Le COE scrute le rôle des chrétiens dans l'esclavage 

Dans un remarquable exercice d’autocritique, Olav Fykse Tveit, secrétaire général du Conseil œcuménique des Eglises (COE), a reconnu le rôle des Eglises chrétiennes dans l’esclavage des siècles passés.

Il a relevé que la foi au Christ était une motivation pour regarder la vérité en face et poursuivre la lutte contre le racisme et l’esclavage des temps modernes.

«En tant qu’Eglises affirmant aujourd’hui les droits de l’homme et la dignité humaine, nous devons aussi nous engager à rendre des comptes» face à ce fardeau historique, et ceci devant Dieu et devant l’humanité, a lancé le pasteur luthérien norvégien. Le secrétaire général du COE intervenait sur le thème «Mettre fin à l’esclavage aujourd’hui: considérations théologiques œcuméniques» dans le cadre du Forum d’Engelberg, qui s’est tenu à Genève les 24 et 25 juin 2019.

Les Eglises doivent aussi faire leur autocritique

Olav Fykse Tveit a ainsi estimé nécessaire qu’en plus des gouvernements, des instances de l’ONU et de la société civile, les organisations confessionnelles et les communautés religieuses s’engagent elles aussi «à reconnaître et à  combattre le fléau de l’esclavage à notre époque».

Le secrétaire général du COE a demandé au Eglises de s’attaquer pleinement aux problèmes de l’esclavage aujourd’hui, qui est répandu, «mais aussi profondément enraciné dans la culture et la religion».

 Complicité dans l’esclavage

«Un exercice d’autocritique et d’apprentissage, pour évaluer et aborder franchement le rôle de nos propres traditions et même la complicité dans l’esclavage, peut nous aider à comprendre ce dont nous devons être conscients aujourd’hui encore. C’est nécessaire pour notre crédibilité, mais aussi pour voir plus clairement comment nos traditions et nos valeurs peuvent être mal utilisées».

Soulignant l’ambiguïté de l’héritage biblique, le secrétaire général du COE relève que si la Bible dénonce les mauvais traitements infligés aux serviteurs et aux esclaves, elle ne remet pas fondamentalement en cause le droit de posséder des esclaves, et en particulier l’asservissement des peuples capturés ou étrangers. Et dans le Nouveau Testament, on peut lire: «Esclaves, obéissez en tout à vos maîtres terrestres» (Col 3,22).

Textes bibliques accablants

Le plus accablant est Eph 6,5: «Esclaves, obéissez à vos maîtres terrestres avec respect et crainte, et avec sincérité de cœur, comme vous obéiriez au Christ». Pour le pasteur Tveit, dans leur essence, ces textes renforcent l’autorité du maître en tant qu’elle découle de Dieu et c’est là l’un de ses aspects les plus problématiques face à la force libératrice de la liberté chrétienne.

Et de reconnaître qu’une utilisation de la Bible a été faite pour légitimer l’esclavage, pour renforcer l’obéissance des esclaves, pour favoriser une spiritualité d’acquiescement à l’oppression et à la souffrance.

Responsabilité historique des chrétiens

Le secrétaire général du COE souligne la responsabilité historique des chrétiens: «nous devons également reconnaître et nous repentir face au rôle des Eglises dans l’histoire coloniale européenne, la traite des esclaves, les mauvais traitements infligés aux peuples autochtones, ainsi que le dénigrement et la destruction de leurs héritages culturels».

Genève, 24 juin 2019 Le cardinal Kurt Koch échange avec le pasteur Olav Fykse Tveit , secrétaire général du Conseil oecuménique des Eglises | © Jacques Berset

En effet, a-t-il poursuivi, l’entreprise coloniale était souvent présentée comme un idéal religieux et comme un effort missionnaire chrétien. La Bible était utilisée pour légitimer l’esclavage et manipuler les esclaves. «A de notables exceptions près, il a fallu des siècles aux chrétiens pour se dissocier de cette alliance impie de puissances religieuses, commerciales et nationales». Et de relever que le coût pour le christianisme a été immense.

Nouvelles formes d’esclavage

Evoquant la responsabilité théologique des chrétiens, Olav Fykse Tveit affirme que lorsque nous approfondissons cette histoire, «nous devons reconnaître que nous avons eu beaucoup à apprendre sur le plan théologique, ce qui doit être répété et réactivé dans notre conscience théologique aujourd’hui, alors que nous sommes confrontés à de nouvelles formes d’esclavage».

Le secrétaire général du COE, rappelant qu’au fil des siècles les enfants ont souvent été traités comme des biens mobiliers ou de simples biens économiques, relève que la compréhension religieuse et éthique des enfants continue de se développer, tout comme leur protection contre les abus de toutes sortes. Face à un enracinement dans un «patriarcat androcentrique» qui n’a pas encore disparu, les femmes sont devenues davantage vulnérables à la pratique inhumaine de l’esclavage ainsi qu’aux abus sexuels.

L’apartheid» et ses justifications religieuses

A propos du racisme, «la théologie n’a pas été daltonienne, mais nous reconnaissons rarement que le racisme trouve aussi ses racines dans des visions religieuses du monde, surtout à l’époque moderne et plus particulièrement en ce qui concerne l’apartheid». Il était donc très important de mettre en œuvre le Programme du COE de lutte contre le racisme en Afrique du Sud. Nelson Mandela a déclaré à l’Assemblée du COE en 1998 que sans le COE, il n’aurait pas été alors un homme libre.

Pourtant, les conséquences héritées du racisme et de la xénophobie subsistent encore de nos jours: dans de nombreuses régions du monde «certains rejettent d’autres comme inférieurs, ignorent leur humanité et les diabolisent à des fins politiques».

Les intérêts commerciaux et économiques, l’exploitation de la nature et le pillage des ressources naturelles, le consumérisme, plus radicalement mis en évidence dans l’Evangile de la Prospérité, sont devenus un système de valeurs qui sert presque de religion pour beaucoup.

La manipulation de la religion

Bien que la période contemporaine soit libérée de certains des pires fardeaux historiques et théologiques, la politique et la pratique chrétiennes s’avèrent encore aujourd’hui souvent inutiles dans la lutte contre l’esclavage moderne, souligne-t-il. «Trop souvent, nous voyons des dirigeants politiques utiliser la religion, même les soi-disant valeurs et la civilisation chrétiennes comme prétexte pour des intérêts nationaux, des intérêts économiques, le racisme, les préjugés, l’exclusion et la haine…»

«Nous devons nous dire les uns aux autres dans les dialogues interreligieux que de tels risques apparaissent dans toutes les religions. Trop souvent, nous utilisons la Bible comme une défense de notre style de vie ou une arme pour condamner les opposants idéologiques plutôt que comme un encouragement à la réflexion autocritique et à la conversion continue aux besoins des autres. Trop souvent, nous voyons Jésus comme un simple sauveur personnel plutôt que comme un rédempteur de toute l’humanité qui ouvre la voie à la guérison, à l’élévation, à l’aide à la vie en abondance, un prophète de la justice, qui qualifie sans ambages l’exploitation comme un mal!»

«Une vie en abondance pour tous»

«Si nous ne défendons pas la dignité humaine, l’esclavage deviendra l’avant-garde d’un avenir d’exploitation d’une part toujours plus grande de nos populations, conclut le secrétaire général du COE. En tant qu’Eglises, en tant que chrétiens, en tant que personnes de bonne volonté, nous devons dire non à l’esclavage, non à l’exploitation, et oui à la vie humaine, à la dignité humaine, à une vie en abondance pour tous». Et d’insister sur le fait que le Conseil œcuménique des Eglises, en collaboration avec les institutions et les personnes de bonne volonté, «s’engage à faire sa part pour éradiquer les nouvelles formes d’esclavage et la traite des personnes». (cath.ch/be)

 

Olav Fykse Tveit, secrétaire général du COE, a reconnu le rôle des Eglises dans l'esclavage | © Jacques Berset
8 juillet 2019 | 15:32
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 5  min.
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