Il y a 70 ans la «Nuit des Barbares» décapitait l'Eglise de Slovaquie
Il y a 70 ans, la «Nuit des barbares», entre le 13 et 14 avril 1950, décapitait l’Eglise catholique en Tchécoslovaquie, alors sous le joug communiste athée. La persécution ouverte dès 1948 perdurera jusqu’à la fin des années 1970, livrant son lot de héros et de martyrs.
Le nom «Nuit des Barbares» est associé à la première phase de l’»Action K» (K pour klástory ‘couvents’), qui a débuté le 13 avril 1950. A minuit, les agents de la Sécurité de l’État (StB) ont pris d’assaut de nombreux couvent et ont emmené religieux et religieuses dans des ‘couvents de rassemblement’. Cette mesure visait à faire taire les congrégations, que le régime communiste de Tchécoslovaquie considérait comme des «instruments aveugles du Vatican».
L’annihilation programmée de la vie religieuse fut pensée en deux phases. La première du printemps 1948 à l’automne 1949 vit la réduction progressive de l’influence des congrégations, avec une diminution de leur nombre et de leurs activités. Au cours de cette période, plusieurs prêtres furent accusés d’espionnage et de haute trahison, comme lors du procès Machalka, où une dizaine de religieux, jésuites, dominicains, prémontrés et rédemptoristes de l’Église greco-catholique, furent condamnés à des peines de prison.
La seconde phase lancée à l’automne 1949 visait la désagrégation des ordres religieux. À cette époque, sur le territoire correspondant à l’actuelle Slovaquie, on comptait 1’019 religieux appartenant à 16 congrégations masculines, répartis dans 96 couvents et 4’253 religieuses de 24 congrégations, occupant 168 établissements.
Camps de rééducation
Les religieux arrêtés pendant la «Nuit des Barbares» furent divisés en trois groupes : les «plus réactionnaires» furent internés dans le monastère pénitentiaire de Pezinok. Un deuxième groupe fut concentré dans quatre couvents en Slovaquie et un troisième groupe a été sécularisé. Au total, 881 membres du clergé de dix ordres religieux furent arrêtés. Une deuxième vague d’arrestations dans les couvents eut lieu les 3 et 4 mai 1950, toujours dans la nuit.
La vie dans les monastères, où le clergé était interné, ressemblait à celle d’une prison. Les religieux devaient y être ‘rééduqués’. Plusieurs furent soumis à la torture physique et psychologique, jusqu’à ce qu’ils acceptent de renoncer à leurs vœux. Un certain nombre furent exécutés, si bien qu’à la fin de l’année 1952, l’actuelle Slovaquie ne comptait plus aucun religieux.
Des héros et des martyrs
Cette période de persécutions comptera ses héros et ses martyrs. Le Père Titus Zeman, un religieux salésien qui avait échappé à la vague d’arrestations de la Nuit des barbares, organise des filières pour permettre aux prêtres de s’échapper. Au cours de l’été 1950, un groupe de sept ecclésiastiques parvient à fuir en Italie. La deuxième évasion en octobre, cette fois avec 28 religieux, est également réussie. La troisième tentative de franchissement illégal de la frontière est fatale au Père Titus. Le 9 avril 1951, il est arrêté avec 15 autres salésiens. Brutalement torturé, il est condamné à 25 ans de prison en février 1952. Après treize ans, il a été libéré, mais ne s’est jamais remis. Lors du Printemps de Prague, en 1968 il est autorisé à reprendre le ministère. Mais il meurt d’une crise cardiaque, le 8 janvier 1969 à l’âge de 54 ans. Il a été béatifié en 2017.
Prêtre et évêque clandestin
Autre héros de l’époque, Jan Korec. Encore étudiant en théologie, le jeune jésuite est pris dans les arrestations du 14 avril 1950. Après quelques mois en prison, il est relâché et invité à trouver une occupation professionnelle. Tout en travaillant dans un laboratoire de chimie, il continue clandestinement ses études et est ordonné prêtre le 1er octobre 1950, puis évêque toujours clandestinement le 24 août 1951. A 27 ans, il est le plus jeune évêque de l’Église, avec une des charges les plus dangereuses…
Évêque d’une église des catacombes, Korec est prudent et attentif. Pour l’Etat, il est un travailleur en usine dont la fidélité politique est régulièrement contrôlée car la police sait qu’il est ›ancien’ jésuite. Clandestinement, il parvient à prendre contact avec d’anciens séminaristes. Pour eux il organise un programme d’études personnelles de théologie, et ordonne prêtres plusieurs d’entre eux.
Démasqué en 1959, il est arrêté, jugé et condamné, en avril 1960, à 12 ans de travaux forcés. Il contracte la tuberculose en prison. Durant la courte période de liberté du Printemps de Prague, Korec est libéré et ›réhabilité’ en 1968. Mais il ne lui est toujours pas permis d’exercer son ministère.
Cardinal en 1991
En 1969, il se rend à Rome où il est reçu par le pape Paul VI. À son retour en Tchécoslovaquie Korec doit reprendre, pour survivre, son travail comme ouvrier. En 1974, sa réhabilitation est annulée et il retourne en prison avant d’être enfin libéré quatre ans plus tard à cause de son état de santé.
Après la chute du régime communiste – et 39 ans après avoir été consacré évêque – Jan Korec reçoit finalement un diocèse: il est nommé évêque de Nitra en 1990, une charge qu’il occupe jusqu’en 2005 lorsqu’il démissionne à l’âge de 81 ans. Créé cardinal en 1991, il meurt en 2015. Le cardinal Korec a écrit sa vie dans un ouvrage qu’il a précisément intitulé «La nuit des barbares».
Le Synode de Presov dissout l’Eglise gréco-catholique
Deux semaines après la «Nuit des Barbares», les dirigeants communistes s’en prennent à l’Eglise gréco-catholique qui forme une minorité significative en Slovaquie. Le 28 avril 1950, un synode est «convoqué» à Presov sous la supervision des représentants du gouvernement communiste et des employés de la Sécurité politique. La plupart des participants sont des membres du parti, des étudiants et des membres de la milice, voire des passants interpellés dans la rue. Certains prêtres gréco-catholiques ont été contraints de participer par la force.
Ce Synode adopte un manifeste préalablement préparé. Les membres de l’Église gréco-catholique «font le voeu» de revenir à l’orthodoxie. Le manifeste dissout l’union avec le siège de Rome et demande au patriarche orthodoxe russe de prendre les fidèles en charge. L’Église gréco-catholique est ensuite officiellement interdite.
Au moment du synode, l’évêque gréco-catholique Pavel Peter Gojdic est arrêté, interné et condamné. Il est mort en détention le 17 juillet 1960, probablement à la suite de tortures. Il a été béatifié par le pape Jean-Paul II en 2001. (cath.ch/kap/newsva/mp)