Il y a 100 ans, le pape Benoît XV canonisait Jeanne d'Arc
Presque cinq siècles après sa mort sur le bûcher à Rouen en 1431, Jeanne d’Arc, probablement une des saintes les plus iconiques de l’histoire de France, déclarée sainte le 16 mai 1920, était incluse au martyrologe. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, Benoît XV déclarait alors voir en la Pucelle un «nouveau signe de la justice et de la miséricorde de Dieu».
Condamnée par l’Eglise pour hérésie sous l’influence du Royaume d’Angleterre puis mise à mort car ›relaps’ en 1431, l’importance spirituelle de la Lorraine est longtemps négligée. Au XIXe siècle cependant, la France redécouvre son destin extraordinaire, notamment grâce à l’historien Jules Michelet. Le rapprochement qui s’opère alors entre la République française, fière de son héroïne nationale et le Saint-Siège, plus ouvert aux régimes modernes depuis le pontificat de Léon XIII (1878-1903) signe le retour en grâce officiel de Jeanne d’Arc. Et sa canonisation représente donc un moment marquant dans l’histoire des relations entre l’Eglise et sa ›fille aînée’.
Trois miracles
«Par la disposition de la clémence divine, après une longue période, alors que la terrible guerre a produit tant de maux, il nous est offert un nouveau signe de la justice et de la miséricorde de Dieu» : c’est ainsi que le pape Benoît XV commence Divina Dissonente, la bulle papale reconnaissant la sainteté de Jeanne d’Arc, le 16 mai 1920. C’est l’aboutissement d’une enquête longue de onze ans, depuis la béatification de la Lorraine en 1909. La reconnaissance de trois miracles en cette année 1920 ouvre la porte à cette canonisation souhaitée ardemment par Pie XI et Benoît XV.
A l’occasion d’un consistoire, le pontife choisit d’ailleurs de procéder lui-même à la canonisation de la Pucelle, de sorte que l’acte peut être vécu par l’Eglise catholique comme un événement universel, et pas seulement national. Sont néanmoins présents ce jour-là de très nombreux évêques français, canadiens ou belges, tous attachés à l’héritage de Jeanne d’Arc, et même un ambassadeur extraordinaire dépêché par la France en la personne de l’historien et spécialiste de la sainte Gabriel Hanotaux.
Une sainte de l’après-guerre
Au début d’une messe qui emplit la basilique Saint-Pierre d’une foule fervente, le pape déclame devant une assemblée émue la bulle qui retrace la vie héroïque de la martyre. Il rappelle notamment sa rencontre avec l’Ange de Dieu, le soutien qu’elle apporte alors qu’elle n’a pas vingt ans au dauphin afin qu’il reprenne le trône de son pays, la glorieuse prise d’Orléans et bien entendu le procès injuste infligé à la jeune femme et qui la mène à la mort. Sont alors prononcés les mots tant attendus :
«En l’honneur de la Sainte et Indivisible Trinité, pour l’accroissement et la gloire de la foi catholique, avec l’autorité de Notre Seigneur Jésus-Christ, des Saints Apôtres Pierre et Paul, et la nôtre, avec une décision méditée, avec le vœu des fils et filles bien-aimés des Cardinaux de Saint Jean d’Arc, nous a présenté les vœux et les prières des évêques pour inclure la Bienheureuse Jeanne d’Arc dans le nombre des saints. R. C. et avec l’avis des Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques, nous avons déclaré que la bienheureuse Jeanne d’Arc susmentionnée est Sainte».
Pour le pape Benoît XV, cette sainte de la guerre de Cent Ans est un modèle pour l’Europe de l’après-guerre. «Dieu choisit les faibles de ce monde pour confondre les puissants», déclare-t-il lors de son homélie, reprenant les mots de saint Paul. «Une faible femme a fait retentir l’univers de ses faits merveilleux et aujourd’hui nous célébrons sa gloire éternelle». Pour le pape, il s’agit bien, par cette canonisation, de faire entendre raison aux grands de ce monde après le désastre humain de la Première Guerre mondiale:
«Que les rois donc et les juges de la terre comprennent que Celui qui a sauvé par la main d’une femme une puissante nation d’un péril extrême, est le même qui dirige souverainement le cours des affaires de ce monde, et que ce n’est pas toujours en vain qu’on refuse de se soumettre à sa volonté souveraine.»
Trait d’union entre la France et le Saint-Siège
La canonisation est aussi l’occasion d’une réconciliation officielle avec les «chers fils de France», comme Benoît XV l’affirme à l’évêque d’Orléans le lendemain. «Quelle voix plus puissante que celle d’un décret de canonisation aurait pu porter au-delà des mers le nom de l’héroïne française?»
Aux pèlerins français nombreux ce jour-là, il rend son intention plus explicite encore: «O Seigneur tout-puissant qui, pour sauver la France, avez jadis parlé à Jeanne et, de Votre voix même, lui avez indiqué le chemin à suivre pour faire cesser les maux dont sa patrie était accablée, parlez aussi aujourd’hui, non seulement aux Français qui sont ici réunis, mais encore à ceux qui ne sont ici présents qu’en esprit, disons mieux, à tous ceux qui ont à cœur le bien de la France. […] afin qu’après avoir imité Jeanne d’Arc ici-bas, il soit donné à tous de participer un jour à la gloire de l’héroïne devant laquelle Nous avons enfin le bonheur de Nous incliner, en lui disant : Sainte Jeanne d’Arc, priez pour nous ! sainte Jeanne d’Arc, priez pour votre patrie !»
Depuis, sainte Jeanne d’Arc n’a cessé d’être un trait d’union entre le Saint-Siège et la France. En 1922, Pie XI fera même de la Pucelle la «seconde patronne» de la France derrière la Vierge Marie. (cath.ch/imedia/rz)