
Accident de personne
Fidèle usager de nos CFF, j’ai l’impression que ce genre de désagrément involontaire – pour les voyageurs, du moins – se multiplient à une cadence de plus en plus rapide. On sait ce que voile cet euphémisme convenu, diffusé par hauts parleurs alors que vous attendez l’imminent départ de votre train. Un «accident de personne» est le plus souvent un suicide survenu sur la voie ferrée. Un malheur personnel sans aucun doute, mais qui entraîne des perturbations en séries. Il immobilise quelques centaines de passagers, sème le trouble dans leur agenda, annule leurs rendez-vous. Tout ce chambardement pour un seul humain qui a choisi de nous quitter de cette curieuse façon, prenant en otage une multitude de ses congénères. L’infortuné n’y a sans doute jamais songé. Les suicidés ne sont pas forcément des kamikazes!
Pris moi-même un jour dans cet écheveau de contrariétés, je contemplais stoïquement mes voisins et voisines, piétinant sur les quais, entassés dans les couloirs d’un wagon, dévalant d’une voie à l’autre à la recherche d’une éventuelle correspondance. Et cela, avec calme, sérénité et résignation, signe de respect et de compassion pour la victime. Pas un mot inconvenant à l’adresse de celui ou de celle qui bousculait le programme de leur journée. Pas plus qu’un appel à EXIT priant ce bienfaisant (?) organisme de faciliter aux fatigués de la vie l’accès à ses prestations hygiéniques, qui, de surcroît, ne perturbent en rien les transports publics.
Cet incident m’amène à réfléchir sur le comportement paradoxal de mes concitoyens. Deux cent mille, un million de victimes en Afrique les émeuvent à peine. Pas plus que les tristes records des assassinats et des violences quotidiennes en Syrie ou en Irak affichés par nos media. Mais qu’un seul de nos voisins ou voisines, quelqu’un comme vous et moi, disparaisse dans un «accident de personne» et notre paysage intérieur et extérieur est tourmenté. Il y a quelque chose de grand dans cette attitude, si conforme à notre devise nationale:«Un pour tous, tous pour un!». Un homme isolé a autant de prix que tout un peuple. A lui seul, il vaut tout l’or du monde. C’est ce qu’affirme la Déclaration des droits de l’homme qui, sur ce point, découle en droite ligne des Evangiles.
Reste à reconnaître cette dignité au moindre des humains qui de Chine en Irak, du Congo au Soudan, meurt sous les bombes ou la torture.
Guy Musy
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