Les «quatre rêves» du pape pour 'l'Amazonie bien-aimée'
L’exhortation apostolique post-synodale Querida Amazonia a été publiée le 12 février 2020. Retrouvez-en quelques extraits clefs:
Condamnation des exploiteurs de l’Amazonie
«Un cri prophétique est nécessaire et une tâche exigeante est à accomplir en faveur des plus pauvres. […] Un conservatisme qui se préoccupe du biome mais qui ignore les peuples amazoniens est inutile». (n.8)
«Il faut donner aux entreprises, nationales ou internationales, qui détruisent l’Amazonie et ne respectent pas le droit des peuples autochtones au territoire avec ses frontières, à l’autodétermination et au consentement préalable, les noms qui leur correspondent: injustice et crime.» (n.14)
«L’Amazonie devrait être aussi un lieu de dialogue social, spécialement entre les divers peuples autochtones, pour trouver des formes de communion et de lutte conjointe. Nous autres, nous sommes appelés à participer comme ‘invités’ et à chercher avec le plus grand respect les voies de rencontre qui enrichissent l’Amazonie. Mais si nous voulons dialoguer, nous devrions le faire avant tout avec les derniers. Ils ne sont pas des interlocuteurs quelconques qu’il faudrait convaincre, ils ne sont pas, non plus, un de plus assis à une table de pairs. Ils sont les principaux interlocuteurs desquels nous devons avant tout apprendre, que nous devons écouter par devoir de justice, et auxquels nous devons demander la permission afin de pouvoir présenter nos propositions.» (n.26)
«Des siècles durant, les peuples amazoniens ont transmis leur sagesse culturelle oralement, par des mythes, des légendes, des narrations, comme c’était le cas avec ces conteurs anciens qui parcouraient la forêt racontant des fables de village en village, maintenant vivante une communauté qui, sans le cordon ombilical de ces histoires, aurait été fragmentée et dissoute par la distance et l’isolement. C’est pourquoi il est important que les personnes âgées racontent de longues histoires et que les jeunes s’arrêtent pour boire à cette source.» (n.34)
Identité, dialogue et écologie
«L’identité et le dialogue ne sont pas ennemis. La propre identité culturelle s’approfondit et s’enrichit dans le dialogue avec les différences, et le moyen authentique de la conserver n’est pas un isolement qui appauvrit. Mon intention n’est donc pas de proposer un indigénisme complètement fermé, anhistorique, figé, qui se refuserait à toute forme de métissage. Une culture peut devenir stérile lorsqu’ elle se ferme sur elle-même et cherche à perpétuer des manières de vivre vieillies, en refusant tout échange et toute confrontation au sujet de la vérité de l’homme.» (n.37)
«Pour sauvegarder l’Amazonie, il est bon de conjuguer les savoirs ancestraux avec les connaissances techniques contemporaines, mais toujours en cherchant à intervenir sur le terrain de manière durable, en préservant en même temps le style de vie et les systèmes de valeurs des habitants.»(n.51)
«Il n’y aura pas d’écologie saine et durable, capable de transformer les choses, si les personnes ne changent pas, si on ne les encourage pas à choisir un autre style de vie, moins avide, plus serein, plus respectueux, moins anxieux, plus fraternel.»(n.58)
«L’Eglise, avec sa grande expérience spirituelle, avec sa conscience renouvelée de la valeur de la création, avec son souci de la justice, avec son option pour les derniers, avec sa tradition éducative et avec son histoire d’incarnation dans des cultures si diverses dans le monde entier, veut à son tour contribuer à la sauvegarde et à la croissance de l’Amazonie.»(n.60)
Ouverture à la sagesse amazonienne et attachement à la Tradition de l’Eglise
«L’Eglise, alors même qu’elle annonce encore et encore le kérygme [contenu essentiel de la foi en Jésus-Christ, ndlr.], doit se développer en Amazonie. Pour cela, elle reconfigure toujours sa propre identité par l’écoute et le dialogue avec les personnes, les réalités et les histoires de leur terre. De cette façon, pourra se développer de plus en plus un processus nécessaire d’inculturation qui ne déprécie rien de ce qu’il y a de bon dans les cultures amazoniennes, mais qui le recueille et le porte à sa plénitude à la lumière de l’Evangile.» (n.66)
«Il ne dépréciera pas non plus la richesse de la sagesse chrétienne transmise pendant des siècles […] car l’Eglise a un visage multiforme non seulement dans une perspective spatiale mais aussi dans sa réalité temporelle. Il s’agit de l’authentique Tradition de l’Eglise qui n’est pas un dépôt statique ni une pièce de musée, mais la racine d’un arbre qui grandit. C’est la tradition millénaire qui témoigne de l’action de Dieu dans son Peuple et qui a la mission d’entretenir vivant le feu plus que de conserver les cendres.»
«Ainsi pourront naître des témoins de sainteté au visage amazonien qui ne soient pas des copies de modèles des autres régions, une sainteté faite de rencontre et de don de soi, de contemplation et de service, de solitude réceptive et de vie commune, de sobriété joyeuse et de lutte pour la justice. (n.77)
Cette sainteté est atteinte par chacun à sa manière, et cela vaut aussi pour les peuples où la grâce s’incarne et resplendit avec des traits distinctifs. Imaginons une sainteté aux traits amazoniens, appelée à interpeller l’Eglise universelle.»
Idolâtrie et paganisme
«Un processus d’inculturation, qui implique des chemins non seulement individuels mais aussi populaires, exige un amour du peuple plein de respect et de compréhension. Dans une bonne partie de l’Amazonie, ce processus a déjà été lancé. […] Ne nous précipitons pas pour qualifier de superstition ou de paganisme certaines expressions religieuses qui surgissent spontanément de la vie des peuples. Il faut plutôt savoir reconnaître le blé qui grandit au milieu de l’ivraie, parce que dans la piété populaire, on peut comprendre comment la foi reçue s’est incarnée dans une culture et continue à se transmettre». (n.78)
«Il est possible de recueillir d’une certaine manière un symbole autochtone sans le qualifier nécessairement d’idolâtrie. Un mythe chargé de sens spirituel peut être utilisé et pas toujours être considéré comme une erreur païenne. Certaines fêtes religieuses contiennent une signification sacrée et sont des espaces de rencontre et de fraternité, bien qu’un lent processus de purification ou de maturation soit requis». (n.79)
Pour des vocations missionnaires en Amazonie
«La présence pastorale de l’Eglise en Amazonie est précaire, en partie à cause de l’immense extension territoriale, avec de nombreux lieux d’accès difficiles, une grande diversité culturelle, de sérieux problèmes sociaux, et avec l’option, propre à certains peuples, de s’isoler. Cela ne peut nous laisser indifférents et exige de l’Église une réponse spécifique et courageuse». (n.85)
«Il faudra veiller à ce que la ministérialité se configure de telle manière qu’elle soit au service d’une plus grande fréquence de la célébration de l’Eucharistie, même dans les communautés les plus éloignées et cachées». (n.86)
«Il est important de déterminer ce qui est spécifique au prêtre, ce qui ne peut pas être délégué. La réponse se trouve dans le sacrement de l’Ordre sacré qui le configure au Christ prêtre. Et la première conclusion est que ce caractère exclusif reçu dans l’Ordre le rend capable, seulement lui, de présider l’Eucharistie». (n.87)
«Le prêtre est signe de cette Tête qui répand la grâce, en particulier lorsqu’il célèbre l’Eucharistie, source et sommet de toute la vie chrétienne.[128] C’est son grand pouvoir qui peut être reçu seulement dans le sacrement de l’Ordre. C’est pourquoi lui seul peut dire: «Ceci est mon corps». Il y a d’autres paroles que lui seul peut prononcer: «Je te pardonne tes péchés», parce que le pardon sacramentel est au service d’une célébration eucharistique digne. Le cœur de son identité exclusive se trouve dans ces deux sacrements». (n.88)
«Dans les circonstances spécifiques de l’Amazonie, en particulier dans ses forêts et ses zones très reculées, il faut trouver un moyen d’assurer ce ministère sacerdotal. Les laïcs pourront annoncer la Parole, enseigner, organiser leurs communautés, célébrer certains sacrements, chercher différentes voies pour la piété populaire et développer la multitude des dons que l’Esprit répand en eux. Mais ils ont besoin de la célébration de l’Eucharistie parce qu’elle «fait l’Eglise», (…) il est urgent d’éviter que les peuples amazoniens soient privés de cet aliment de vie nouvelle et du sacrement du pardon». (n.89)
«Cette nécessité urgente m’amène à exhorter tous les évêques, en particulier ceux de l’Amérique latine, non seulement à promouvoir la prière pour les vocations sacerdotales, mais aussi à être plus généreux en orientant ceux qui montrent une vocation missionnaire à choisir l’Amazonie». (n.90)
«En même temps, il convient de réviser complètement la structure et le contenu tant de la formation initiale que de la formation permanente des prêtres, afin qu’ils acquièrent les attitudes et les capacités que requiert le dialogue avec les cultures amazoniennes. Cette formation doit être éminemment pastorale et favoriser le développement de la miséricorde sacerdotale». (n. 90)
«J’attire l’attention sur le fait que, dans certains pays du bassin amazonien, il y a plus de missionnaires pour l’Europe ou pour les Etats-Unis que pour aider leurs propres vicariats de l’Amazonie». (note de bas de page n.132)
«J’encourage l’approfondissement du travail commun qui se réalise à travers le REPAM (Réseau ecclésial panamazonien) et d’autres associations, avec l’objectif de renforcer ce que demandait Aparecida: «Etablir entre les Eglises locales des divers pays sud-américains qui sont dans le bassin de l’Amazonie une pastorale d’ensemble aux priorités différenciées». (n.97)
«Je voudrais rappeler que nous ne pouvons pas toujours penser à des projets pour des communautés stables, parce qu’il y a une grande mobilité interne en Amazonie, une migration constante souvent journalière, et ‘la région s’est transformée de fait en un couloir migratoire’. La ‘transhumance amazonienne n’a pas été bien appréhendée ni suffisamment étudiée du point de vue pastoral’. C’est pourquoi il faut penser à des équipes missionnaires itinérantes et soutenir l’insertion et l’itinérance des personnes consacrées, hommes et femmes, pour être avec les plus pauvres et les exclus.» (n.98)
Ne pas cléricaliser les femmes et leur donner une reconnaissance publique
«Pendant des siècles, [les femmes] ont maintenu l’Eglise debout dans ces régions avec un dévouement admirable et une foi ardente. (…) Cela nous invite à élargir le champ de vision pour éviter de réduire notre compréhension de l’Eglise à des structures fonctionnelles. Ce réductionnisme nous conduirait à penser qu’on n’accorderait aux femmes un statut et une plus grande participation dans l’Eglise seulement si on leur donnait accès au sacrement de l’ordre. Mais cette vision, en réalité, limiterait les perspectives, nous conduirait à cléricaliser les femmes, diminuerait la grande valeur de ce qu’elles ont déjà donné et provoquerait un subtil appauvrissement de leur apport indispensable.» (n.100)
«Les femmes apportent leur contribution à l’Eglise d’une manière spécifique et en prolongeant la force et la tendresse de Marie, la Mère. Ainsi, nous ne nous limitons pas à une approche fonctionnelle, mais nous entrons dans la structure intime de l’Eglise. Nous comprenons radicalement pourquoi, sans les femmes, elle s’effondre, comme beaucoup de communautés de l’Amazonie seraient tombées en lambeaux si les femmes n’avaient pas été là, en les soutenant, en les maintenant et en s’occupant d’elles.» (n.101)
«Dans une Eglise synodale, les femmes qui jouent un rôle central dans les communautés amazoniennes devraient pouvoir accéder à des fonctions, y compris des services ecclésiaux, qui ne requièrent pas l’Ordre sacré et qui permettent de mieux exprimer leur place. Il convient de rappeler que ces services impliquent une stabilité, une reconnaissance publique et l’envoi par l’évêque. Cela donne lieu aussi à ce que les femmes aient un impact réel et effectif dans l’organisation, dans les décisions les plus importantes et dans la conduite des communautés, mais sans cesser de le faire avec le style propre de leur empreinte féminine.» (n.103) (cath.ch/imedia/rz)
Ces poètes sud-américains qui ont inspiré l’exhortation apostolique
Dans Querida Amazonia, outre ceux de grands saints, des noms de poètes et d’auteurs de pays d’Amérique latine sont abondamment cités, tout au long de cette ”lettre d’amour” adressée à l’Amazonie.
Ces poètes populaires, sont tombés amoureux de «l’immense beauté» de l’Amazonie, composent une ode à la «vie» de leur région, mais en ”déplorent aussi des dangers” qui la menacent, explique le pape François. Le 266e pape se fait lui-même poète, et s’appuie sur ces sources populaires en faveur de la défense de l’Amazonie, afin d’ancrer ses propos dans la réalité, et de faire remonter le «cri de l’Amazonie» envers son Créateur. Plus que des solutions préconçues, c’est la créativité de l’humanité amazonienne qui la sauvera.
Ana Varela, née en 1963, est une professeure et journaliste de la ville d’Iquitos, au nord-est du Pérou, représentante et défenseuse de la région amazonienne du pays, une zone marginalisée.
”Nombreux sont les arbres où la torture a vécu, et vastes les forêts achetées au milieu de mille morts”.
Jorge Vega Marquez, né en 1953, est un écrivain et dirigeant syndical bolivien. Ses poèmes dénoncent en particulier l’immobilité et l’inaction du gouvernement face aux luttes, tensions, et ravages qui détruisent la région amazonienne.
”Les bûcherons possèdent des parlementaires et notre Amazonie, personne ne la défend […]. Les perroquets et les singes sont exilés […] la récolte des châtaignes ne sera plus la même”.
Yana Lucila Lema, né en 1974, est une traductrice, poète et narratrice équatorienne. Elle a rédigé son recueil de poèmes Tamayahuan Shamakupani dans sa langue natale, le quichua, dans une poésie voluptueuse, héritière de ses origines autochtones.
”Cette étoile du matin s’approche, les colibris battent des ailes, plus que la chute d’eau, mon cœur bat. Avec tes lèvres, j’arroserai la terre que le vent joue en nous”.
Juan Carlos Galeano, né en 1958, est un professeur, poète et écrivain de Colombie. Ses poèmes parlent de paysages amazoniens et des cultures indigènes présentes sur le territoire.
”Il était une fois un paysage qui se dévoilait avec son fleuve, ses animaux, ses nuages et ses arbres. Mais parfois, quand on ne voyait nulle part le paysage avec son fleuve et ses arbres, il fallait que les choses sortent de l’imagination d’un garçon”.
”Ceux qui pensaient que le fleuve était une corde à jouer se trompaient. Le fleuve est une veine très fine à la surface de la terre. […] Le fleuve est une corde à laquelle s’attachent les animaux et les arbres. Si vous tiriez trop fort, le fleuve pourrait déborder. Il pourrait déborder et nous laver le visage avec l’eau et le sang”.
Javier Yglesias est un poète de la littérature amazonienne, faisant partie de ceux qui n’hésitent pas d’écrire dans ses poèmes la vérité sur l’environnement et la situation des peuples autochtones en Amazonie.
”De la rivière, fais ton sang […] Ensuite, plante-toi, germe et croîs. Que ta racine s’accroche à la terre pour toujours et à jamais. Et enfin, sois un canoë, une barque, un radeau, une liane, une jarre, un enclos et un homme”.
Euclides Da Cunha (1866-1909) est un écrivain, sociologue et journaliste brésilien. Il est connu comme l’un des maîtres de la littérature brésilienne et a rendu compte dans un ouvrage d’une exploration menée en Amazonie.
”Là, en plein cœur des étés torrides, quand les dernières rafales du vent d’est se diluent dans l’air stagnant, l’hygromètre remplace le thermomètre pour définir le climat. Les êtres vivants sont soumis aux flux et reflux des grands fleuves: affligeante alternative. Les crues s’élèvent d’une façon effrayante. L’Amazone s’enfle, sort de son lit, hausse en quelques jours le niveau de ses eaux […]. L’inondation est une pause dans la vie. Pris dans les mailles des igarapés, l’homme attend alors, avec un stoïcisme rare devant cette fatalité inéluctable, la fin de cet hiver paradoxal, aux températures élevées. Reflux et été sont synonymes. C’est la reviviscence de l’activité rudimentaire des hommes de ces régions, qui se démènent comme ils le peuvent face à une nature qui abuse des manifestations contradictoires et rend impossible la continuité de tout effort”.
Pablo Neruda (1904-1976) est un poète, écrivain, diplomate, et homme politique chilien. Il est considéré comme un des grands poètes de la littérature hispanophone. Il dénonce dans certains de ses poèmes les ravages causés à l’Amazonie.
”Amazone capitale des syllabes de l’eau, père patriarche, tu es la mystérieuse éternité des fécondations, les fleuves choient en toi comme des vols d’oiseaux…».
Pedro Casaldaliga, né en 1928, est un évêque catholique espagnol naturalisé brésilien. Il est particulièrement engagé pour la défense des indiens d’Amazonie.
«Mon ombre flotte, au milieu des bois morts. Mais l’étoile est née sans reproche sur les mains de cet enfant, expertes, qui conquièrent les eaux et la nuit. Il doit me suffire de savoir que tu me connais tout entier, bien avant ma naissance». I.MEDIA