«Il est l'heure de mourir», vers un accompagnement du suicide assisté?
L’Eglise catholique n’accepte pas l’aide au suicide. Il arrive néanmoins que des agents pastoraux accompagnent jusqu’à la fin ceux qui ont décidé de mourir. kath.ch présente trois témoignages d’expériences vécues. Le premier est celui d’Ingrid Grave. La religieuse dominicaine d’Ilanz est connue comme ancienne animatrice de l’émission «Sternstunde», à la télévision suisse alémanique.
Barbara Ludwig, kath.ch/traduction: Raphaël Zbinden
«J’ai rencontré Anna Müller* dans les locaux d’un journal, raconte Sœur Ingrid Grave. Le média voulait faire une double interview avec une religieuse et une prostituée. Même si Anna ne présentait pas comme telle, elle faisait des séances SM (sado maso). Le journaliste a donné des mots-clés pour orienter notre conversation. Le premier était ‘amour’. Anna a dit spontanément: ‘L’amour, c’est juste un mot’. C’est dans ce cadre que nous avons fait connaissance. Après l’interview, elle a voulu absolument m’inviter à boire un café. J’ai accepté.
Pendant plus de dix ans, j’ai eu des contacts occasionnels avec elle, qu’elle a toujours recherchés. De temps en temps, elle venait manger avec moi. Elle m’a également invitée dans son studio, dans une rue commerçante de Zurich. Là, elle m’a montré son livre de prières, qu’elle avait gardé de sa jeunesse, déchiré et jauni. Elle avait aussi une bouteille d’eau bénite. Elle avait l’habitude de faire des aspersions pour les hommes et pour le monde en général. Ce fut le point de départ de nos conversations sur la religion.
«Un cierge qui brûle pour toi«
Anna était croyante, mais d’une manière que je ne saisissais pas vraiment. L’eau bénite était importante pour elle. Ainsi que le fait d’allumer des cierges. Un jour, elle m’a appelée pour me dire que ses affaires n’allaient pas bien, et que je devais prier pour qu’elles se rétablissent. Je lui ai dit : ‘Je vais allumer une bougie pour toi’. Et elle en a été très heureuse. Alors j’ai continué à allumer des bougies pour elle jusqu’au jour de sa mort.
Chaque fois que quelque chose lui arrivait, j’allumais une bougie et lui écrivais une carte postale, parfois du monastère d’Ilanz (GR) en lui disant: «Il y a une cierge qui brûle pour toi». C’était là ma façon de l’accompagner. Plus tard, je lui ai également rendu visite quand elle est entrée en maison de retraite.
«Je n’ai a eu que des déceptions dans ma vie. Je ne veux plus continuer à vivre»
Anna Müller
Un jour, elle m’a signifié qu’elle voulait mourir avec l’organisation d’aide au suicide Exit, et qu’elle voulait que je sois là. J’ai hésité. Elle me répétait: ‘Je n’ai a eu que des déceptions dans ma vie. Je ne veux plus continuer à vivre’. A ma connaissance, elle n’avait pas de maladie particulière. Cependant, elle avait fait plusieurs séjours en clinique psychiatrique.
Puis, elle m’a rappelée, me demandant de bien vouloir venir [à son rendez-vous avec Exit]. Elle ne cessait de dire: ‘Je n’ai personne d’autre’. Elle était effectivement complètement seule. Cela m’a amenée à accepter.
«Tu iras au paradis»
Le rendez-vous était fixé le 15 août à 11 heures. J’y suis allée une heure plus tôt parce que je ne savais pas si elle attendait encore autre chose de moi. Dans une conversation précédente, elle m’avait dit qu’elle pensait aller en enfer. En lui disant aurevoir, je lui ai glissé: ‘Tu vas au paradis’. Parce que, sur cette terre, elle avait déjà été en enfer. Je me tenais au pied du lit.
Les gens d’Exit l’ont préparée pour la perfusion. Ils lui ont expliqué chaque action et ont demandé à chaque étape: ‘Est-ce toujours votre volonté?’ Elle a répondu à chaque fois avec calme: ‘Oui, je le veux’. Elle n’était pas nerveuse, en proie à aucune panique, rien. Elle a tiré elle-même le petit levier qui a fait couler la substance létale dans ses veines. Elle l’a fait dans la plus grande sérénité et le plus grand calme. Moi, je suis restée au pied du lit et je me suis inclinée. J’avais joint mes mains pour qu’elle puisse voir que j’étais en train de prier. Puis elle s’est endormie définitivement.
«Je ne pouvais pas me dérober face à une personne en détresse»
Sr Ingrid
L’heure de mourir
Le plus étrange pour moi fut la date et le moment: il était 11h, l’heure de mourir. Normalement, lorsqu’on accompagne un mourant, on s’assoit, on le regarde, on lui tient la main et on pense: ‘Combien de temps cela va-t-il encore durer?’. Mais tous ces sentiments disparaissent. On sait juste que la personne va mourir. Sur rendez-vous. Pendant le processus, j’ai eu l’impression que l’on préparait la personne à une opération. En rentrant chez moi, j’éprouvais un sentiment vraiment étrange, que je n’arrive pas à décrire. Il n’y a pas eu de funérailles, car elle voulait être enterrée dans une fosse commune.
Il s’agit de personnes et non de lois de l’Eglise
Je n’ai jamais eu de cas de conscience. Dès le départ, je me rendais compte que si je lui disais non, ce serait terrible pour cette femme, qui n’avait personne et qui ne voulait pas mourir seule. Il était clair pour moi que je ne pouvais pas me dérober face à une personne en détresse. Je n’avais pas le droit de dire que l’Eglise ne le permet pas. Il s’agit de personnes et non de lois de l’Eglise.
L’Eglise ne doit en aucun cas soutenir Exit. Moi-même je ne soutiens pas le suicide assisté. Mais ni l’Eglise ni moi ne pouvons empêcher que cela se produise. Par conséquent, je pense que l’Eglise devrait autoriser ses agents pastoraux à décider selon leur conscience s’ils veulent ou non accompagner les personnes dans de telles situations.» (cath.ch/kath/bal/rz)
*Nom fictif
Les agents pastoraux approchés par kath.ch n’ont pas proposé leur accompagnement suite à une demande d’une organisation d’aide au suicide, mais suite à la requête des personnes concernées.
Un accompagnement envisageable
Le suicide assisté qui risque de devenir «une prestation de service normal et socialement reconnue», ne peut pas être soutenu par le message chrétien, expliquait en 2019 Mgr Jean Marie Lovey. L’évêque de Sion rappelait que différentes options existent pour l’accompagnement en fin de vie.
Néanmoins selon lui, la présence d’un prêtre pour accompagner les personnes qui ont fait une demande d’assistance au suicide est tout à fait envisageable. «Il ne faut pas les exclure. Cette attitude serait inacceptable. Il faut bien distinguer la réalité du suicide assisté de celui qui en fait la demande». Mais l’évêque posait clairement les limites de cet accompagnement: Le refus éventuel du prêtre, «que je peux comprendre». Il est également impossible que le prêtre reste présent au moment de l’acte. Ce qui signifierait que l’Eglise cautionne le geste. BH
L'accompagnement pastoral du suicide assisté
L'Eglise catholique n'accepte pas l'aide au suicide. Il arrive néanmoins que des agents pastoraux accompagnent jusqu'à la fin ceux qui ont décidé de mourir. kath.ch présente trois témoignages d'expériences vécues.