Les manifestants protestent contre un modèle de développement qui ne profite qu'à une minorité | Carlos Figueroa/Wikimedia commons
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Emeutes au Chili: L'Eglise dénonce les profondes inégalités sociales

Les émeutes et les troubles sociaux sans précédents depuis la mi-octobre au Chili ont fait déjà onze morts et des centaines de blessés. L’Eglise chilienne invite le gouvernement à «comprendre le profond malaise» de la population face aux profondes inégalités sociales.

Des organisations religieuses, se solidarisant avec les demandes légitimes du peuple, ont dénoncé le 21 octobre  2019 «la perversité du système néolibéral déshumanisant» imposé au peuple chilien par une minorité privilégiée. EIles déplorent le discours du gouvernement qui qualifie les manifestants de «délinquants, vandales, anarchistes». Les pillages et l’incendie d’une bonne centaine de supermarchés ainsi que la paralysie de nombreux services sont les manifestations d’un profond malaise social.

Le richissime président chilien Sebastian Piñera

La hausse du prix des transports publics a été l’étincelle qui a mis le feu aux poudres et provoqué le mécontentement de la population de ce pays considéré superficiellement comme un modèle de stabilité politique et économique en Amérique latine.  

Le richissime président chilien Sebastian Piñera, face au mécontentement d’une grande partie de la population, dans ce pays aux inégalités sociales criantes, n’a pas calmé les esprits en lâchant: «nous sommes en guerre contre un ennemi puissant et implacable» au lieu d’essayer d’analyser les causes de la colère populaire.

Comprendre les racines de la violence

Le Comité permanent de la Conférence épiscopale chilienne, dénonçant les violences contre les personnes et les destructions de biens, a cependant demandé que l’on s’attelle à comprendre les racines de cette violence et à travailler d’urgence à les prévenir.

Exprimant leur préoccupation face aux très graves événements qui secouent la société chilienne, les évêques soulignent la responsabilité qu’ont ceux qui exercent un certain leadership dans le pays. Ils sont censés «comprendre le profond malaise des individus et des familles qui sont touchés par des inégalités injustes, par des décisions arbitraires qui les affectent dans leur vie quotidienne et par des pratiques qu’ils considèrent abusives, car elles portent surtout préjudice aux groupes les plus vulnérables».

Le peuple pauvre réclame l’équité

Dans un communiqué, les Sœurs apostoliques et contemplatives du Bon Pasteur, réunies en Assemblée capitulaire, déclarent s’engager pour la dignité des personnes et pour la justice et la paix. Elles répercutent le «cri du peuple pauvre et souffrant de notre pays, qui réclame l’équité».

Depuis les «périphéries existentielles» où elles sont présentes, les religieuses se solidarisent «avec les demandes légitimes du peuple: des retraites dignes, une éducation gratuite, des transports de qualité, le droit fondamental à la santé et au logement, des salaires justes. Nous qualifions de pervers le système néolibéral deshumanisant, qui foule aux pieds la dignité et les droits des personnes pour le profit, ce qui a généré une violence structurelle qu’aujourd’hui nous ne pouvons plus contrôler».

«La clameur des pauvres qui monte au ciel»

De leur côté, les Frères franciscains du Chili, qui appellent à entendre «la clameur des pauvres qui monte au ciel», affirment qu’il n’est pas difficile de comprendre cette explosion de mécontentements et de frustrations, de colère contenue au cours de nombreuses années.

Les religieux chiliens ne s’étonnent pas que les jeunes se soient soulevés avec indignation face à tant d’injustices alors que l’on parle sans cesse du «miracle chilien». «Ce sont les enfants qui ont grandi en voyant leurs parents faire l’impossible pour les éduquer, en espérant un avenir meilleur. Ce sont les jeunes et les adultes qui pensent qu’ils n’ont rien à perdre et qui croient encore que nous pouvons rêver de changements profonds; ce sont eux qui ont dévoilé tant de mensonges qu’on a racontés à leurs aînés, et qui ont dit: «ça suffit!» alors qu’ils attendent toujours un avenir meilleur qui n’arrive jamais et qui, au contraire, s’éloigne toujours davantage».

Et de mentionner encore ceux qui n’ont pas accès aux prestations de santé, qui reçoivent des retraites misérables alors qu’ils ont travaillé toute leur vie. «Pour beaucoup, la rémunération ne suffit pas à joindre les deux bouts», écrivent les franciscains, tout en rappelant que l’augmentation de la rémunération des parlementaires est «scandaleuse face à la réalité d’une grande partie de la population active». Ils dénoncent également la corruption dans les Forces armées et les Carabiniers.

Un modèle injuste qui privilégie les riches

La Province chilienne de la Congrégation de la Mission, si elle dénonce, elle aussi, la «violence irrationnelle» qui détruit tout et met en danger l’intégrité et la vie des personnes, rejette les déclarations simplistes du gouvernement, qui affirme que ce qui arrive est seulement l’œuvre d’exaltés et de délinquants. Les religieux de Saint-Vincent-de-Paul dénoncent à leur tour la violence structurelle qui, au Chili, ne touche pas seulement les pauvres, mais également les classes moyennes.

«La violence, c’est aussi la répression violente des manifestations pacifiques et le traitement dégradant ou méprisant des plus humbles ou de ceux qui ont une opinion différente. La violence, c’est aussi légiférer pour maintenir l’inégalité et pour que les travailleurs paient proportionnellement plus d’impôts que les grandes entreprises et les plus riches de la société». (cath.ch/cech/be)  

Les recettes néolibérales des «Chicago Boys»
Les observateurs rappellent que le Chili est le premier Etat dans lequel un gouvernement – il s’agissait alors de la sanglante dictature de Pinochet – a mis en application les recettes néolibérales des «Chicago Boys» disciples de l’économiste monétariste états-unien Milton Friedman.
«Le soulèvement actuel est le produit de quarante ans d’orthodoxie néolibérale (…) La doctrine promue par les ‘Chicago Boys’ n’a jamais été remise en cause, malgré le retour à la démocratie et indépendamment de l’orientation politique du gouvernement, même sous la socialiste Michelle Bachelet», note l’historien Olivier Compagnon, directeur de l’Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine (IHEAL), cité par le journal Le Monde le 21 octobre 2019. JB

Les manifestants protestent contre un modèle de développement qui ne profite qu'à une minorité | Carlos Figueroa/Wikimedia commons
22 octobre 2019 | 16:40
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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