Le cheik al-Tayeb et le Pape François, ici au Caire en avril 2017, ont signé à Abou Dhabi en février 2019 un «document sur la fraternité». |© DR
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Diplomatie vaticane: l’arme discrète de la «doctrine Tauran»

Dans François, le diplomate, l’historien français Jean-Baptiste Noé expose la diplomatie menée par le pape François depuis 2013. Méconnue des catholiques eux-mêmes, celle-ci fait du Saint-Siège l’un des Etats les plus influents au monde. Un livre éclairant.

Docteur en histoire et rédacteur en chef de la revue Conflits, le Français Jean-Baptiste Noé vient de publier François le diplomate, aux éditions Salvator. L’essai analyse la diplomatie conduite par le pape François depuis son élection, en 2013, et met en lumière ce que Jean Paul II appelait la «doctrine Tauran», du nom du cardinal français Jean-Louis Tauran, grand diplomate du Saint-Siège décédé en 2018. Dans un interview au Figaro et un entretien audio pour la revue online Conflits, ce spécialiste de de géopolitique apporte son éclairage sur la diplomatie vaticane.

Docteur en histoire et rédacteur en chef de la revue Conflits, le Français Jean-Baptiste Noé vient de publier «François le diplomate» | capture d’écran

L’influence du Vatican et l’importance de sa diplomatie sont-elles méconnues?
Oui, le rôle diplomatique du Saint-Siège est en effet méconnu des catholiques eux-mêmes. Il remonte pourtant aux origines de l’Église puisque les papes ont eu des envoyés (des nonces) dès l’époque antique. En 1701, Clément XI a créé une école destinée à former les futurs diplomates, qui existe encore et qui a servi de modèle aux autres États européens. Le Saint-Siège est aujourd’hui l’un des États qui a le plus de relations diplomatiques, sans compter les représentants à l’ONU et ses satellites, ce qui en fait l’un des Etats les plus influents au monde. Il a par exemple plus de relations diplomatiques que les Etats-Unis.

Quel rôle a joué le Saint-Siège au siècle dernier? 
Un rôle crucial. Durant la Deuxième Guerre mondiale, par exemple, Pie XII a été le pivot de la résistance à Hitler. Jean XXIII est intervenu auprès de Kennedy et de Khrouchtchev pour éviter le drame du feu nucléaire lors de la crise de Cuba. Quant à Jean Paul II, son action pour détruire le totalitarisme communiste a été décisive, comme l’a reconnu Gorbatchev lui-même. Les relations diplomatiques se sont par la suite intensifiées au cours du XXe siècle, sous les pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI. 

La diplomatie du Pape François, est-elle dans la continuité ou la rupture?
Clairement dans la continuité. La Chine, Cuba, le rapprochement avec la Russie, les mondes musulmans … tous les dossiers traités par le pape François étaient déjà sur la table sous Jean Paul II et Benoît VXI. François est en fait l’héritier de toute la théorie diplomatique développée depuis Léon XIII, à la fin du XIXe siècle.

Qu’est-ce qui le distingue de ses prédécesseurs?
Pour la première fois, un pape n’a pas d’expérience internationale. Il s’est donc appuyé sur des hommes de grande qualité, comme les cardinaux Tauran, Parolin et Mamberti, dont la principale des qualités est le silence et la discrétion. Tout cela donne un appareil diplomatique qui fonctionne bien, avec très peu de moyens.

Comment le Saint-Siège répond-il au défi du fondamentalisme islamique? 
Il s’agit de constater les conflits, tout en oeuvrant pour la paix, dans une tension entre réalisme et utopie. Le cardinal français Jean-Louis Tauran, qui fut un grand diplomate en charge du dialogue avec l’islam, a développé ce que Jean Paul II a appelé la «doctrine Tauran». Elle consiste à contraindre les dignitaires musulmans à sortir de l’ambiguïté en les plaçant face à leur responsabilité. Si l’islam, ce n’est pas les attentats, les massacres des chrétiens d’Orient, l’oppression faite aux femmes, alors ils doivent le dire de façon claire et haute et ils doivent prendre les mesures adéquates pour l’empêcher. Sans moyen de rétorsion, militaire ou économique, le pape active ainsi le levier de la responsabilisation et l’appel à la réciprocité pour mettre l’islam face à ses contradictions. 

Mais comment dialoguer dans ce contexte ?
Il s’agit de distinguer les partenaires avec qui l’on peut discuter, de ceux, comme le chef de l’Etat islamique, avec qui il n’est pas possible de le faire. Le cardinal Tauran a toujours cherché à discuter avec les autorités éclairées, au Maroc, en Iran, en Égypte, et à les mettre en avant pour bloquer la poussée extrémiste. Il a aussi développé la notion de réciprocité, à savoir autoriser les chrétiens à pouvoir pratiquer librement leur culte dans les pays musulmans. En dépit des incertitudes qui demeurent, de nettes avancées ont pu avoir lieu, même s’il reste encore à faire. Selon ce même réalisme, il s’agit enfin d’être très clair sur la manière d’aborder l’Etat islamique. 

Qu’entendez-vous par là?
De le condamner sans ambiguïté. Ici, la diplomatie vaticane est clairement en rupture avec le passé. En 2014, alors que l’Etat islamique poursuivait sa percée dans le Nord de l’Irak, perpétrant un génocide contre les chrétiens, le cardinal Tauran a demandé aux chefs religieux de condamner les massacres et les attentats, dans un document rédigé en tant que président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Cet appel international dressait la liste complète de toutes les exactions commises par l’Etat islamique, ce que n’a jamais fait aucun chef d’Etat occidental. Ces paroles, extrêmement fortes, sont la seule arme du Saint-Siège. (cath.ch/lefigaro.fr/revue-conflit.com/ps/ty/cp)

> François le diplomate», de Jean-Bapiste Noé.
Editions Salvator, 176 p, oct. 2019.

Le cheik al-Tayeb et le Pape François, ici au Caire en avril 2017, ont signé à Abou Dhabi en février 2019 un «document sur la fraternité». |© DR
10 décembre 2019 | 12:20
par Carole Pirker
Temps de lecture : env. 4  min.
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