L’affaire des Pachamamas, la nouvelle salve contre le pape François
Depuis le synode sur l’Amazonie d’octobre 2019, les opposants au pape François se déchaînent. La raison? La présence de statuettes de la Pachamama, la «déesse-terre» des Andins, lors des célébrations du Synode et leur vol rocambolesque dans une église romaine. Une affaire révélatrice d’une opposition déclarée au pontife argentin.
«Protestation contre les actes sacrilèges du pape François», en latin Contra recentia sacrilegia. Lancée le 9 novembre, la pétition sur Internet contre les «actes sacrilèges du pape François» affiche fièrement le nombre de ses supporters: 4500. Parmi les signataires, des noms connus: Mgr Carlo Maria Vigano, le dénonciateur du pape dans l’affaire Mc Carrick, ou Jean-Pierre Maugendre, du mouvement conservateur français Renaissance catholique.
Objet de leur courroux? «Le pape a assisté à un acte d’adoration idolâtre de la déesse païenne Pachamama, le 4 octobre. Il a permis que ce culte ait lieu dans les jardins du Vatican… Il a participé à cet acte de culte idolâtre en bénissant une image en bois de la Pachamama». Et le 7 octobre, «l’idole de la Pachamama» a été placée devant l’autel principal à Saint-Pierre, puis «transportée en procession dans la salle du Synode».
L’Eglise «claire et pure»
Cinq statuettes de la déesse-terre, en bois sculpté représentant une femme enceinte, ont ensuite été déposées dans une église voisine du Vatican, Santa Maria in Traspontina. Placées «de manière sacrilège» – selon le site de protestation -, elles sont dérobées le 21 octobre, puis jetées dans le Tibre «par des catholiques indignés par cette profanation de l’église».
Pendant quelques jours, l’auteur du vol garde le secret sur son identité. Qui a commis cet acte «héroïque» pour les milieux conservateurs? Le voleur, bientôt, se dévoile. Il s’agit d’Alexandre Tschugguel, un Autrichien de 27 ans. Pour le porte-parole indigné des anti-Pachamamas, il est inconcevable qu’une statuette païenne soit exposée dans une église. Depuis, il se répand sur les sites conservateurs en racontant son action avec forces détails. En fournissant, de surcroît, des images du rapt et du jet des cinq statuettes dans le fleuve romain.
Tschugguel n’est pas inconnu en Autriche. Cet étudiant, converti au catholicisme à 15 ans en provenance de l’Eglise luthérienne, est membre des « conservateurs réformateurs » du REKOS, un parti défenseur des valeurs chrétiennes de l’Occident. Sur Internet, il invite le pape François à garder l’Eglise «claire et pure». Car la présence des statuettes impies à Rome contrevient au premier commandement du Décalogue: «Tu n’adoreras pas d’autres dieux».
Pas d’«intentions idolâtres»
La communication du Vatican essaie alors de rétablir les faits. Le 21 octobre, Paolo Ruffini, préfet du Dicastère pour la Communication, précise: «Ces statuettes représentent la vie, la fertilité, la terre-mère».
Le pape François, jusque-là silencieux, intervient le 25 octobre, en qualifiant de «bonne nouvelle» le fait que trois des cinq statuettes jetées dans le Tibre ont été retrouvées. «En tant qu’évêque de Rome», il précise qu’il n’y avait pas d’»intentions idolâtres» dans la présence de ces statues au Synode. Tout en regrettant le battage médiatique sur cette affaire, il «demande pardon aux personnes qui ont été offensées par ce geste».
La terre, mère nourricière
D’autres volent au secours du Saint-Père. Delio Siticolnatzi Camaiteri, membre du peuple Ashaninca en Amazonie péruvienne, témoigne, le 24 octobre, devant la presse. La présence de ces effigies manifeste une option pastorale de l’Eglise à l’égard des cultures traditionnelles. L’Eglise cherche à accueillir avec respect ce qui témoigne déjà de la présence du Créateur, source de toute vie et des semences du Verbe, traces du Christ au-delà des frontières visibles de l’Eglise.
Autre appui, L’Osservatore romano, le journal du Vatican. Mgr Romano Felipe Arizmendi Esquivel, évêque émérite de San Cristobal de las Casas au Mexique répond: «C’est une grande insolence de condamner le pape comme idolâtre, parce qu’il ne l’est pas et ne le sera jamais». L’évêque mexicain rapporte les propos d’un indien aymara sur la Pachamama (terre mère) et de l’Inti (le père soleil): «les indigènes considèrent la terre comme une vraie mère à respecter, parce qu’elle leur procure la nourriture, l’eau et l’air».
De même quand ils se tournent vers les quatre points cardinaux: «Avant, ajoute Mgr Arizmendi Esquivel, j’étais tenté de les condamner comme idolâtres. Avec le temps, j’ai apprécié leur respect pour ces éléments de la nature qui nous donnent la vie et je suis convaincu qu’ils ne les adorent pas comme des dieux, mais comme des œuvres de Dieu, comme son don à l’humanité».
«Offrir une correction fraternelle au pape»
Hasard des calendriers, le pape François vient de publier en français un recueil Notre mère la Terre (éditions Salvator) qui reprend divers textes ou homélies consacrés à la préservation de la Création. Dans l’élan de son encyclique Laudato si’ (2015), il appelle à une conversion, en délaissant la mentalité de prédation propre à l’Occident. Pour devenir «capables de nous repentir sincèrement du mal fait à la terre, à la mer, à l’air, aux animaux». Car, écrit-il, «la Création est un lieu où nous sommes invités à découvrir une présence».
De leur côté, les contempteurs du pape à propos du «nouveau Veau d’or» – selon les termes de Mgr Athanasius Schneider, évêque d’Astana (Kazakhstan) – ne baissent pas les bras. Forte du soutien des cardinaux Walter Brandmüller et Gerhard Müller, leur pétition demande au pape d’«exprimer publiquement et sans ambiguïté son repentir à l’égard de ses péchés objectivement graves». Elle en appelle même aux évêques catholiques pour «offrir une correction fraternelle au pape François pour ces scandales». Les traditionnalistes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FFSPX) ont déjà, pour leur part, fait célébrer des messes d’expiation.
En attendant, les statuettes de la Pachamama récupérées dans le Tibre vont être exposées au Musée de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples à Rome. (cath.ch/bl)