Un groupe d'enfants de Vénissieux au château de Peyrins, dans la Drôme | DR
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Le sauvetage de 108 enfants juifs, par 'l'Amitié chrétienne', en 1942

Avec «Vous n’aurez pas les enfants», l’historienne française Valérie Portheret livre le récit saisissant du sauvetage de 108 enfants juifs du camp de triage de Vénissieux, près de Lyon, les 28 et 29 août 1942. Grâce à une chaîne de solidarité sous l’égide de ‘l’Amitié chrétienne’ et la protection du cardinal Gerlier, ils ont échappé à la déportation vers les camps de la mort.

Docteure en histoire contemporaine, Valérie Portheret a soutenu, au terme de vingt-cinq ans de recherches, une thèse sur le sauvetage des enfants du camp de Vénissieux. Elle a recueilli, partout dans le monde, la parole d’un très grand nombre d’entre eux. Loin d’un récit ‘clinique’, elle fait revivre heure par heure les jours terribles de fin août 1942 à travers les souvenirs des enfants et de leurs sauveteurs ainsi que les documents d’époque.

Un ‘V’ au crayon à papier sur un registre

Le point de départ de la recherche de Valérie Portheret remonte à 1993. Jeune étudiante en histoire, elle visite le château de Peyrin, dans la Drôme, où des enfants ont été accueillis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Sur le registre à côté de quelques noms, elle remarque des petits «V» ajoutés au crayon à papier. On lui répond qu’il s’agit probablement des enfants juifs cachés au château sous une fausse identité, après leur sauvetage d’un camp situé dans la banlieue de Lyon, à Vénissieux. V comme Vénissieux.

Le camp de Vénissieux, en banlieue de Lyon | DR

Ce détail lui donne envie de remonter le fil de l’histoire. Elle apprend d’abord que 1’016 juifs étrangers raflés le 26 août 1942, sur ordre de Vichy, ont été rassemblés dans le camp de triage de Vénissieux. Elle rencontre ensuite René Nodot, un ancien résistant, auteur d’un fascicule d’une dizaine de pages intitulé «Les enfants ne partiront pas !» Dans ce livret, il avait rassemblé quelques documents sur le sauvetage de 108 enfants du camp grâce à l’association de «l’Amitié chrétienne». Cet épisode est encore assez peu connu à l’époque. Elle décide d’en faire l’objet de ses études.

108 enfants retirés des griffes des Allemands

Valérie Portheret | service de presse

A la fin de 1993, la rencontre avec Serge Klarsfeld, historien de la Shoah et avocat, la conforte définitivement dans son projet. Elle ignore qu’elle y consacrera 25 ans de sa vie, jusqu’à une thèse en histoire contemporaine soutenue en 2016. Après une première publication en 2017, à l’occasion du 75 anniversaire de la rafle de 1942, elle revient en 2020 avec un récit plus développé où elle relate la destinée des 108 enfants sauvés.

A force d’obstination, elle a retrouvé le nom et la trace de 90 d’entre eux et a pu en interroger un grand nombre. Elle a identifié et retrouvé aussi plusieurs des sauveteurs. Outre quelques personnalités connues, on rencontre beaucoup de gens ordinaires qui ont recueilli et caché ces enfants juifs avant de les faire passer en Suisse, notamment.  

Nuit de cauchemar

Cette histoire révèle l’incroyable réseau interconfessionnel qui, sous l’égide de «l’Amitié chrétienne», a infiltré le camp et trouvé la seule astuce possible pour sauver les enfants: demander aux parents de signer un acte d’abandon et d’en confier la garde et la puissance paternelle à ‘l’Amitié chrétienne’. «On imagine cette nuit de cauchemar 28 au 29 août 1942 pour ces mères et ces pères qui ont renoncé à leurs enfants afin de les sauver. Mais c’était là le seul moyen, le seul subterfuge pour leur éviter la déportation vers Drancy puis Auschwitz.» Munis de ces sésames, les membres de l’Amitié chrétienne peuvent faire sortir les enfants du camp avant les disperser pourvus de fausses identités dans des institutions ou des familles. Les Allemands n’en retrouveront que trois en 1944 qui mourront à Auschwitz.

Tract des mouvements de résistance dénonçant la déportation d’enfants juifs.

Dans cette histoire, il y a des personnalités extraordinaires, comme l’abbé Glasberg, juif converti, parlant le yiddish, qui participait aux commissions de ‘criblage’, là où se décidait le sort de chacun. Il y a aussi le protestant Gilbert Lesage, chef du Service social des étrangers de Vichy, qui, en réalité, était un résistant et informait les réseaux d’entraide présents dans le camp des différentes listes d’exemption. Il y a le cardinal Gerlier, primat des Gaules, qui refuse de manière déterminée de rendre les enfants exfiltrés du camp de Vénissieux aux autorités qui les réclamaient. «Vous n’aurez pas les enfants», proclamaient les tracts distribués par les réseaux de résistance dans les rues de Lyon.

Un engagement qui dépasse l’histoire

Au-delà des destins individuels, la rafle de Lyon marque un changement dans l’opinion française face à la déportation des juifs. Selon Serge Klarsfeld, ce revirement a contraint Vichy à freiner sa coopération massive et à refuser le programme d’octobre de livraison des juifs à l’occupant nazi.

L’engagement de Valérie Portheret a dépassé celui d’une simple historienne. Pendant des années, elle parcourt le monde pour retrouver les enfants de Vénissieux encore vivants. Elle noue des liens d’amitié avec eux et avec leurs descendants. Leur histoire personnelle tisse l’histoire globale du plus grand sauvetage d’enfants et d’adultes jamais opéré dans un camp en France. Sur les 1’016 personnes arrêtées, 363 adultes et 108 enfants furent exfiltrés. Les 545 autres prirent le chemin des camps de la mort.

Exhumer des souvenirs enfouis

«Les récits des enfants survivants étaient encore bien souvent des souvenirs enfouis. Peu d’entre eux avaient écrit leurs mémoires ou pris contact avec Yad Vashem», explique l’historienne. Elle les aide à constituer des dossiers pour l’institution mémorielle israélienne. Ce travail conduira à décerner aux sauveteurs du petit village de Saint-Sauveur-de-Montagut et ses alentours, en Ardèche, le titre de  »Justes parmi les Nations». Sur cette terre d’accueil, dix personnes restées inconnues jusque-là avaient caché des enfants exfiltrés de Vénissieux.

Pour Valérie Portheret, si on connaît bien la face noire du gouvernement de Vichy et sa collaboration avec l’occupant nazi, il est important aussi de révéler la face lumineuse de ces nombreux Français qui ont pris des risques pour protéger des enfants, sauvant ainsi l’honneur du pays. «Avec ce livre, j’aimerais que les lecteurs, et notamment les jeunes générations, retiennent que les ‘Justes’ de France incarnent le meilleur de l’humanité. Car toutes et tous ont considéré n’avoir rien fait d’autre que leur devoir de femme et d’homme», conclut-elle. (cath.ch/com/mp)

Valérie Portheret: Vous n’aurez pas les enfants, Paris, 2020, 232 p. XO Editions

Quelques justes parmi les hommes
En même temps que le livre de Valérie Portheret, parait aux éditions Salvator un autre ouvrage consacré aux justes parmi les nations. Dans Quelques justes parmi les hommes Laurence Walbrou rassemble quatorze témoignages héroïques.
Tout a-t-il été dit sur les Justes de France, qui ont sauvé la vie de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale? Ce n’est pas l’avis de Laurence Walbrou, heurtée sur les réseaux sociaux par l’antisémitisme décomplexé des uns et l’antichristianisme aveugle des autres.
Pour rétablir la vérité et honorer ces héros de l’ombre, l’auteur a choisi d’évoquer quelques noms, célèbres et anonymes, sur les 4’099 recensés par le mémorial de Yad Vashem. Elle les fait revive sous nos yeux, comme dans un film. Quand elle imagine des scènes, c’est toujours fidèlement aux archives et à la mémoire des témoins qu’elle a rencontrés durant son enquête. MP

Laurence Walbrou: Quelques justes parmi les hommes, Paris, 2020, 232 p. Editions Salvator

Un groupe d'enfants de Vénissieux au château de Peyrins, dans la Drôme | DR
1 mars 2020 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
Juifs (135), Shoah (33), Yad Vashem (3)
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