A Einsiedeln, au temps des épidémies, l’invocation à Marie
La crise sanitaire actuelle ravive l’espoir en une délivrance miraculeuse. L’historienne de l’art Detta Kälin a étudié les croyances et les superstitions autour de l’abbaye d’Einsiedeln. Elle évoque les statues de la Vierge noire, le culte des saints… et les «bébés-crapauds».
Eva Meienberg, kath.ch, traduction Bernard Litzler, cath.ch
Qu’aurait-on fait, il y a 200 ans, à Einsiedeln pour lutter contre le coronavirus?
Rien n’aurait pu être fait à propos du coronavirus, car les gens n’avaient aucune connaissance des virus. Les mères auraient utilisé leurs remèdes maison bien connus, par exemple du thé à la sauge avec du miel contre la toux. Dans les situations mettant la vie en danger, il ne restait souvent que la prière. Et il y avait des moyens qu’aujourd’hui, on associerait à de la magie.
On avait aussi des statuettes de la Vierge à la maison…
Les répliques en argile de la Vierge d’Einsiedeln, de petit format, servaient de remèdes contre tous les maux: les maladies, les épidémies humaines et animales, mais aussi comme protection contre les tempêtes, la guerre et les accidents. Les malades grattaient la poudre d’argile de la madone et l’avalaient.
La figurine était jetée dans le feu en cas d’incendie et dans le lac déchaîné lors d’une tempête. Et les agriculteurs les enterraient dans la terre contre les maladies du bétail. Ces anecdotes se retrouvent dans les Livres des miracles conservés à Einsiedeln.
Il y aussi, parmi les objets conservés ici, un modèle de crapaud en cire?
Encore au début du XXe siècle, on fabriquait et on vendait à Einsiedeln des «bébés crapauds». Les gens avaient la croyance qu’un animal ressemblant à un crapaud mordait et grattait l’estomac des femmes et déclenchait ainsi les menstruations. Le crapaud en cire servait également d’amulette pour une bonne naissance. Après la naissance d’un enfant en bonne santé, les femmes offraient les «bébés crapauds» en guise de remerciement votif.
Quelle était la position de l’Église face à ces pratiques magiques?
L’Eglise a officiellement condamné ces pratiques. Car l’annonce chrétienne du salut devait rester intacte. Mais elle laissait aussi les gens faire. Les frontières étaient toujours plus ou moins floues. Même jusqu’à l’époque des Lumières, le monastère fabriquait lui-même des madones en argile et les distribuait gratuitement.
Actuellement les bénitiers à l’entrée des églises sont vidés…
Il y a 100 ans, les agriculteurs versaient encore de l’eau bénite dans les abreuvoirs des vaches, sur les alpages pour qu’elles restent en bonne santé et évitent de tomber ou de se perdre. Cette pratique n’allait certainement pas dans le sens de l’enseignement de l’Eglise, mais le paysan n’était pas pourtant considéré comme un pécheur.
Dans ces situations, que proposait l’Eglise, outre la messe et les sacrements?
A Einsiedeln, le pèlerinage a toujours été particulièrement fréquenté. Pour preuve, les nombreuses tablettes votives qu’on peut encore voir dans l’église du monastère aujourd’hui. Les pèlerins en étaient convaincus: Marie répondait à leurs supplications.
Les processions et les pèlerinages sont aujourd’hui interdits par les directives officielles…
Pendant les épidémies, y compris les épidémies du bétail, on célébrait de grandes messes. Les gens se réunissaient spécialement pour prier ensemble en faveur d’une guérison rapide. Personne n’aurait songé à une «distanciation sociale». (cath.ch/kath.ch/bl)