Résultats des enquêtes sur l'affaire Frochaux
L’évêché de Fribourg a livré, le 15 juillet 2020, les conclusions de deux des trois enquêtes pour abus sexuels ouvertes contre l’abbé Paul Frochaux, ancien curé de la cathédrale. Aucun élément ne permet d’établir qu’une ambiance ‘homo-érotique’ et de harcèlement sexuel ne régnait à la cure de Vevey au moment où le prêtre y vivait. Le cas d’abus sexuel sur un jeune de 17 ans, en 1998, à Torgon (VS) semble bien être resté unique.
«A partir de l’enquête que nous avons menée aucun élément objectif ne vient corroborer les accusations de l’abbé Nicodème Mekongo concernant un climat «homo-érotique» et de harcèlement sexuel à la cure de Vevey dans les années 2008-2011, a indiqué par visio-conférence Ludivine Delaloye, avocate auprès du cabinet Harari, à Genève. Ce qui ne veut pas dire pour autant que l’abbé Mekongo a menti, a-t-elle nuancé, car dans ces cas, le ressenti subjectif de la personne compte beaucoup.»
Les événements de Torgon sont restés isolés
L’enquête du cabinet Harari a consisté en une série d’auditions avec 13 personnes qui ont pu venir accompagnées d’un avocat ou d’une personne de confiance. Chaque entretien a fait l’objet d’un procès verbal signé. Les personnes interrogées oralement étaient toutes des témoins directs. L’avocat a aussi reçu un certain nombre de dépositions écrites concernant des témoignages indirects. A la question de savoir si l’abbé Mekongo avait été victime de harcèlement et si l’attitude de l’abbé Frochaux à son égard était celle d’un prédateur la réponse est négative.
L’enquête Harari conclut en outre que les événements de 1998, concernant l’abus sexuel sur un jeune de 17 ans dans un chalet de Torgon, sont restés isolés, aucune trace d’abus supplémentaires n’ayant été révélée. Aucune autre accusation à l’encontre de l’abbé Frochaux n’est apparue depuis lors, conclut le rapport qui ne se prononce pas sur la nature pénale des faits reprochés (objet de la 3e enquête de la police pas encore close, ndlr)
Le mystère persiste sur la disparition des documents
L’enquête interne ordonnée par Mgr Morerod portait sur la disparition de documents sur l’affaire de Torgon dans le dossier Frochaux à l’évêché. Elle a été menée par Cédric Chanez, ancien collaborateur de l’évêché, de 2013 à 2015, à 20%. Sa recherche a permis de considérer que le dossier Frochaux contenait bien à partir de 2001 une enveloppe en principe scellée contenant le protocole de l’entretien du 30 novembre 2001 et peut-être la lettre de dénonciation de la victime adressée à Mgr Bernard Genoud.
La seule sortie mentionnée de cette enveloppe est sa consultation en 2008 par la présidente de la commission SOS prévention. Elle a ensuite disparu. Mais l’enquête n’a pas permis de déterminer ni l’auteur, ni la date, ni le motif de cette disparition, a noté Cédric Chanez.
Pour des faits remontant à une vingtaine d’années, les 15 personnes interrogées n’ont pas pu apporter de souvenirs précis. Les faits réels peuvent aisément se confondre avec des souvenirs reconstruits notamment à travers la lecture de la presse, a relevé l’enquêteur. «En outre à l’époque de nombreuses personnes pouvaient avoir accès aux archives de l’évêché.»
Après l’éclipse de 2008, le procès-verbal de l’entretien est réapparu dans une archive électronique du serveur de l’évêché en 2015.
Que savait Mgr Morerod?
La deuxième partie de l’enquête portait sur le niveau de connaissance de Mgr Morerod concernant cette affaire d’abus sexuel. Dès son entrée en fonction en 2011, il avait vraisemblablement été informé de manière très générale d’une affaire impliquant Paul Frochaux qui est nommé curé de la cathédrale en 2012.
C’est en 2015 qu’il prend connaissance du PV de l’affaire de Torgon. Mais ce document ne donne aucune description précise des actes commis, ni sur le fait qu’un mineur y était impliqué. En 2016, lorsque le nom de l’abbé Frochaux est évoqué pour le poste de vicaire épiscopal à Neuchâtel, ce dernier vient-lui-même parler de cet ‘écart’ à Mgr Morerod, tout en minimisant les faits. «Il pensait probablement que ce jeune de 17 ans avait la majorité sexuelle.»
«La raison pour laquelle, Frochaux n’a pas été nommé vicaire épiscopal n’était cependant pas celle là, mais le fait qu’il a refusé», a précisé Mgr Morerod. «Si le mot pédophilie figure bien dans le PV de 2001, c’est pour dire que la victime ne considère pas l’abbé Frochaux comme pédophile.»
L’évêque a cependant reconnu que la procédure menée en 2001 pour traiter cette affaire n’avait clairement pas été à la hauteur de la gravité des faits. «Les personnes ont minimisé les faits. Ce que Mgr Rémy Berchier (vicaire général à l’époque qui avait mené l’entretien ndlr) ne nie pas aujourd’hui.»
Pas de ‘lobby gay’
Ni le rapport Harari, ni celui de l’enquête interne ne font état de l’existence d’un ‘réseau’ de prêtres ou de responsables qui auraient contribué à dissimuler des faits ou à détruire des preuves. «Je ne vois pas tout, je suis peut-être naïf, a expliqué l’évêque. Mais souvent dans ces cas d’abus sexuels ou d’homosexualité, même les plus proches ne le voient pas. Je n’ai pas l’impression d’un ‘lobby gay’ organisé qui travaillerait dans un but de pouvoir. Je veux que la lumière se fasse. Ce n’est pas toujours agréable mais c’est nécessaire», conclut-il.
Quel avenir pour Paul Frochaux?
Le dossier de Paul Frochaux a été transmis fin juin à la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome qui est compétente pour les affaires d’abus sexuels sur mineurs. «Le jugement ne dépend pas du diocèse», a précisé Mgr Morerod. En attente du jugement romain, son ministère lui a été retiré provisoirement. Depuis il a donné sa démission et a pris une retraite anticipée.
Dans le cas de l’affaire de Torgon, au plan du procès canonique, divers éléments entrent en jeu. Le premier concerne l’âge de la majorité sexuelle. Jusqu’en 2001, cet âge était fixé à 16 ans avant d’être repoussé à 18 ans. Selon le principe de non-rétroactivité, pour les faits de 1998, seuls les actes commis sur un mineur de 16 ans constituent un délit.
Le deuxième élément est celui de la prescription. Là aussi la norme a évoluée. Jusqu’en 2011 elle est fixée à 10 ans avant de passer à 20 ans depuis l’âge de la majorité de la victime. Dans les affaires graves impliquant plusieurs victimes la prescription peut être levée.
La suspense est une peine du droit canon considérée comme médicinale, c’est-à-dire qu’elle sert à guérir la personne pour la ramener dans le droit chemin. Elle est donc généralement temporaire. L’interdiction d’exercer du ministère est, par contre une peine expiatoire et peut être prononcée à perpétuité ou pour un temps déterminé. Le renvoi de l’état clérical est la peine la plus sévère, mais elle reste généralement réservée aux cas les plus graves, relève l’abbé Jacques Papaux, official du diocèse.
L’abbé Frochaux ne semble pas en outre avoir été un récidiviste. L’ampleur médiatique donnée à l’affaire aurait dû permettre à d’autres personnes de se manifester si cela avait été le cas, note l’abbé Papaux. (cath.ch/mp)
L’affaire Mekongo
L’avancement de la procédure concernant l’abbé Frochaux permet de relancer celle visant son accusateur l’abbé Nicodème Mekongo, ouverte en décembre 2018. Il s’agit à la fois de la question d’une recherche en paternité et d’une enquête sur la gestion de sa paroisse de Peseux après les doléances de nombres de ses fidèles. «Mais je suis très respectueux des procédures car il faut éviter tout vice de forme», a indiqué Mgr Morerod. L’évêque a précisé notamment que l’abbé Mekongo devait être entendu par deux ‘curés conseillers’ (il s’agit de prêtres désignés pour cela avec l’accord du conseil presbytéral, ndlr). Pour l’heure, l’abbé Mekongo ne fait pas l’objet de sanctions canoniques. MP
La formation des séminaristes
La révélation successive de cas de pédophilie, d’abus sexuels ou d’homosexualité dans le clergé remet en cause les critères d’admission et la formation des futurs prêtres. «Le tri initial est assez exigeant a expliqué l’abbé Nicolas Glasson supérieur du séminaire. En moyenne nous acceptons entre un tiers et un quart des candidats qui se présentent pour l’année propédeutique. Sur les candidats reçus, environ la moitié parviennent au bout de leur formation de six ans et sont ordonnés prêtres. Les départs sont dus à de multiples facteurs, pas seulement celui du célibat.»
Blandine Treyvaux-Charles, psychologue depuis 25 ans, est chargée de la formation initiale des séminaristes sur les questions de sexualité. «Les jeunes qui arrivent sont parfois empreints d’une image de perfection. Mais il faut leur faire comprendre que l’homme est faillible et que c’est sur ces failles qu’il faut travailler.
Globalement la sexualité est une énergie vitale pour l’interaction avec les autres. Les prêtres en ont forcément une et doivent savoir à quoi ils s’engagent dans le sacerdoce. D’où l’importance d’un solide discernement.» En outre les futurs prêtres ont des profils toujours plus différents, entre des jeunes de 19 ans ou des hommes nettement plus âgés et plus matures, l’approche n’est pas la même.» MP