Naseem Asmaroo: unie, la jeunesse d'Irak rejette le confessionnalisme
Sur la Place Tahrir, à Bagdad, parmi les jeunes manifestants qui défient le pouvoir en place depuis le début octobre 2019, «il n’y a aucun signe religieux, mais un seul drapeau, le drapeau irakien!», confie Naseem Asmaroo, prêtre chaldéen vivant à Yvonand, dans le canton de Vaud.
De retour de son pays d’origine, le prêtre du Nord Vaudois, natif de Bagdad, témoigne du courage de ces jeunes manifestants combatifs, chrétiens rangés aux côtés des musulmans tant chiites que sunnites, prêts au sacrifice de leur vie pour faire tomber un gouvernement corrompu.
Alors que les manifestations dans la rue irakienne ont déjà fait plus de 320 morts et plus de 15’000 blessés, le patriarche chaldéen Louis RaphaëI Sako a appelé ses fidèles à jeûner et à prier durant trois jours, du 11 au 13 novembre 2019, pour demander à Dieu le don de la paix et du retour à la stabilité en Irak.
D’Ankawa à Mossoul en passant par la Plaine de Ninive
Naseem Asmaroo, ordonné prêtre en 2017 pour s’occuper de la mission catholique chaldéenne en Suisse (voir encadré) et actif pour l’Eglise catholique dans le canton de Vaud au sein de l’équipe pastorale de l’UP «Chasseron-Lac», revient d’Ankawa, la banlieue chrétienne d’Erbil, la capitale du Kurdistan. Il s’est rendu également dans les villages chrétiens de la Plaine de Ninive, un temps occupés par les djihadistes de Daech, et dans les quartiers de Mossoul dévastés par les bombardements.
«Les jeunes qui manifestent ensemble, à Bagdad et dans les villes du Sud de l’Irak, sont de toutes les communautés. C’est le retour de l’esprit d’un seul peuple, loin du sectarisme qui avait prévalu ces dernières décennies». Avant l’embargo américain qui a étranglé pendant des années le peuple irakien, le réduisant à la pauvreté et à la misère, le régime de Saddam Hussein était laïc.
Un régime autrefois laïc
«Il prônait l’idéologie du panarabisme, pas le communautarisme. A l’époque, la question communautaire ne se posait pas». Mais le «Raïs» irakien, isolé sur la scène internationale après l’invasion du Koweit, s’est tourné vers les seuls amis qui lui restaient, et a joué la carte de l’islam pour s’attirer le soutien des forces sunnites de la région…
La chute de Saddam Hussein et l’arrivée au pouvoir d’un régime chiite soutenu par l’Iran a encore une fois changé la donne et accentué les divisions entre les communautés religieuses. Les attentats de 2006 et 2007 contre la Mosquée d’Or de Samarra, un important lieu saint chiite, a contribué à dresser encore plus les musulmans entre eux, causant des milliers de morts au cours de luttes intercommunautaires sanglantes.
Les jeunes brandissent le drapeau national
«Mais aujourd’hui, les jeunes Irakiens, majoritairement chiites, brandissent le drapeau national, pas l’étendard de leur communauté. Dans les villes du Sud, ils enlèvent les symboles iraniens, débaptisent les rues qui portent le nom de personnalités iraniennes. C’est avant tout la nation irakienne qui compte! Ils veulent une nouvelle Constitution, qui valorise la citoyenneté, pas l’appartenance religieuse».
Les manifestants, durement réprimés, dénoncent la corruption omniprésente, dont même les parlementaires se plaignent, réclamant la restitution des immenses sommes d’argent ‘perdues’ pendant toutes ces années. Des centaines de milliers de jeunes diplômés réclament du travail: «Ils veulent une vie normale et tout le monde espère le succès des manifestations, même si la communauté internationale semble indifférente au massacre de cette jeunesse».
Les Eglises chrétiennes solidaires
«Les Eglises chrétiennes aussi, dès le début des manifestations, ont demandé la sortie d’un régime lié à une religion, plaidant pour un Etat laïc, un Etat des citoyens, où l’appartenance et la pratique religieuses sont une affaire personnelle».
Accompagnant le religieux dominicain Najib Mikhaël Moussa, archevêque chaldéen de Mossoul, Naseem Asmaroo a parcouru les villages chrétiens de la Plaine de Ninive envahis en août 2014 par les djihadistes de Daech, qui en furent chassés en octobre 2016. Le prêtre irakien remarque que la population de cette région située entre les montagnes du Kurdistan et la métropole sunnite de Mossoul est dans l’expectative, se souvenant de la menace djihadiste qui n’a pas totalement disparu.
Le souvenir des exactions de Daech toujours présent
Dans la nuit du 6 au 7 août 2014, quelque 120’000 chrétiens avaient pris la fuite vers Erbil-Ankawa, Dohouk ou Zakho, juste avant l’arrivée des djihadistes de l’Etat islamique. En quelques heures, les villages s’étaient vidés de leur population. Aujourd’hui, nombre d’entre eux ne sont toujours pas rentrés, malgré la réhabilitation des maisons.
A Qaramles, un village chaldéen de la Plaine de Ninive, plus de 300 maisons ont été endommagées par les djihadistes, dont 241 brûlées et 90 totalement détruites. Dans l’ensemble des villages chrétiens de la Plaine de Ninive, plus de 13’000 maisons ont été endommagées, incendiées, partiellement ou complètement détruites.
Pour le moment, la situation est calme, relève Naseem Asmaroo, et certains – même s’ils ne le disent pas officiellement – sont contents de ne plus être dépendants de Bagdad. «Beaucoup sont dans l’expectative, ne savent pas s’ils veulent vivre sous le pouvoir kurde ou le pouvoir central…» Nombre de chrétiens réfugiés à Ankawa ont trouvé du travail, les enfants vont à l’école et certains fréquentent la nouvelle Université catholique située dans la banlieue d’Erbil. Ils ne rentrent pas dans les villages de la Plaine de Ninive, car dans cette région kurde, ils bénéficient de la stabilité et de la sécurité.
Confiance perdue
Quant aux réfugiés de Mossoul, qui fut le centre historique pour les chrétiens d’Irak, ils ont très peur de rentrer chez eux, car il existe toujours des «cellules dormantes» de Daech. Beaucoup de Mossouliotes chrétiens ont perdu confiance dans leurs voisins musulmans, car nombre d’entre eux avaient accueilli les djihadistes, des sunnites comme eux, en «libérateurs».
Seules trente à cinquante familles sont revenues, notamment parce que ces personnes ont du travail en ville. Beaucoup ne restent pas en fin de semaine, préférant passer leur week-end à Ankawa ou dans les villages chrétiens. La plupart des étudiants et des professeurs chrétiens de l’Université de Mossoul n’habitent pas dans la métropole du Nord de l’Irak et font la navette tous les jours.
Reconstruire les églises détruites ?
Mgr Najib Mikhaël a mis en place trois centres d’accueil pour les étudiants chrétiens et yézidis à l’extérieur de la ville: à Qaraqosh, Qaramles et Aqra. Si l’église St-Paul a été réparée, il n’y a pas de messe en rite chaldéen chaque dimanche. De toute façon, les responsables chrétiens ne savent pas s’ils vont reconstruire les églises dévastées de Mossoul. «En effet, si les fidèles ne reviennent pas, à quoi cela servirait-il ?»
«L’église, c’est pour les gens, et actuellement, ils ne sont pas là. Etant donné que des quartiers entiers ont été écrasés par les bombes, certaines églises hébergent des familles musulmanes, comme celle du St-Esprit. Mgr Najib Mikhaël leur a dit qu’elles pouvaient rester pour le moment, mais qu’elles devront partir un jour, quand les chrétiens reviendraient». Ce qui n’est vraisemblablement pas le cas à brève échéance.
L’avenir des chrétiens de Syrie n’est pas au Kurdistan
De retour à Ankawa, Naseem Asmaroo a visité les écoles mises en place par le diocèse chaldéen d’Erbil, dirigé par Mgr Bachar Warda. Elles reçoivent gratuitement les enfants de réfugiés syriens qui ont fui la guerre qui ravage le pays voisin depuis 2011. «C’est une décision du Conseil épiscopal, qui promeut le ‘vivre ensemble’ avec les réfugiés. L’écolage coûte annuellement entre 1’500 et 2’000 dollars, mais il est gratuit pour les chrétiens de Syrie, comme le sont les dispensaires et les institutions sociales de l’Eglise».
Il y aurait 600 familles chrétiennes syriennes à Ankawa, en provenance du Nord de la Syrie, de la Jezireh et d’Alep, et même d’une région chrétienne entre Damas et la Ghouta. «Elles scrutent quotidiennement la situation, pour savoir si et quand elles pourraient rentrer en Syrie, car certaines, qui avaient demandé un visa pour l’Australie, ont déjà essuyé un premier refus».
Sortir du communautarisme
Les Syriens ne pourront de toute façon pas rester au Kurdistan, car la vie y est trop chère, même si les loyers ont baissé avec le retour d’un certain nombre de chrétiens dans les villages de la Plaine de Ninive. Les parents ne trouvent que des jobs très peu payés, dans la restauration, les ménages, les jardins d’enfants… alors que les taxes de séjour prélevées par le gouvernement d’Erbil sont très élevées. La seule lueur d’espoir, dans le chaos irakien, semble être, pour Naseem Asmaroo, ce nouvel état d’esprit de la jeunesse irakienne, qui rejette tant le confessionnalisme que le communautarisme et prône l’unité du peuple sur le territoire de l’ancienne Mésopotamie. (cath.ch/be)
Les chaldéens en Suisse
Les catholiques chaldéens sont, en Suisse, près d’un millier, dans 8 cantons. Ils proviennent d’Irak, de Syrie, de l’Iran et du Tur Abdin (la «Montagne des serviteurs de Dieu», une région montagneuse du Sud-Est de la Turquie). La messe est dite principalement en araméen oriental, les langues utilisées étant par ailleurs les dialectes syriaques (comme par ex. le suryoyo et le soureth). Prêtre marié, comme il est usuel dans l’Eglise chaldéenne, Naseem Asmaroo célèbre également la messe selon le rite latin. JB