A Derry, des fresques murales rappellent les troubles d'août 1969 | flickr master philipp CC BY-NC 2.0
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Il y a 50 ans: En août 1969, l'Irlande du Nord explose

Le 15 août 1969, la localité de Derry, en Irlande du Nord est en flammes après plusieurs heures d’âpres combats entre les résidents et la police royale d’Ulster (RUC). La fumée se répand dans les rues jonchées de pierres, de verre brisé et de bonbonnes de gaz lacrymogènes vides. L’Irlande du Nord entre dans un conflit de 30 ans qui fera 3’500 morts.

Depuis des décennies, Derry (ou Londonderry) est le symbole des excès du gouvernement unioniste en Irlande du Nord. Bien que les catholiques y soient deux fois plus nombreux que les protestants, les restrictions du droit de vote et la manipulation des limites des circonscriptions électorales permettent une majorité unioniste substantielle au conseil municipal, qui distribue les emplois, les maisons et les subventions.

La tension dans la ville couvait depuis que la police royale d’Ulster (RUC) avait attaqué une marche pour les droits civiques le 5 octobre de l’année précédente. Le 19 avril 1969, un rassemblement nationaliste irlandais à la Guildhall de Derry est attaqué par des loyalistes qui lancent des pierres. La police intervient et poursuit la foule nationaliste dans le quartier catholique de Bogside.

«Des chants sectaires rappellent les victoires passées sur les catholiques irlandais»

Le 14 juillet Francis McCloskey, retraité, est décédé des suites de blessures subies lors d’un passage à tabac de la RUC à Dungiven. Le 16 juillet, plus de 20’000 personnes assistent aux funérailles de Samuel Devenney, 42 ans, décédé après avoir été blessé lors des incidents du 19 avril

Derry retient son souffle

Depuis des semaines, Derry retient son souffle à l’approche du 12 août qui commémore le siège de 1689 où les protestants ont repoussé les forces catholiques fidèles au roi Jacques II. Le gouvernement nord-irlandais résiste aux pressions pour interdire tous les défilés. Quelque 10’000 Orangistes et 60 fanfares sont descendus à Derry pour la marche annuelle des Apprentice Boys.

Le Bogside est le tronçon le plus sensible de la route. Alors que les Orangistes marchent dans la ville, des chants sectaires résonnent dans les haut-parleurs qui rappellent les victoires passées sur les catholiques irlandais.

Les premières pierres sont jetées avant 15 heures, alors que le défilé approche du quartier catholique. La violence s’intensifie rapidement en dépit des supplications des leaders des droits civiques. Ces jets de pierres provoquent une réaction violente de la part des 700 policiers de la RUC, qui s’abattent sur le quartier. Lourdement armés et protégés par des boucliers et des véhicules blindés, les policiers sont accompagnés d’une foule loyaliste qui lance des pierres et endommage les biens.

À 20 h, les bandes orangistes se sont dispersées et les manifestants sont rentrés chez eux. Mais le Bogside demeure en guerre. Des cocktails molotovs tombent des étages des appartements de Rossville-street. Des barricades s’érigent. À la tombée de la nuit, des émeutiers capturent une station-service et établissent une chaîne de montage de cocktails Molotov. Peu avant minuit, la police commence à tirer des gaz lacrymogènes. 112 personnes sont transportées à l’hôpital, 91 policiers et 21 civils sont blessés.

Manifestations dans tout le Nord

En solidarité avec Derry, les partisans des droits civiques dans tout le Nord organisent des manifestations de rue pour disperser les troupes de la RUC et ralentir la progression des B-Specials, la force auxiliaire très redoutée composée entièrement de protestants, qui a été envoyée à Derry. A Dungannon, six heures d’émeutes font 30 blessés alors qu’à Strabane, 1’000 manifestants détruisent le poste de police local.

«Une guerre de génocide est sur le point d’éclater dans le Nord»

Le vice-président de l’Association des droits civils d’Irlande du Nord, Vincent McDowell, déclare qu’»une guerre de génocide est sur le point d’éclater dans le Nord».

Le mercredi 13 août, les émeutes s’étendent à d’autres régions d’Irlande du Nord, notamment Belfast, Newry, Coalisland, Enniskillen, Lurgan, Omagh, Dungiven, Strabane et Dungannon. À Derry, les combats féroces se poursuivent dans William Street et Little James’s Street. A Belfast, 500 nationalistes se rassemblent à Divis Flats et marchent vers deux postes de police qu’il attaquent avec des pierres et des cocktails molotovs. La bataille se poursuit toute la nuit.

Le premier ministre irlandais Jack Lynch estime à la télévision que le gouvernement d’Irlande du Nord ne contrôle plus la situation. Il en appelle à l’intervention d’une force de maintien de la paix de l’ONU.  Ce que le gouvernement de Londres refuse arguant qu’il s’agit d’une affaire interne au Royaume-Uni.

Les premiers morts

Le jeudi 14 août, la violence dégénère. Six personnes meurent dans des affrontements, cinq à Belfast, dont un enfant de 9 ans, et une à Armagh. Le gouvernement d’Irlande du Nord fait alors appel à l’armée britannique. Elle se déploie dans le Bogside où elle est bien accueillie par les assiégés. Un cessez-le-feu est demandé et la bataille s’achève. C’est le début de l’opération Banner.

Des troupes britanniques sont également déployées dans les secteurs de Falls Road et de Shankill Road à Belfast, où il y a des affrontements répétés entre catholiques et protestants.

Le vendredi 15 août, les violences se poursuivent à Belfast avec des combats constants entre nationalistes et loyalistes. Des maisons et des magasins sont incendiés. Le premier civil protestant meurt dans les troubles.

La violence s’étend à Dublin et à Londres

Le samedi 16 août, la violence se répercute à Dublin et à Londres. Une foule attaque l’ambassade britannique à Dublin dans la nuit du 16 au 17 août. Seize policiers sont blessés et au moins 60 locaux du centre-ville sont attaqués et incendiés. Une émeute éclate à Londres devant le bureau d’Ulster, rue Berkeley, où des partisans nationalistes affrontent la police métropolitaine. Le nombre de civils blessés en Irlande du Nord dépasse les 500, 226 policiers sont soignés pour leurs blessures.

Le pape Paul VI condamne «les émeutes amères et la dure répression»

Le dimanche 17 août, des hommes armés attaquent un poste de la RUC d’Armagh Sud à Crossmaglen et une grenade à main est lancée. Le pape Paul VI appelle les catholiques et les protestants à reconnaître leur héritage chrétien commun. Il condamne les «émeutes amères et la dure répression». Des flux de réfugiés des zones nationalistes de Belfast se déplacent vers le sud.

Une intervention britannique controversée

L’intervention des soldats britanniques ramène un calme provisoire. Mais on ignore alors que leur présence va durer trente ans et que jusqu’à 30’000 hommes seront mobilisés en Irlande du Nord.  L’opinion publique fait rapidement volte-face et l’armée britannique est à son tour accusée de partialité en faveur des protestants. L’année 1970 voit l’émergence de l’IRA provisoire, (Armée républicaine irlandaise). L’organisation clandestine lance une campagne d’attentats contre les forces britanniques, tuant un premier soldat en février 1971. Dans le camp unioniste, des milices d’extrémistes protestants répliquent.

Bloody Sunday

Le dimanche 30 janvier 1972, des parachutistes britanniques tirent sur une manifestation pacifique de catholiques à Derry, faisant 14 morts. Trois jours après ce Bloody Sunday, (dimanche sanglant) l’ambassade britannique à Dublin est réduite en cendres par une foule en rage. Le 24 mars, le gouvernement britannique suspend les institutions d’Ulster et y impose son administration directe.

Attentats, émeutes, répression féroce, procès retentissants, manifestations vont s’enchaîner pendant près de 30 ans, à un rythme plus ou moins soutenu, faisant quelque 3’500 morts.

Vendredi Saint

Le 10 avril 1998, après des années de difficiles tractations, Londres, Dublin et les dirigeants loyalistes et séparatistes nord-irlandais signent à Belfast un accord de paix soutenu par l’IRA. L’accord du Vendredi Saint met fin au conflit. En 2005, l’IRA ordonne le démantèlement de son arsenal, et le Royaume-Uni réduit progressivement le nombre de ses soldats. L’opération Banner prendra fin officiellement le 31 juillet 2007 (cath.ch/irish times/ag/mp)

A Derry, des fresques murales rappellent les troubles d'août 1969 | flickr master philipp CC BY-NC 2.0
16 août 2019 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
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