Soin de la maison commune: «Laudato si'» en action à La Matanza
«A 200 m d’ici, regardez les camions qui escaladent l’immense montagne d’ordures qui domine le quartier…» La jeune Maria Vanesa Lujan Monzon nous fait découvrir le «Barrio Nicole», dans la banlieue de Buenos Aires, capitale de l’Argentine. Le projet de «pastorale écologique» du diocèse veut changer la réalité de cette zone, la plus déshéritée du quartier de La Matanza.
Pour contribuer à l’assainissement du quartier, 200 arbres y ont été plantés en novembre dernier, à l’initiative de Mgr Gabriel Barba, le dynamique évêque du diocèse de Gregorio de Laferrere, auquel appartient La Matanza.
Se basant sur la législation argentine, la Loi générale de l’environnement 25675, mais surtout s’inspirant de l’encyclique «Laudato si’» du pape François, l’évêché et la Caritas diocésaine ont lancé le projet «Cuidemos la casa común» (Prenons soin de la maison commune). Le but: rénover les zones en situation d’urgence écologique et sociale, nombreuses dans ce diocèse qui porte le nom d’un homme politique et auteur dramatique argentin du XIXe siècle, «conservateur, mais préoccupé par les questions sociales».
Odeurs pestilentielles
«Ils déversent les déchets qui viennent de la capitale, sans traitement ni sélection!», explique Maria Vanesa, coordinatrice de l’équipe de communication du diocèse. Les odeurs pestilentielles de la décharge gérée par la société d’Etat CEAMSE, qui y dépose quotidiennement entre 1’500 et 1’700 tonnes d’ordures en vrac, envahissent le quartier. Le sol, l’air et l’eau sont contaminés et de nombreuses personnes meurent du cancer. Le «Barrio Nicole» fait partie en Argentine des nombreux lieux en état d’urgence écologique et sociale.
Ici, au km 35 de la route 3, à la hauteur de Virrey del Pino, les bus ne viennent pas, ce qui fait que les gens surnomment le quartier Nicole «Ni los colectivos», c’est-à-dire «les bus ne viennent pas ici».
Sans transports publics ni ramassage d’ordures
La nuit, le quartier est dangereux, avec de fréquents actes de violence. Ceux qui travaillent loin du quartier doivent s’en remettre, pour rentrer à la maison, à un «remís trucho», un véhicule particulier sans licence, souvent complètement pourri et dangereux. Car après 21h00, il n’y a plus de transports publics…
Ce quartier déshérité, aux terrains baignés par les eaux usées stagnantes, inondé à chaque pluie, à chaque débordement du Rio Lujan, est totalement abandonné par les autorités, complètement en marge de La Matanza. Les ordures n’y sont pas collectées et les habitants les brûlent dans une odeur âcre…
Ni électricité ni accès à l’eau potable
Dans le fond du quartier, il n’y a ni électricité ni accès public à l’eau potable. Deux à trois fois par semaines, c’est un camion qui amène l’eau, un approvisionnement qu’il faut évidemment payer plus cher que dans les beaux quartiers !
Nous accompagnant à la paroisse Notre-Dame de Lima, à la Capilla Jesus Misericordioso (Chapelle Jésus Miséricordieux), dans ce barrio marginalisé, Mgr Gabriel Barba nous explique que l’initiative du diocèse vise à faire prendre conscience de l’écologie et de la solidarité, «afin que nous prenions soin ensemble de notre maison commune».
Pastorale écologique
Le projet «Cuidemos la casa común», mené avec la Caritas diocésaine, ne s’adresse pas seulement aux paroissiens, aux gens engagés dans la catéchèse, aux missionnaires, mais bien à tous nos voisins de La Matanza. «Nous voulons susciter une prise de conscience, parce que nous voulons changer notre réalité, et nous pouvons la changer. Il ne s’agit pas seulement d’apprendre quelque chose, mais surtout de mettre en pratique ce que nous avons appris!»
«Ici, nous avons déjà organisé une Journée de plantation d’arbres, demandant aux habitants de parrainer un arbre, de s’engager à en prendre soin à l’avenir et de contribuer ainsi à la protection du milieu ambiant», confie l’évêque de Gregorio Laferrere.
Main dans la main avec la coopérative Mano Abierta
Le projet a plusieurs objectifs, précise Maria Vanesa: rénover les espaces au milieu du barrio, que les habitants utilisent pour jeter leurs ordures, étant donné que la municipalité n’y fait pas de ramassage. Et surtout, faire changer les habitudes, pour que les gens deviennent plus conscients de la protection de leur environnement.
«Pour cela, nous travaillons avec une fondation non religieuse, la coopérative Unión Fundación Mano Abierta, qui organise le ramassage des ordures et les trie, afin de les recycler. Mano Abierta a installé plusieurs ‘points verts’ dans le quartier, avec un grand container pour les déchets recyclables: papier, carton, verre, aluminium… Il y a une très bonne volonté, les gens soutiennent le projet. Plusieurs emplois ont ainsi été créés dans le quartier Nicole». Le projet intègre aussi bien les écoles catholiques que les écoles publiques.
La pandémie du Covid-19 paralyse le quartier
Le diocèse travaille avec ses écoles, afin que les enfants, dès leur plus jeune âge, apprennent le recyclage. Depuis novembre 2019, quand a débuté l’opération «Prenons soin de la maison commune», beaucoup de choses se sont réalisées, mais pour le moment, en raison de la quarantaine obligatoire suite à la pandémie de Covid-19, Mano Abierta a cessé jusqu’à nouvel ordre d’effectuer la collecte porte-à-porte des matières recyclables.
Jusqu’à la mise en quarantaine du quartier, en collaboration avec Mano Abierta, les bénévoles de la Caritas s’occupaient, avec des enfants dès 12 ans, de confectionner des cages pour les chiens errants, qui pullulent dans le quartier… avec des boîtes de lait découpées. «Cela se faisait par exemple avec les élèves de l’école catholique San José, sous la supervision de leur professeur».
La municipalité méfiante
L’opération «Prenons soin de la maison commune», paralysée par la pandémie qui empêche les travaux collectifs, est ralentie. Les journées de ramassage d’ordures – étant donné que le camion-poubelle ne passe pas dans le quartier, malgré les réclamations adressées à la municipalité – ont été suspendues. «A noter que les politiciens, la municipalité, ne regardent pas notre action d’un bon œil. Ils n’aiment pas trop que l’Eglise organise les gens, que nous nous rendions visibles sur les réseaux sociaux, dans les médias… Nous dérangeons!»
Le diocèse compte bien profiter du cinquième anniversaire de la publication de l’encyclique du pape François «Laudato si’» pour faire du bruit et attirer l’attention du public. «Nous allons en profiter pour créer une pastorale écologique en lien avec la pastorale sociale!», lance avec enthousiasme la coordinatrice de l’équipe de communication du diocèse de Gregorio de Laferrere. Quand la quarantaine sera levée… (cath.ch/be)