Mgr Lovey en pèlerinage avec les Yéniches à Einsiedeln
Reportage de Vera Rüttimann/kath.ch – Traduction et adaptation Jacques Berset
La dernière semaine de juillet, la «Vierge noire» d’Einsiedeln devient la «Mère des gens du voyage». Ce sont principalement les Yéniches de Suisse qui font le pèlerinage à la célèbre Abbaye bénédictine. Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion, se trouvait cette année parmi eux.
Mgr Jean-Marie Lovey, installé entre une tente, une table et une chaise pliante, se tient penché au-dessus d’un évier. Il lave son assiette avec une petite brosse à vaisselle. A ses côtés, le Père jésuite Christoph Albrecht, responsable de l’Aumônerie catholique suisse des Gens du Voyage, et l’agente pastorale fribourgeoise Aude Morisod, coordinatrice de l’Aumônerie.
Le Père abbé d’Einsiedeln Urban Federer, qui était parmi les pèlerins, se précipite dans l’église du monastère pour la prière du soir. L’évêque et les aumôniers se trouvent au milieu du village de caravanes sur la prairie de Brüel, près de la chapelle de Saint Gangulf, non loin de l’Abbaye d’Einsiedeln.
L’événement le plus important de l’année
Pour les gens du voyage catholiques, le pèlerinage à la «Vierge noire d’Einsiedeln» est l’événement le plus important de l’année. Cette semaine est pour le Père Christoph Albrecht synonyme de temps intensif. Il est responsable du programme, des moments de prière et des messes avec confirmations et baptêmes. Avec lui s’affairent Aude Morisod et une équipe de bénévoles des gens du voyage ainsi que deux religieuses.
Le Père Christoph Albrecht et Mgr Jean-Marie Lovey, responsable de la «migration» au sein de la Conférence des évêques suisses, apprécient tous deux l’opportunité, durant la semaine, de s’entretenir avec les pèlerins de s’exprimer cette semaine. Ils ont pu entretenir les meilleurs contacts avec les gens du voyage, confirment les membres de l’équipe pastorale.
Mgr Franz Scharl, évêque auxiliaire de Vienne, est également assis sur l’une des chaises pliantes. Dans son diocèse, il est responsable des gens du voyage. «Je suis venu ici parce que la Suisse est novatrice dans son travail avec les gens du voyage», constate-t-il. Il voulait mieux connaître, sur place, le pèlerinage d’Einsiedeln, qui a duré plusieurs jours, pour voir comment il était reçu par les participants.
Pèlerinage traditionnel
Sœur Hanni Paula, des «Petites Sœurs de Jésus» de Charles de Foucauld, est l’une de celles qui ont été témoins, il y a 25 ans, de la naissance du pèlerinage des Yéniches à Einsiedeln. A sa table se trouve Jean-Noel Birchler, le fondateur de ce pèlerinage. Tous deux se souviennent très bien du premier campement des Yéniches à cette occasion: sous un pont à Hoch-Ybrig, un peu avant Einsiedeln. Ou d’une terrible tempête de grêle qui s’était abattue sur le village des caravanes. Hanni Paula raconte: «L’un d’entre eux a vu sa tente déchirée en lambeaux. Seule la Vierge Marie est restée debout».
Le culte marial, les pèlerins et les chants
Ce soir, il y a une prière pour les malades dans l’église abbatiale, devant la chapelle des Grâces en marbre noir qui abrite la célèbre «Vierge noire» du 15e siècle. La prière est particulièrement intense, car l’un des enfants est gravement malade. Les chants yéniches sont entonnés avec ferveur.
Après la prière, Mgr Lovey essuie les chaises avec du désinfectant. «Pourquoi pas ?», dit-il. Pour lui, qui était supérieur général de la Congrégation des Chanoines Réguliers du Grand Saint-Bernard, le nettoyage des chaises n’a rien de «spécial». C’est donc un bon moment pour lui parler de la religiosité particulière des Yéniches.
«C’est une piété populaire spéciale qui est très émotionnelle et fervente», dit-il. Personne n’est dérangé lorsque les enfants courent joyeusement pendant la prière. L’évêque a observé à maintes reprises que ce que les parents et les grands-parents ont vécu en termes d’expérience religieuse est également transmis à leurs enfants.
Ils gardent le silence devant la «Madone noire» d’Einsiedeln. Ils se rendent en pèlerinage auprès d’elle tout comme ils le font dans les sanctuaires mariaux de Lourdes ou des Saintes-Maries-de-la-Mer. Le pèlerinage, et c’est clair en ces jours, est important pour le peuple yéniche. Aude Morisod le souligne en riant: «Ici, la Vierge blanche salue la Vierge noire».
Programme religieux animé
Le programme de cette semaine de pèlerinage est rempli de rendez-vous religieux. Il y a des offices sur la place de l’école et des soirées cinéma. Le vendredi, c’est le Chemin de croix, déplacé dans l’église abbatiale en raison de la chaleur torride. L’étude de la Bible pour les enfants demeure un moment important du programme. Parfois, l’abbé Urban Federer se joint à eux. La procession aux flambeaux avec la statue blanche de la Vierge Marie en début de semaine est un des points culminants de ce pèlerinage.
Lieu d’apprentissage pour l’Eglise et la société
Le vendredi soir, les familles se réunissent sur la place de l’école pour la «soirée grillade». Le temps est venu non seulement de faire la fête, mais aussi de mener des discussions approfondies. L’abbé Urban Federer, le Père Christoph Albrecht, l’évêque de Sion et les Petites Sœurs sont également assis sur les bancs. Dans la tente, la Madone blanche surveille la scène.
Les conversations avec les Yéniches portent sur des sujets d’intérêt professionnel et sur les difficultés à trouver des places de transit ou des endroits où s’installer pour un moment. Cependant, certains d’entre eux, qui travaillent normalement comme rémouleurs (aiguiseurs de ciseaux), récupérateurs de vieux métaux, ou couvreurs, sont actuellement sans travail en raison de la réglementation en vigueur dans le cadre de la crise du Covid-19. La pandémie les frappe particulièrement fort.
Mgr Jean-Marie Lovey apprend également à cette occasion que des familles sont durement touchées. Mais ce qui l’étonne, laisse entendre le Valaisan, c’est que personne ne se plaint de son sort. «Beaucoup de gens me disent: nous sommes actuellement sans travail. Mais nous sommes en bonne santé, ça va aller». L’évêque de Sion trouve cette réaction merveilleuse. Elle montre la confiance en soi et en la vie.
Le Valaisan de Sion est impressionné par le courage et la confiance de ces personnes et par l’intense vie communautaire que mène le peuple yéniche. «Nous pouvons apprendre beaucoup de ces personnes», dit-il.
Etablir la confiance
Le Père Albrecht est également toujours réfléchi lorsqu’il se promène au milieu des caravanes et rend visite aux familles. Il a fallu du temps pour que les Yéniches s’ouvrent à lui. Certains d’entre eux ont encore des souvenirs douloureux du temps de leur enfance, quand ils furent arrachés à leur famille lors de l’Action «Enfants de la grand-route» et placés dans des foyers ou des familles.
Entre 1926 et 1973, la fondation Pro Juventute, aidée par les autorités, a retiré plusieurs centaines d’enfants à leurs parents, estimant qu’il s’agissait de «familles de vagabonds», dans l’objectif d’en faire des personnes sédentaires et «utiles». Dans ce but, elle a créé l’»Œuvre des enfants de la grand-route». Il n’est pas rare qu’ils aient été exploités comme main d’oeuvre durant leur enfance, ou qu’ils ne purent pas fréquenter à l’école parce qu’ils avaient dû se cacher des autorités.
Comme membre de l’Eglise catholique, le jésuite Christophe Albrecht appartient à une institution qui, selon lui, aurait dû s’exprimer avec beaucoup plus de force pendant les années où la société suisse persécutait les Yéniches et les Sinti. C’est dans ce sens, lui qui chemine avec les Yéniches, qu’il ressent, comme prêtre catholique, une grande responsabilité envers eux. Il souligne: «Chaque geste positif envers les gens du voyage est d’autant plus important pour moi !» (kath.ch/cath.ch/vr/be)
Les Yéniches et les Manouches, des minorités nationales
Environ 30’000 personnes d’origine yéniche vivent actuellement en Suisse, auxquelles s’ajoutent quelques centaines de Sinti et Manouches, selon l’Office fédéral de la culture (OFC). Entre 2’000 et 3’000 membres de ces minorités ont un mode de vie itinérant. En hiver, ils vivent en un lieu fixe, sur une aire de séjour, tandis que du printemps à l’automne ils rendent visite à leurs clients en se déplaçant d’une aire de passage à l’autre. Les personnes ayant un mode de vie itinérant ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que les membres de la population sédentaire. Les Yéniches et les Sinti et Manouches font depuis des siècles partie intégrante de la diversité culturelle de la Suisse.
L’Office fédéral de la culture (OFC) apporte son soutien à des organisations des deux minorités et accorde des aides financières à des projets destinés à préserver la langue et la culture yéniches. A l’heure actuelle, note l’OFC, de nombreux Yéniches, Sinti et Roms exercent une activité indépendante et ne trouvent presque plus de travail durant cette crise du coronavirus, ce qui ne leur permet plus de garantir suffisamment de revenus pour couvrir leurs frais courants. Ils se trouvent dans une situation financière très difficile, relève l’OFC. JB