Preynat: «Le plus important est qu’il soit condamné sans sursis»
Sociologue des religions, Olivier Bobineau réagit à la condamnation de l’ex-Père Preynat, pour des agressions sexuelles sur de jeunes scouts du diocèse de Lyon, affaire à l’origine du scandale Barbarin. Il revient aussi sur l’évolution de la crise de la pédophilie que traverse l’Eglise.
Sociologue des religions et membre du Groupe Sociétés Religions Laïcités (Sorbonne-CNRS), Olivier Bobineau a suivi de près les scandales de pédophilie dans l’Eglise catholique française. Auteur de l’ouvrage Le sacré incestueux, il explique, au-delà des affaires Preynat et Barbarin, comment la société en est venue à prendre conscience de la gravité des abus sexuels sur mineurs et de quelle façon l’Eglise s’est attaquée au problème de la pédocriminalité.
L’ex-prêtre Preynat a été condamné le 16 mars à 5 ans de prison ferme. Quelle est votre réaction?
Le plus important, selon moi, est qu’il est condamné à la prison ferme, sans sursis possible.
Lors de son procès en janvier dernier, le ministère public avait réclamé au moins huit ans de prison. Cette peine est-elle trop clémente?
Il est tout d’abord extrêmement rare que les juges suivent les réquisitions du ministère public. Le jugement a ensuite sans doute tenu compte de son âge, puisqu’il a 75 ans et sortira de prison à 80 ans.
«Rappelons qu’avant 1980, la pédophilie n’était pas condamnée.»
Pour toutes les victimes du Père Preynat qui n’ont pas pu se porter partie plaignante, le délai de prescription a-t-il un sens en matière en matière de pédophilie?
Il est inaudible dans notre société actuelle, car les victimes souffrent toujours de leur trauma et doivent exiger réparation au plan juridique. Rappelons qu’avant 1980, la pédophilie n’était pas condamnée.
Quel regard portez-vous sur l’attitude de la hiérarchie de l’ex-Père Preynat?
Je ne veux pas jeter la pierre au cardinal Barbarin, mais comme le dit Molière dans l’Avare, qui se sent morveux, se mouche. Autrement dit, qui se sent coupable, s’amende, ou se confesse. Qu’il regrette, certes, mais il manque de courage. Ce «sacré incestueux», c’est aussi le «scandale des scandales», au regard de la définition qu’en donne l’Evangile.
C’est-à-dire?
Il ferait bien d’appliquer l’Evangile, celui de de Marc en particulier, qui dit: «Quiconque entraîne la chute d’un seul de ces petits qui croient en moi, il vaut mieux pour lui qu’on lui attache au cou une grosse meule, et qu’on le jette à la mer» (Marc 9.42). Pour l’exégèse, les enfants peuvent aussi représenter ceux qui commencent dans la foi, «ces petits». Or souvent, les enfants victimes de pédophilie dans le clergé perdent la foi. C’est précisément le scandale des scandales condamné par Jésus!
«Souvent, les enfants victimes de pédophilie dans le clergé perdent la foi. C’est précisément le scandale des scandales condamné par Jésus!»
C’est violent, non?
Je parle par métaphores. J’estime que ce n’est pas violent de faire état d’un texte dont se réclame l’Eglise et qu’elle n’applique pas.
En première instance, le cardinal Barbarin avait été condamné à six mois de prison avec sursis. Or le 30 janvier, il a été relaxé en appel. Estimez-vous qu’il y a deux poids deux mesures?
Non, car ce qui compte, c’est que le plus haut dignitaire de l’Eglise catholique française a été condamné, car il n’a pas dénoncé les agressions sexuelles commises par Bernard Preynat et qu’il a menti.
Vous situez le début de la crise de la pédophilie que traverse l’Eglise catholique au début des années 2000. Qu’est-ce qui a changé?
ll y a eu l’affaire Pican. C’est la première fois en Europe qu’un évêque est condamné pour non-dénonciation de crimes pédophiles. Il y a l’évolution de la société, ensuite. Souvenons-nous que dans les années 70, Daniel Cohn-Bendit ou l’écrivain Gabriel Matzneff, dans son livre Les moins de seize an, paru en 1974, se vantaient d’avoir des relations avec des enfants. Ils étaient invités à l’émission de télévision de Bernard Pivot sans que cela ne fasse scandale. La pédophilie n’est un scandale que depuis les années 1980-90.
«L’Evangile va ainsi accoucher de la notion de sacralité de l’enfant.»
Comment s’explique cette évolution?
Par le développement de la psychologie de l’enfant et des apports comme celui de la pédiatre et psychanalyste Françoise Dolto, dès 1972, et de la pédagogue Maria Montessori (ndlr. 1870-1952), dont elle s’inspire. Leur vision de l’enfant comme personne à part entière va profondément changer notre regard. Maria Montessori, qui a révolutionné l’apprentissage des enfants, était une femme de grande foi. Sa pédagogie puise ses racines dans la foi personnelle de son auteure (elle était catholique, ndlr). La méthode Montessori suit son propre chemin, mais celui-ci n’est jamais loin des paroles du Christ sur les enfants: «Toutes les fois que vous avez fait ces choses aux plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites». (Matthieu 25:40). L’Evangile va ainsi accoucher de la notion de sacralité de l’enfant.
Vous l’affirmez dans votre livre, Le sacré incestueux*, la pédophilie dans le clergé est la confrontation de deux formes de «sacré», le prêtre et l’enfant, qui constituent le «sacré incestueux». C’est-à-dire?
L’inceste est une relation illicite entre parents et enfants, les parents n’étant pas nécessairement les parents biologiques. Je parle d’une parentalité sociale et juridique. Or l’Eglise catholique romaine intègre dans toute sa hiérarchie un lexique paternel. Comment appelle-t-on le prêtre? Mon père. Le pape veut dire «papa» en grec , l’«abbé», de l’araméen abba, signifiant «papa», l’évêque appelé «Monseigneur», vient de «senior» et signifie «les pères ancêtres», on parle des «Pères des Conciles» et des «Pères du déserts» pour les moines. La figure du sacré, dont la légitimité vient «d’en haut», c’est le prêtre. Par conséquent, si un prêtre a une relation avec un enfant, il abuse de la figure du sacré de la société moderne, dont la légitimité vient «d’en bas», c’est-à-dire des démocraties: l’enfant.
En quoi l’enfant est-il la figure sacrée des sociétés modernes?
Avant d’être conçu, l’enfant est tout d’abord chéri et attendu. Ensuite, il devient la projection de ses parents et fait l’objet de tous les investissements possibles et imaginables: financiers, psychologiques et en termes de temps. Surtout, l’enfant est intouchable! Oser porter la main sur un enfant est aujourd’hui inenvisageable. La consécration de cette figure sacrée de l’enfant est illustrée par la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par les Nations unies en 1989. C’est à partir de là qu’on va criminaliser la pédophilie.
Ce nouveau statut de l’enfant a donc bouleversé la perception même de la pédophilie?
Exactement, car il acquière à partir de là un statut et une légitimité.
«L’Eglise est en train de faire la lumière sur les abus sexuels avec la Commission Sauvé, qui a reçu près de 4’000 signalements de victimes depuis juin 2019.»
Est-ce que, selon vous, l’Eglise s’est vraiment attaqué au problème de la pédophilie?
Elle est en train de le faire en France, notamment avec la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (CIASE), dite Commission Sauvé, du nom de son président Jean-Marc Sauvé. Créé en automne 2018, elle est chargée de faire la lumière sur tous les abus sexuels commis par des clercs depuis les années 1950, afin de mettre en place des mesures de prévention pour éviter que de tels drames ne se reproduisent.
La Commission Sauvé a reçu près de 4’000 signalements de victimes, depuis le premier appel à témoignages en juin 2019. Vous avez-vous-même été auditionné par elle. Doit-on selon vous s’attendre à de nouveaux procès?
Oui, il y a une courbe qui va croître de manière exponentielle, nous ne sommes qu’au début des déclarations, car pour la première fois, il est légitime d’en parler. (cath.ch/cp)
* Le sacré incestueux, Olivier Bobineau (avec Constance Lalo & Joseph Merlet), éd. Desclée de Brouwer, Paris, février 2017