La «règle d'or» proposée aux religions dans le canton de Fribourg
«Ce que tu voudrais qu’on fasse pour toi, fais-le de même pour les autres». Cette «règle d’or», présente dans toutes les traditions religieuses, le pasteur Pierre-Philippe Blaser l’a proposée le 6 novembre 2019 à Bulle. Il participait à une table ronde organisée à l’occasion des dix ans du Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG).
Cette manifestation s’est tenue à l’occasion de la Semaine Suisse des Religions, organisée du 2 au 10 novembre dans toute la Suisse. Une bonne soixantaine de personnes avaient fait le déplacement à Espace Gruyère pour assister au débat public sur le thème «Croyant et Citoyen: Quel vivre ensemble ?»
L’abbé Claude Ducarroz, personnalité engagée aux côtés des migrants, Pascal Gemperli, ancien président de l’Union vaudoise des associations musulmanes (UVAM), et Pierre-Philippe Blaser, président du Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Fribourg (EERF), ont débattu sous la régie de Dominique Voinçon, chargé du dialogue interreligieux dans le canton de Vaud.
Le dilemme du «citoyen soldat ordinaire»
Le chanoine Claude Ducarroz, personnalité fribourgeoise connue par son engagement aux côtés des migrants, notamment au sein de l’association «Osons l’accueil !», a expliqué certains combats qui, au cours de sa vie, «l’ont fait grandir dans la conscience qu’il ne faut pas tout accepter, qu’il faut parfois résister pour faire changer les choses».
Le prévôt émérite de la cathédrale St-Nicolas a expliqué son dilemme de «citoyen soldat ordinaire» quand il a été confronté à l’époque à l’incarcération d’objecteurs de conscience condamnés pour vouloir vivre une non-violence évangélique. Ne pouvant accepter qu’on emprisonne des humanistes pour leurs idées, il s’est engagé dans le mouvement catholique «Pax Christi» et le Centre Martin Luther King (CMLK), d’origine protestante. Il décida de participer au mouvement de refus de la taxe militaire «tant qu’il y aurait des objecteurs de conscience emprisonnés».
«Face à ces actions, il y avait des critiques, de l’hostilité, même dans nos Eglises… On a fini par introduire le service civil en 1996». Claude Ducarroz ne regrette pas ce combat et quand il voit des civilistes si utilement engagés dans les EMS, il estime que cela en valait vraiment la peine. Pour lui, le combat quotidien pour le «vivre ensemble», face à une société qui a tendance à exclure celui qui n’est pas «d’ici», relève de ses plus profondes convictions chrétiennes.
Pas de contradiction entre islam et loi suisse
Adhérent à l’islam «par choix», Pascal Gemperli, lui, ne voit pas de contradiction entre sa religion et la loi suisse. «La question ne s’est jamais posée dans ma vie. Je me suis converti et j’ai adhéré au parti des Verts la même année, en 2009», explique l’ancien président du Conseil communal de Morges.
Parti au Maroc dans le cadre de son service civil, dans un projet de développement durable, il n’a jamais caché ses opinions, participant par exemple aux manifestations contre la guerre en Irak. «C’est tout récemment qu’en tant que musulmans, nous prenons position sur des questions politiques, le racisme, l’environnement, la protection de la création, et dans ces domaines, on est sur la même longueur d’onde que les Eglises catholique et protestante».
Soulignant que les communautés musulmanes sont de temps en temps au centre de crispations ou de polémiques – la question des minarets, du voile islamique, des cimetières musulmans, etc. -, il relève qu’elles font désormais partie de la réalité suisse. Pour l’ancien président de l’UVAM, ces crispations sont «la preuve d’une réussite de l’intégration des musulmans en Suisse».
Quand la musulmane était femme de ménage, son voile ne faisait pas problème
En effet, relève-t-il, quand la musulmane était femme de ménage, son voile ne faisait pas problème. C’est quand elle est devenue fonctionnaire, magistrate, parlementaire que les choses ont changé ! Quant aux démarches en cours concernant la reconnaissance étatique de la communauté musulmane dans le canton de Vaud, «cela prouve que l’on est d’ici. Cela fait débat, mais c’est aussi bien ainsi !»
La reconnaissance de l’UVAM en tant qu’institution d’intérêt public sera accordée après cinq ans si les lois suisses sont strictement respectées, si la lutte contre la radicalisation est menée et la totale transparence financière garantie.
La reconnaissance institutionnelle, que la moitié du chemin
«C’est dans l’intérêt de tout le monde, cela nous permettra de travailler avec l’Etat, d’être consultés, d’avoir des aumôneries dans les divers établissements… A la fin du processus, il y aura débat et certainement un référendum, mais je suis confiant: le canton de Vaud est ouvert», assène Pascal Gemperli. Le canton de Vaud, avait, tout comme Genève et Neuchâtel, refusé l’initiative sur l’interdiction des minarets lancée par le comité d’Egerkingen, une entité proche de l’UDC, un parti de la droite nationaliste.
Claude Ducarroz remarque, à l’adresse des musulmans, que la reconnaissance institutionnelle n’est que la moitié du chemin, l’autre moitié étant de gagner l’adhésion de la population, d’améliorer leur image dans l’opinion publique, «et là, il a y a peut-être encore des choses à faire !»
Le chrétien doit aussi être critique
Toujours au plan de la citoyenneté, Pierre-Philippe Blaser remarque que les protestants se font un point d’honneur d’être bien intégrés dans la société. Mais il estime que le chrétien doit aussi être critique, et en Suisse, il est possible d’avoir une libre parole. C’est ainsi que les Eglises, par exemple, s’engagent, avec de nombreuses ONG, pour l’initiative pour des multinationales responsables, ou dénoncent le durcissement de la pratique de l’asile et le nombre croissant de poursuites pénales liées à l’aide aux personnes en détresse en vertu l’article 116 de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI).
Mais le président du Conseil synodal de l’EERF salue le fait que dans le canton de Fribourg, les contacts avec les autorités politiques sont très bonnes, parlant même d’un «petit paradis» en ce qui concerne les relations des Eglises avec l’Etat. Si l’Eglise était amenée à critiquer certaines mesures du gouvernement, un conseiller d’Etat lui a fait comprendre que ce n’était pas un problème, «chacun étant dans son rôle».
Une foi bien ancrée permet le dialogue
Le pasteur Blaser constate également que la peur de l’autre, dans la population, vient souvent du choc de la modernité, de la «pluralisation de la société» et de la dissolution des croyances. «Le pluralisme, la liberté d’expression ou la sécularisation ne doivent pas faire peur aux religions. Ces réalités doivent au contraire inciter les croyants à approfondir leur foi. Et pour qu’elle ne se sente pas menacée, elle doit être étudiée et fortifiée. Quand on a une foi bien ancrée, on peut mieux rencontrer l’autre et entrer en dialogue avec les idées différentes. La tolérance peut vivre avec la croyance!»
Revenant à l’application au quotidien de la «règle d’or», Pierre-Philippe Blaser affirme que les responsables religieux, tant chrétiens que musulmans, ont un important rôle à jouer pour favoriser la bonne entente entre les humains d’une même cité. JB
Jacky Brandt: «Quand nous ouvrons nos portes, l’autre n’est plus un étranger»
Au moment des discussions sur la votation concernant l’interdiction des minarets, en 2009, on sentait qu’il n’y avait pas vraiment de dialogue entre chrétiens et musulmans, il fallait absolument se parler pour se connaître… A 80 ans, Jacky Brandt, la cheville-ouvrière du Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère (GIIG), explique que ce groupe, où les adhérents sont des bénévoles qui s’engagent à titre personnel – ils ne sont pas mandatés par leur communauté -, est né justement du désir de croyants de répondre à ce manque de dialogue en Suisse.
Industriel retraité – il a longtemps dirigé une entreprise spécialisée dans la construction métallique – et ancien président de la paroisse réformée de Bulle, Jacky Brandt estime que dans le contexte de globalisation et du brassage des populations dû notamment à l’immigration, le dialogue interreligieux est devenu une urgente nécessité. Ce dialogue interreligieux, qui est aussi un dialogue des cultures, est à ses yeux une précieuse source d’enrichissement et une grande ouverture spirituelle.
Le GIIG fête ses dix ans d’existence
Alors que le GIIG fête cette année ses dix ans d’existence, «son message est plus actuel que jamais face à la déshumanisation, l’égoïsme, le populisme croissant…», affirme cet apôtre de «l’entre-connaissance». Répondre à ces défis n’est pas seulement l’affaire de spécialistes, mais de tout un chacun, estime-t-il. «Nous devons sortir de notre bulle pour vivre l’ouverture vers l’autre, celui qui est différent. Dès le début, notre première conférence publique concernait déjà le ‘vivre ensemble’». Jacky Brandt confie que les débuts ne furent pas toujours faciles: «Il y avait de la méfiance à l’intérieur même de notre propre communauté». Le GIIG a un comité de huit membres, comprenant des protestants, des catholiques et des musulmans, et une soixantaine de sympathisants, essentiellement en Gruyère. L’initiateur de cette démarche, qui a puisé son inspiration dans les conférences de la Fondation Caux-Initiative et changements (anciennement Réarmement moral), estime qu’il est de la responsabilité des croyants de non seulement vivre leur foi personnellement, mais de la concrétiser en travaillant à construire un monde de paix et de solidarité. (cath.ch/be)