En Bolivie, le pouvoir a été renversé dans ce qui s'apparente à un "coup d'Etat" | Photo d'illustration © Molly Marshall/Flickr/CC BY-NC 2.0
International

«Les groupes évangéliques, nouvelle arme des USA en Amérique latine»

Le philosophe, historien et théologien argentin Enrique Dussel soutient que les Etats-Unis favorisent une «guerre sainte» pour renverser des gouvernements en Amérique latine.

Pour étayer son hypothèse, Enrique Dussel s’appuie notamment sur les récents événements en Bolivie, et l’exemple des propos tenus par Luis Fernando Camacho, leader politico-religieux de la région de Santa Cruz, où ont démarré les manifestations contre Evo Morales.

Dans les semaines qui ont précédé la fuite du désormais ex-président de la Bolivie à Mexico, Luis Fernando Camacho, qui se présente comme un «chrétien conservateur», n’hésitait en effet pas à répéter: «Nous allons retirer la Pachamama (Terre-Mère, centrale dans la cosmologie andine) des lieux publics et la remplacer par la Bible».

«Bible évangélique, pas catholique!»

Le théologien argentin rappelle également que c’est en présentant deux exemplaires de la Bible à la main et en clamant à plusieurs reprises «Gloire à Dieu!» que la sénatrice de droite Jeanine Añez a pris ses fonctions à la présidence par intérim de la Bolivie.

Sauf que pour Enrique Dussel, «cette Bible n’est pas celle des catholiques, mais des groupes évangéliques, qui comparent la culture populaire des peuples natifs à un horrible paganisme qui doit être remplacé par le christianisme», martèle le théologien.

«Subjectivité consumériste»

Dans un entretien accordé à la journaliste mexicaine Carmen Aristegui pour le portail internet Explícito et relayé par le site web jésuite brésilien de l’Institut Humanitas Unisinos, le théologien rappelle que «la Bolivie était le pays (n.d.l.r. de l’Amérique latine et des Caraïbes) le plus pauvre avec Haïti. Pourtant, il a augmenté sa richesse comme aucun autre», notamment grâce à une politique de nationalisation des ressources naturelles (mines et gaz) et de redistribution des richesses. Le problème, selon Enrique Dussel, c’est qu’avec cet enrichissement, une classe moyenne a émergé, dont les aspirations ne sont plus seulement de sortir de la pauvreté. «Il y a eu un changement de subjectivité, estime l’historien. Nous sommes passés à une subjectivité consumériste qui croit que certains projets portés par des partis de droite pourraient répondre aux nouvelles aspirations».

Influence des évangéliques d’Amérique du Nord

Ce changement de subjectivité est central, car «ceux qui sont sortis de la pauvreté aspirent à être des consommateurs dans un monde néolibéral». Et en cela, le phénomène est nouveau. «Dans le cas d’un coup d’État comme celui d’Augusto Pinochet, au Chili, en 1973, estime Enrique Dussel, ceux qui ont dirigé ce processus, tout comme les militaires argentins, affirmaient qu’il fallait imposer une civilisation occidentale, chrétienne, catholique et de droite face à la menace du communisme». Le nouveau phénomène, aujourd’hui, est la présence des Eglises évangéliques, qui appuient avec force les processus politiques, en Bolivie comme au Brésil par exemple. Et pour le théologien, le constat s’impose: «C’est avec la Bible évangélique, qui vient des sectes nord-américaines, que la subjectivité change». Avec un objectif clair: «pousser l’homme à abandonner ses coutumes ancestrales et ses rites et lui proposer de travailler pour entrer dans une société de consommation, capitaliste et bourgeoise».

Pachamama, à l’origine de la pauvreté?

À ces facteurs, vient se rajouter une dimension raciste. Selon Enrique Dussel, en effet, «en Bolivie, les blancs méprisent les indiens et les métisses». Un racisme particulièrement palpable chez les fidèles des Eglises évangéliques. Or, les traditions aymaras, qui sont influencées par cinq siècles de catholicisme, sont aujourd’hui confrontées aux évangéliques. «Il s’agit d’une sorte de lutte religieuse, même si elle se fait sous couvert d’enjeux politiques». Une situation que le théologien argentin appelle à aborder «avec le plus grand sérieux».

Cette opposition s’explique également par un autre facteur. «La théologie de la libération, qui est chrétienne, s’appuie sur les pauvres contre les riches. ›Bien heureux sont les pauvres, maudits sont les riches’. C’est exactement à l’opposé des groupes évangéliques. Ces derniers proposent une révision historique et théorique à laquelle la gauche n’est pas habituée». Une révision qui est de nouveau portée, selon Enrique Dussel, par les groupes évangéliques des Etats-Unis.

Pour l’historien argentin, les évangéliques veulent donc imposer une direction de pensée qui pourrait se résumer par: «Abandonnez ces coutumes néfastes, devenez austères, travailleurs, bien organisés et c’est ainsi que vous pourrez sortir de la pauvreté, car Dieu va vous bénir en vous dotant d’une richesse acceptable». Ce qui revient à dire, selon Enrique Dussel, que «la richesse est considérée, à l’instar de l’antique calvinisme, comme une bénédiction de Dieu. Et donc, que la Pachamama, est à l’origine de la pauvreté». (cath.ch/jcg/bh).

En Bolivie, le pouvoir a été renversé dans ce qui s'apparente à un «coup d'Etat» | Photo d'illustration © Molly Marshall/Flickr/CC BY-NC 2.0
21 novembre 2019 | 10:50
par Jean-Claude Gérez
Temps de lecture : env. 3  min.
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