Fribourg: venu d'Inde, Mgr Miranda témoigne de «l'Evangile en action»
«J’avais exprimé à l’évêque de Mangalore, mon évêque, le désir de travailler comme missionnaire dans les villages pauvres de la campagne où personne ne voulait aller…» Le ton est donné: Mgr Robert Miranda, évêque du diocèse de Gulbarga, dans l’Etat du Karnataka, au sud-ouest de l’Inde, a la mission chevillée au corps.
C’est pour donner son témoignage que le prélat catholique indien âgé de 67 ans avait été invité à Fribourg du 3 au 5 février 2020 dans le cadre des cours mis sur pied par le Centre catholique romand de formations en Eglise (CCRFE) et Missio, sur le thème «Baptisés et envoyés. L’Eglise du Christ en mission dans le monde».
Un diocèse plus grand que la Belgique
Les participants – futurs prêtres, agents pastoraux laïcs, équipes pastorales – ont été captivés par le récit du travail missionnaire entamé il y a près de trois décennies dans le diocèse rural de Gulbarga. Créé le 24 juin 2005, ce diocèse de 32’157 km² (un peu plus que la taille de la Belgique), compte aujourd’hui moins de 4 % de chrétiens, pour 76% d’hindous, 15 % de musulmans, et de petites minorités adeptes du bouddhisme, du jaïnisme et d’autres religions.
Je suis parti le 16 juin 1982, en territoire inconnu, avec deux jeunes séminaristes…
«J’étais ordonné prêtre depuis 1978, et j’avais travaillé trois ans dans des paroisses rurales et un an en ville, à la cathédrale, quand mon évêque m’a envoyé, à 31 ans, dans le district de Bidar, à 1’000 km de Mangalore, aux confins septentrionaux de l’Etat du Karnataka. Faire connaître le Christ dans une région où les chrétiens sont une infime minorité, telle était la mission dont m’a chargé mon évêque. Je suis parti le 16 juin 1982, en territoire inconnu, avec deux jeunes séminaristes…»
Au départ, quatre familles catholiques seulement
Il n’y avait dans cette région pauvre que quatre familles catholiques, venues d’ailleurs pour travailler, précise-t-il. Nombre de prêtres ne veulent pas venir dans de tels endroits peu développés, sans infrastructures routières dignes de ce nom, sans bonnes écoles ni hôpitaux, sans industries. Le district de Bidar est une zone agricole sèche, où les récoltes ne sont pas assurées toutes les années, en raison du régime irrégulier des pluies, et sa population d’ouvriers agricoles est majoritairement analphabète.
Dans cette région reculée, la majorité des habitants sont des travailleurs sans terres, qui se mettent au service de grands propriétaires terriens pour un salaire de misère. «Ils sont très pauvres, et ils émigrent vers de grandes villes comme Hyderabad ou Bangalore, pour trouver du travail, surtout quand il ne pleut pas».
La foi sans les œuvres est une foi morte
L’Evangile en actes
La mission ayant grandi durant plus de deux décennies et s’étant étendue dans quatre districts – Bidar, Gulbarga, Bijapur et Yagdir – le Père Robert Miranda est nommé en juin 2005 par le pape Benoît XVI premier évêque du nouveau diocèse de Gulbarga. Il poursuit son engagement avec le leitmotiv «La Bonne Nouvelle en action», car pour lui, la foi sans les œuvres est une foi morte.
Mgr Miranda a une vision holistique de la mission et il pratique ce qu’il appelle le «dialogue de la vie», la forme de dialogue interreligieux la plus appropriée. «Beaucoup pensent que la mission, c’est uniquement de convertir… Il s’agit en réalité de partager l’Evangile en paroles, mais aussi en actes, voir les souffrances des populations, leurs besoins, les soulager, c’est l’Evangile en actes !»
Grande crédibilité aux yeux des non chrétiens
«Notre travail, c’est 25% la mission, l’évangélisation, et 75 % le développement, qui concerne tout le monde, quelle que soit leur religion… Nous avons créé l’ORBIT (Organisation for Bidar Integral Transformation), c’est l’aile ‘développement social’ de la mission. Le service humanitaire que nous offrons à la population, dans le domaine de la santé, du travail social, des écoles, sont des moyens forts d’évangélisation. Cela nous donne aussi une grande crédibilité aux yeux des non chrétiens, que nous servons aussi, sans faire de prosélytisme, car la religion est un choix personnel».
Même dans les régions où il n’y a quasiment aucun chrétien, la population connaît les services que l’Eglise catholique offre à tout le monde sans distinction, en particulier aux pauvres. «Nous allons là où nous sommes appelés, et nous commençons toujours par un travail de développement social et d’éducation, au service des pauvres, des malades, des handicapés. Jésus est présent dans nos discussions, et les gens nous demandent pourquoi nous faisons cela, pourquoi des prêtres, des religieux et des religieuses laissent leur famille et viennent dans ces endroits reculés… Le service à la population, c’est le point de départ, et l’on construit à partir de là».
Bonne entente entre les communautés
L’évêque précise que dans son diocèse, l’atmosphère est plutôt paisible, en comparaison à d’autres régions du Karnataka. L’entente est bonne entre les gens de diverses appartenances religieuse. C’est surtout en période électorale que les nationalistes hindous font de la propagande contre les communautés musulmanes et chrétiennes en particulier, puis la tension retombe et la situation retourne à la normale. Les tentatives d’une minorité hindouiste fondamentaliste de fomenter les divisions dans la population sont moindres dans la région, car la population est très pacifique et tolérante.
Les milieux nationalistes hindous accusent l’Eglise de faire du prosélytisme, mais le nombre de chrétiens, qui forment une petite minorité de 24 millions (soit 2,4% de la population indienne) est resté stable toutes ces dernières années. Il n’y a pas eu de croissance notable et les accusations portées contre les chrétiens – qui seraient, comme les musulmans, des étrangers sommés de rentrer dans leur pays ! – sont sans fondement.
La Constitution indienne garantit la liberté religieuse
De plus, pour le moment, la Constitution fédérale de l’Inde, qui est laïque, accorde à son article 25 une pleine liberté de religion: liberté de croire, de pratiquer et de propager sa religion. «Dans notre diocèse, nous avons un bon contact avec les autres religions, nous avons une bonne expérience de l’œcuménisme et du dialogue interreligieux. Nous sommes tous invités, quelle que soit notre religion, à participer à la construction d’une communauté humaine vivant en paix et en harmonie. En nous mettant ensemble, nous avons plus de force».
L’Eglise a mis sur pied des ‘Forums interreligieux pour la paix et l’harmonie’, pour apprendre à se connaître, ce qui permet aussi de mieux répondre aux attaques des fondamentalistes hindous contre les minorités. «Dans le diocèse, nous avons des activités avec les autres religions au minimum trois fois par an et l’entente entre nous est bonne. Les gens comprennent que nous les aimons, que nous prenons soin d’eux, de tous, pas seulement des chrétiens!»
Aujourd’hui, sur 7 millions d’habitants dans le diocèse, la mission porte ses fruits: «Nous sommes 8’000 catholiques, une équipe de 70 prêtres, 216 religieuses et plus de 400 collaborateurs laïcs dans différents champs d’activités de la mission». (cath.ch/be)
Une «épée de Damoclès» plane sur les minorités
Une dangereuse «épée de Damoclès» plane tant sur les chrétiens que sur les musulmans en Inde. La minorité appartenant aux obédiences nationalistes hindoues, notamment les paramilitaires de l’association des volontaires nationaux, le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), propage une conception ethnique du peuple indien, l’Hindutva, c’est-à-dire l’hindouïté. Le RSS, qui dispose d’une branche politique, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP du président Narendra Modi), dénonce les «idéologies venues de l’étranger», en désignant l’islam ou le christianisme.
Les nationalistes hindous les plus radicaux demandent que la nation indienne multiethnique, berceau de différentes religions et cultures, soit assimilée à la majorité hindoue (près de 80% de la population) et que la Constitution laïque de l’Inde soit réécrite en conséquence. Le parlement indien, dominé par le BJP, a de plus adopté en décembre dernier trois normes législatives qui ont un sérieux impact sur la société indienne, à savoir le Citizenship Amendment Act (CAA), le National Register of Citizens (NRC) et le National Population Register (NPR).
Les évêques catholiques de l’Etat indien du Gujarat, dans l’ouest de l’Inde, dénoncent en particulier l’amendement de la Loi sur la Citoyenneté, le Citizenship Amendment Act, qui acte une différence de traitement entre les musulmans et les non-musulmans. Elle prévoit de permettre aux minorités religieuses non musulmanes d’Afghanistan, du Pakistan et du Bangladesh d’obtenir plus facilement la nationalité indienne.
Si l’Eglise catholique au Gujarat accueille favorablement le vœu du gouvernement d’accorder une protection à certains réfugiés provenant de ces trois pays, elle exprime sa préoccupation et son appréhension en ce qui concerne le processus de concession de la nationalité à cause de l’exclusion d’un groupe particulier sur base religieuse. «Il est inconstitutionnel de déterminer la citoyenneté sur base religieuse», écrivent les évêques.C’est pourquoi, poursuit le communiqué rendu public par l’agence vaticane Fides le 7 février 2020, «en tant que fidèles et citoyens de l’Inde, les catholiques du Gujarat sont engagés à protéger la Constitution et à garantir le fait que toutes les communautés vivant dans le pays jouissent du bonheur, de la prospérité et des droits fondamentaux, sans discriminations». Ils se déclarent «solidaires des protestations non-violentes dans le pays en faveur de la justice, en tant qu’expression du droit à la liberté de parole et d’expression». JB