l’éducation juive de l’époux, le couple a brisé un verre pendant la cérémonie.
3. Elle a été critiquée pour ne pas avoir apporté une aide proactive dans les affaires civiles contre les abus sexuels du clergé catholique pendant les années où elle a été procureure.
Après avoir obtenu son diplôme à la Hastings College of the Law, de l’Université de Californie, la jeune procureure s’est spécialisée dans les poursuites pour crimes sexuels et l’exploitation des enfants. Mais deux enquêtes menées par The Intercept et The Associated Press ont révélé qu’elle restait constamment silencieuse s’agissant du scandale des abus sexuels dans l’Église catholique – d’abord en tant que procureure de San Francisco, puis en tant que procureure générale de Californie.
Les victimes d’abus sexuels commis par des prêtres affirment qu’elle a résisté aux demandes informelles d’aide dans leurs affaires et refusé de divulguer les registres des prêtres abuseurs dans l’Église, qui avaient été rassemblés par son prédécesseur, Terence Hallinan.
4. En tant que procureure générale, elle a déposé un dossier auprès de la Cour suprême des États-Unis lui demandant de ne pas accepter la requête du Hobby Lobby qui était de refuser aux femmes une couverture des moyens de contraception, en raison des croyances religieuses du propriétaire de la chaîne de magasins d’artisanat.
Dans son mémoire de 2014, soutenu par quinze États et la ville de Washington, D.C., Kamala Harris a notamment écrit que si Hobby Lobby était autorisé à refuser la couverture des contraceptifs pour des raisons religieuses, cela pourrait conduire d’autres entreprises à demander des exemptions similaires s’agissant d’autres lois nationales sur les droits civils. En décidant que les entreprises familiales ne pouvaient pas être contraintes à payer une assurance pour la contraception au nom de la loi sur les soins abordables si cela va à l’encontre de leurs croyances religieuses, la Cour suprême a pris une décision historique.
Plus tard, en tant que sénatrice américaine, Kamala Harris a coparrainé un projet de loi du Congrès visant à affaiblir la loi sur la restauration de la liberté religieuse (Religious Freedom Restoration Act, RFRA), afin de garantir qu’elle ne soit pas utilisée pour autoriser la discrimination au nom de la religion. Cette mesure, appelée «Do No Harm Act», a été introduite pour la première fois en 2017, puis à nouveau en 2019. Elle a été adoptée en 1993 pour empêcher le gouvernement de «peser de manière substantielle sur l’exercice de la religion d’une personne». Les partisans de «Do No Harm Act» estiment que la RFRA «ne doit pas être interprétée comme autorisant une exemption de la loi généralement applicable». Si elle avait été adoptée, elle aurait permis de garantir que les employeurs religieux ne puissent pas refuser la couverture des soins de santé à leurs employés ou demander des exemptions aux lois sur les droits civils.
5. Lorsqu’elle s’est présentée aux élections présidentielles l’année dernière, elle a souvent utilisé la parabole du bon Samaritain du Nouveau Testament.
Dans la parabole du bon Samaritain, Jésus raconte l’histoire d’un étranger qui aide un homme battu et laissé sur le bord de la route. Kamala Harris a confié que ce texte biblique l’avait aidée à clarifier qui est son «voisin»: «Voisin, ce n’est pas avoir le même code postal», a-t-elle déclaré lors d’un forum de la Campagne des pauvres l’année dernière. «Ce que nous apprenons dans cette parabole, c’est que le prochain est quelqu’un devant qui vous passez dans la rue. Voisin, c’est comprendre et vivre au service des autres – que nous sommes tous frères et sœurs les uns des autres».
Dans plusieurs discours, Kamala Harris a invoqué la théologie de la libération, cette branche sociale du christianisme se soucie particulièrement des plus pauvres et met l’accent sur la libération politique des peuples opprimés. «La justice est sur le bulletin de vote», a déclaré Kamala Harris lors d’un événement organisé par le Parti démocratique de l’Iowa l’année dernière. Et de poursuivre: «La justice économique est en jeu. La justice en matière de soins de santé est sur les bulletins de vote. La justice dans le domaine de l’éducation est en jeu. La justice en matière de procréation est sur les rangs. La justice pour les enfants est sur les bulletins de vote. Voici le résultat, Iowa. Je crois que lorsque nous aurons surmonté ces injustices, nous débloquerons la promesse de l’Amérique et le potentiel du peuple américain.» RNS