Pascal Tornay: «L'Eglise doit apprendre à écouter les pauvres»
Le diacre valaisan Pascal Tornay, responsable du Service diocésain de la Diaconie (SDD), revient sur le rôle qu’a joué le SDD au plus fort de la crise sanitaire, pour venir en aide aux personnes en situation de précarité, en lien avec les associations caritatives sur le terrain. Il voit dans cette crise une opportunité de «déployer» la diaconie et de faire connaître ce jeune service, né il y a seulement trois ans.
Comment fonctionne le SDD, en matière d’aide aux plus démunis?
Pascal Tornay: Le SDD est lui-même pauvre et c’est très bien ainsi! Nous n’avons ni les moyens ni la vocation à entrer en action directement sur le terrain de manière concrète. Notre comité de six membres tente plutôt de créer des synergies et de favoriser des rencontres avec diverses associations selon les besoins exprimés sur le terrain. Le Service vise notamment à créer des liens entre l’Eglise et les associations caritatives agissant dans le diocèse. Nous sommes comme un carrefour où se retrouvent différents acteurs qui souhaitent coopérer. Nous sommes un espace où peuvent naître des réflexions et des actions. Nous essayons de travailler en réseau selon les cinq points d’attention que nos statuts retiennent: précarité et exclusion, migration et asile, addictions, privation de liberté et nomadisme.
Quelles compétences du SDD ont été le plus sollicitées lors de cette crise?
Peu de temps avant le début du semi-confinement, mi-mars, l’Association «Hôtel-Dieu» a déménagé ses locaux dans une nouvelle structure: la Maison de la Diaconie et de la Solidarité, à Sion. En raison de la pandémie, les bénévoles de l’Association Hôtel-Dieu ont distribué une soixantaine de repas chaque jour, contre une quarantaine habituellement. La mise en service de cette Maison de la Diaconie et de la Solidarité est la réalisation majeure de ces trois dernières années. Ce lieu est œcuménique et nous permet de renforcer notre accueil des plus pauvres.
L’aide alimentaire d’urgence et le soutien financier ponctuel ont été les domaines d’action de nos partenaires sur le terrain durant la crise sanitaire : notamment Sierre Partage et Noloco Partage (pour le secteur des paroisses de Nobles et Louables Contrées). L’aide de première urgence s’est faite dans des conditions difficiles en raison des exigences sanitaires. Je suis très soucieux quant à la profonde crise socio-économique qui va durer. Les aides financières se mettent encore en place actuellement. La Fondation valaisanne Pape François, avec laquelle nous collaborons régulièrement, offre des moyens pour répondre à des demandes ciblées. La fondation répond à des demandes d’associations ou d’institutions qui interviennent en faveur des plus défavorisés.
Autant la situation à Genève, ville internationale et riche, a été médiatisée autant ces situations dramatiques semble être passées inaperçues dans le diocèse de Sion.
A l’occasion d’une modeste distribution de nourriture que j’ai organisée à Martigny, j’ai vu à quel point il est difficile pour certaines personnes de se résoudre à demander de l’aide. Devoir demander, c’est avouer qu’on est dépendant et ce n’est jamais facile. En fait, nous sommes tous interdépendants. Personnellement, je n’ai pas eu de diminution de revenu et j’ai été un béni entre les bénis. C’est très paradoxal de ne pas subir la crise et d’avoir ce contact étroit avec des personnes qui la subissent de plein fouet. Je me suis souvent demandé comment me tenir devant ces gens alors que j’avais vécu cette période assez paisiblement.
«J’ai vu à quel point il est difficile pour certaines personnes de se résoudre à demander de l’aide.»
Vous travaillez dans l’ombre. Pourquoi ne pas vous faire mieux connaître, lancer une campagne de dons, comme par exemple Caritas ou Action de Carême, alors que vous faites beaucoup?
Ce que vous dites me plaît! Ce serait la preuve que nous sommes capables de mobiliser les nombreuses structures qui existent déjà au lieu de vouloir toujours être à l’origine des initiatives. Cela correspond à l’humilité et la discrétion du travail en diaconie.
Avec à peine trois ans d’existence, nous sommes en plein développement. Nous avons mis sur pied un réseau d’acteurs en milieu carcéral. Nous mettons actuellement sur pied un pôle «santé» (accès à des conseils et à des consultations médicales de base) et «juridique» (assistance légale pour les requérants d’asile notamment). Pour prendre une image, nous sommes sur un bateau qui tangue! Actuellement, nous travaillons beaucoup à créer du lien et à tisser un réseau avec nos délégués dans les Secteurs mais aussi avec des associations caritatives qu’elles soient ecclésiales ou non.
J’ai récemment contacté l’Armée du Salut et des Eglises évangéliques. Je souhaite aussi tisser des liens avec la communauté musulmane pour élargir notre champ de vision. Nous n’allons pas créer plus des associations mais plutôt susciter des contacts à partir desquels nous mettrons en place des collaborations pour servir au mieux les gens qui en ont besoin.
Vous vous appuyez aussi sur des structures existantes
Oui, à Sion, Sierre, Martigny et Monthey, nous pouvons déjà compter sur des associations et des activités en lien avec la diaconie. Ce sont de bonnes bases à partir desquelles la diaconie va s’étendre dans le diocèse. Dans les vallées latérales, des associations d’entraide existent et font merveille, mais le rapport à la précarité est très différent.
Le public voit souvent la diaconie comme l’Eglise qui se penche vers les pauvres pour les aider. La diaconie ce n’est pas juste un «match aller». L’enjeu, c’est surtout le «match retour». Il nous faut partir des personnes en situation de précarité pour travailler avec elles plus que pour elles! Nous devons nous questionner sur la place que nos institutions ecclésiales laissent aux personnes marginalisées et sur ce que celles-ci peuvent apporter à l’Eglise pour qu’elle s’ouvre davantage mais selon leur approche, leur vision. Il s’agit de prendre leur point de vue au sérieux. Nous avons beaucoup à apprendre d’eux. Ils ont un sacré potentiel de conversion.
Il faut inverser le paradigme…
Exactement. La diaconie doit pouvoir partir du point de vue des plus vulnérables, et pas systématiquement de l’Eglise qui doit apprendre à les écouter, à leur donner une place et à prendre au sérieux leur parole. A partir d’une vraie considération des pauvres dans leur parole et de leur positionnement, on fera une diaconie qui soit un véritable service et pas un «bras armé» de l’Eglise qui vient «donner aux pauvres», au sens condescendant du terme.
«La diaconie doit pouvoir partir des pauvres, pas systématiquement de l’Eglise qui doit apprendre à les écouter, à leur donner une place et à prendre au sérieux leur parole.»
Cette crise, aussi catastrophique qu’elle soit, est-elle une opportunité de mettre en lumière la diaconie?
Vous m’ôtez les mots de la bouche. Une opportunité là où on ne l’attendait pas… Je pense que c’est une «chance» pour la diaconie, même si c’est un mot très difficile à entendre pour certains qui souffrent et qui vont souffrir encore. Il y a une opportunité parce qu’un plus grand nombre de personnes a fait l’expérience d’une certaine vulnérabilité. On a constaté, à travers cette crise, que la société ne tient qu’à un fil. Dans ce contexte, je vois l’occasion pour la diaconie de se déployer, de prendre corps dans les lieux où on ne savait pas ce que c’était et où l’on ignore encore ce que c’est.
Qu’est-ce que la diaconie?
Le mot grec diaconos veut dire «serviteur», qui est bibliquement assez proche du terme «doulos» qui signifie «esclave». Quand Jésus lave les pieds de ses amis, il veut montrer jusqu’où va le service des frères et sœurs. Nous avons affaire là à un Dieu-amour prosterné devant l’Homme. A sa suite, en tant que serviteur, je dois, d’une certaine manière, me prosterner aussi devant mon frère ou ma sœur. C’est une posture d’attention à l’autre et d’humilité. La diaconie tire sa racine de ce Dieu-serviteur qui vient, se penche, lave et prend grand soin de tout être humain et qui finit par accepter la mort sur la croix pour manifester jusqu’où va l’amour de Dieu pour nous. Cela renverse notre image du Dieu tout-puissant qui arrive «par-dessus». Intégrer cette donnée-là passe par une conversion profonde qui est l’œuvre de l’Esprit.
Vous l’avez dit: les gens découvrent la diaconie. Ce n’est pourtant pas nouveau.
La diaconie n’a pas d’âge. Dans notre Eglise très centrée sur la messe, de nombreuses personnes, je l’espère, ont pu faire l’expérience concrète d’une certaine diaconie. Sans la messe durant plusieurs semaines, les fidèles ont peut-être exploré à nouveaux frais le fait de se trouver en présence réelle du Seigneur dans le service de frères et de sœurs en situation de détresse. Ce service commence par l’attention aux membres de sa famille. La diaconie met bien en valeur ce mode de présence du Christ-serviteur au milieu de son peuple. Je trouve que c’est une manière tout aussi forte de communier…
A la lumière de cette crise sanitaire, qu’est-ce que la diaconie pourrait apporter à l’Eglise?
Le Seigneur n’a pas dit que, pour entrer au paradis, il fallait exclusivement fréquenter l’Eucharistie. Dans l’Evangile, le service du pauvre et du petit est le critère-clé qui permet de dilater notre cœur à une conscience universelle et d’élargir la communauté ecclésiale à toute l’humanité. Celui qui est capable de donner ce simple verre d’eau à un de ces petits qui sont nos frères saisit en acte l’enjeu spirituel et ecclésial profond de la vie chrétienne. C’est selon moi un enjeu majeur de l’évangélisation au 21e siècle.
Soyons clairs, il ne s’agit pas d’opposer l’Eucharistie et la diaconie. L’Eglise enseigne que l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie chrétienne. Dans le public, la pratique chrétienne est si souvent réduite à la seule participation à la messe… Or, la vie chrétienne n’est pas constituée que d’un sommet, la «cerise sur le gâteau», comme on dit ! En-deçà de la cerise, il y a bien un gâteau! Pour moi, le gâteau, ce sont les multiples «périphéries» chères au pape François et il y a urgence à considérer que les fréquenter est une manière réelle de communier au Christ…
«Le service du pauvre et du petit est le critère-clé qui permet de dilater notre cœur à une conscience universelle et d’élargir la communauté ecclésiale à toute l’humanité.»
Que dire de l’attitude de l’Eglise dans cette crise inattendue qui a eu, comme nombre d’institutions dans le pays, beaucoup de mal à réagir et qu’on critique aujourd’hui?
Il n’y a pas de réponses toutes faites. Il faut se questionner. Le simple fait de se dire: «on a été désemparé, nos solutions n’ont pas été à la hauteur ou pas comme on le souhaitait», dénote qu’on vit une profonde insatisfaction. Cette insatisfaction est féconde pour autant qu’on ne tombe pas dans le reproche, la culpabilité ou dans la polémique. Il me semble crucial de nous en remettre au Seigneur dans un dialogue priant. Rien ni personne ne sera jamais «à la hauteur»! Cette expression est piégée.
Nous sommes petits, précieux et vulnérables. Cette pandémie est venue nous le rappeler. Nous avons vécu un désert. Cette situation doit à présent nous pousser à la relecture sans tomber dans une culpabilité morbide. Il serait important que nous ayons des retours sur les expériences qui ont été vécues ici et là en termes de diaconie, voire plus largement encore, pour qu’on puisse tirer les leçons et aller de l’avant sans crier au loup.
Durant cette pandémie, je crois que chacun a donné le meilleur de lui-même. Je crois que si cette insatisfaction nous cheville au corps et nous rappelle que nous ne serons jamais «à la hauteur», il faut écouter ce signal. Tant qu’on peut vivre cette saine tension intérieure, qui va de l’insatisfaction à l’abandon dans l’Esprit, en passant par une relecture commune et priante, on est dans la fécondité parce qu’on est dans l’écoute, l’ouverture à la grâce. On se situe ainsi en situation d’apprenants qui osent poser des jalons pour le futur. (cath.ch/bh)
Noloco Partage
«Des familles monoparentales ou recomposées, des personnes seules, des travailleurs saisonniers, des petits employés et des sans papiers ont représenté la plus grande partie des gens qui sont passés à l’épicerie ces dernières semaines», témoigne Marie-Noëlle Favre, bénévole à l’association Noloco Partage. Elle a recensé jusqu’à 50 passages par semaine, contre une quarantaine habituellement. L’association, née des paroisses catholique et protestante de la Noble et Louable Contrée, comptait peu de bénéficiaires il y a 4 ans à sa création. Environ 80 à 100 personnes vivent de l’aide alimentaire et des biens de première nécessité que le magasin met à disposition. Le soutien de 5 fondations permet un coup de pouce financier pour payer des factures ou le loyer.
Sierre Partage
Christine Perruchoud, bénévole à l’association Sierre Partage évoque les mêmes profils des personnes passées chaque semaine qui ont pu bénéficier des invendus des magasins de Sierre. «Les images des files d’attente à Genève ont été un vrai détonateur. Dès le lendemain, beaucoup de gens, choqués, nous ont contacté pour faire des dons», explique la bénévole. Elle remercie les 50 personnes qui se sont présentées pour apporter de l’aide, alors que les bénévoles, âgés et donc à risque, ont dû rester chez eux. Pour le mois de mai, elle a comptabilisé 367 enfants et 623 adultes qui ont reçu de l’aide. Environ 20% de personnes en plus que d’habitude. Les deux bénévoles parlent de la grande difficulté qu’éprouvent les personnes âgées à venir chercher de l’aide. Elles les prennent en rendez-vous individuel. «Si non, elles ne viendraient pas». BH