Sans l'infaillibilité, «l'Eglise serait plus vivante»
Il y a 150 ans, le pape Pie IX décrétait le dogme de l’infaillibilité pontificale. L’historien suisse Josef Lang estime que si cette revendication n’avait pas été posée, l’Eglise aurait supprimé le célibat obligatoire et permis l’accès des femmes à la prêtrise.
Raphael Rauch, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Quel visage aurait l’Église catholique en Suisse sans l’infaillibilité pontificale?
Josef Lang : Si les catholiques suisses avaient pu en décider par eux-mêmes, ils auraient aboli depuis des années ce dogme de l’infaillibilité, ainsi que le célibat obligatoire. Ils auraient aussi admis le sacerdoce féminin. Il existe un lien étroit entre l’infaillibilité et la marginalisation des femmes.
Comment cela?
Cette décision inappropriée sur l’infaillibilité a encouragé un clergé de «charisme bureaucratique». Cela a conduit à un renforcement du célibat obligatoire et de la séparation des sexes. Le théologien suisse Hans Küng parle d’une «idéologie de l’infaillibilité». Pour lui, cela va de pair avec une mentalité inquiétante de résistance aux réformes et une forme de «blocage psychologique». Sans le dogme de l’infaillibilité, l’Eglise serait plus libre, plus vivante, plus féminine.
Quelles sont les conséquences de l’infaillibilité qui se font sentir encore aujourd’hui en Suisse?
Les structures démocratiques laïques, j’entends par là les communes ecclésiastiques, les synodes et les corporations ecclésiastiques, sont en de nombreux endroits une réaction à la déclaration d’infaillibilité. Car non seulement le pouvoir du pape, mais aussi celui du clergé a été renforcé. Les libéraux et les conservateurs modérés y ont résisté. Ils ont mis en place ces structures laïques. Pour ce faire, ils avaient un modèle en Suisse centrale, où ce genre de contre-pouvoir interne à l’Église existait depuis des siècles.
Alors, en dépit du renforcement de la papauté, il y a tout de même eu une décentralisation du pouvoir?
Des communes et des corporations ecclésiastiques ont été créées pour se protéger de la cléricalisation. Lorsque les milieux conservateurs affirment aujourd’hui que les structures parallèles État-Église sont des inventions protestantes, ils se trompent complètement. C’est précisément parce que dans de nombreuses communes de Suisse centrale, les fidèles choisissaient leurs prêtres, définissaient leur tâches, leur imposaient l’obligation de résider dans le pays et interdisaient la constitution de bénéfices, que la Réforme, qui exigeait justement cela, n’avait aucune chance.
L’infaillibilité pontificale était fortement critiquée, autant à l’époque où elle a été décrétée, que maintenant. Qu’est-ce qui a fait que les catholiques de 1870 ont accepté cette idée?
C’était une époque de grands changements sociaux et économiques. La mobilité géographique et sociale s’intensifiait. Tout cela a amené de la confusion et déstabilisé de nombreuses personnes. Ce contexte a augmenté la dangereuse inclination humaine à s’orienter vers une autorité absolue. Néanmoins, en 1874, près de 40% des catholiques suisses ont accepté une Constitution fédérale allant totalement à contresens de l’esprit anti-libéral lié au dogme de l’infaillibilité.
A qui a profité, dans l’Eglise, la déclaration de l’infaillibilité?
Aux conservateurs purs et durs. A Obwald, par exemple, les anciens ecclésiastiques modérés du chapitre paroissial ont été démis de leurs fonctions et remplacés par des jeunes ultramontains fidèles au pape. Une des conséquences a été que ce même canton, qui en 1866 avait été le seul de Suisse centrale à approuver la liberté d’établissement des Juifs, a voté contre leur liberté de culte en 1872 et 1874. Le clergé avait une grande influence – tant dans les pays d’origine que dans la diaspora, qui se développait à l’époque.
Et qui étaient les perdants?
Les forces libérales et indépendantes. Certains de ces partisans ont ensuite fondé l’Église catholique chrétienne, qui est cependant restée minoritaire. (cath.ch/kath/rr/rz)