Haïti: la rue réclame la démission du président accusé de corruption

Des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dimanche de Pentecôte 9 juin 2019 dans plusieurs villes de Haïti, appelant à la démission du président Jovenel Moïse, accusé de corruption. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont fait plusieurs morts dans ce pays des Caraïbes qui est l’un des plus pauvres du monde.

Ces événements interviennent à un moment où le président Jovenel Moïse est lâché par des secteurs vitaux de la nation comme les évêques catholiques et les principales associations patronales d’Haïti. Le déclencheur de ces nouvelles manifestations est la publication du second rapport de la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif sur l’utilisation des fonds Petrocaribe.  Il montre le rôle de Jovenel Moïse et de son entreprise dans un stratagème de détournement de fonds publics.

La corruption, «un mal endémique», selon les évêques

La corruption généralisée devient «un mal endémique» en Haïti, dénoncent les évêques. Dimanche 9 juin, plusieurs organisations et membres de l’opposition avaient appelé à une journée de manifestation dans tout Haïti. Des dizaines de milliers de manifestants ont gagné les rues de la capitale Port-au-Prince et de plusieurs villes de province, notamment Cap-Haïtien, Gonaïves, Saint-Marc, Miragoâne, Cayes et Jérémie.

Cette vaste mobilisation, qui exige la démission de Jovenel Moïse, a été convoquée par le mouvement citoyen anti-corruption des PetroChallengers et est soutenue par des partis politiques et d’autres organisations de la société civile. Ces structures organisées estiment que le président haïtien, accusé de graves détournement de fonds dans un rapport de la Cour des comptes, n’est plus apte à conduire les destinées du pays.

Vatican News pointe les dépassements de budgets, les contrats avec plusieurs entreprises pour le même chantier, les fraudes fiscales… «La Cour des comptes a ouvert la boîte de Pandore de la corruption et aucune administration n’est épargnée. Au cœur de ce vaste système de corruption, l’argent versé entre 2008 et 2018 par le Venezuela avec le programme Petrocaribe«.

Détournement du programme Petrocaribe

Entre 2008 et 2018, Haïti a bénéficié du programme Petrocaribe, mis en place à l’initiative de l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez, qui a permis à plusieurs pays d’Amérique latine et des Caraïbes d’acquérir des produits pétroliers à un prix avantageux.

Cela a été un vaste gaspillage, selon la Cour des comptes, «au nom de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, au détriment des populations les plus vulnérables censées être les bénéficiaires du programme». C’est ce que dénonce le rapport publié le 1er juin 2019, qui parle de dépenses «exorbitantes et extravagantes». Les exemples ne manquent pas: l’organisation de festivités de carnaval ou encore des contrats avec une entreprise travaillant dans la production de bananes payée pour un projet routier.

PetroCaribe Challenge à la pointe de la contestation

En effet, avant son accès à la présidence de la République d’Haïti, en février 2017, Jovenel Moïse était à la tête de l’entreprise Agritrans, qui a reçu en 2014 plus de 700’000 dollars américains pour un projet de réhabilitation de route, alors que son activité n’avait rien à voir avec le secteur routier.

Dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 20 ans, «aucune préoccupation concernant les générations futures n’a été prise en compte», tandis que le remboursement de cette dette au Venezuela incombera à ces générations, déplore la Cour des comptes. La population, elle, est en colère. Depuis 2018, elle a lancé le mouvement PetroCaribe Challenge pour obtenir un audit de la Cour des comptes.

«Le pays est au bord de l’abîme»

Les évêques d’Haïti ont lu «avec attention et consternation» le rapport de la Cour des comptes, et estiment dans un communiqué que «la source principale du mal qui ronge notre pays, c’est l’amour excessif de l’argent».

«Notre pays traîne honteusement dans la corruption au plus haut niveau de la société. La corruption généralisée devient un mal endémique, une bourbe salissante, un fait dégradant, un vol organisé. Elle est devenue une véritable plaie sociale qui gangrène nos institutions, rend la politique malade, menace la démocratie et la paix sociale, et ainsi nuit gravement, tant d’un point de vue éthique qu’économique, au développement de notre pays», écrivent les évêques qui déplorent une situation socio-économique catastrophique et une instabilité politique macabre.

«Comportements indignes des politiciens»

Ces situations douloureuses sont subies par la population haïtienne, insistent les évêques, «car l’instabilité politique qui sévit en Haïti et les comportements indignes des politiciens sont sur le point d’inaugurer dans le pays ‘l’ère de l’ivresse assassine du sans-limite’ et nous assistons – dans presque tous les secteurs de la vie nationale – à une sorte de violence protéiforme dont nul n’est à l’abri».

D’une seule voix, unis à la population, les évêques appellent au changement dans leur pays, car le peuple «en a assez de souffrir». Ils demandent au peuple de distinguer ceux qui recherchent vraiment le bien.

La Fédération protestante d’Haïti réclame le changement

Après la Conférence des évêques d’Haïti et le Forum économique, c’est maintenant la Fédération protestante d’Haïti (FPH) qui appelle à un changement de système. «Ce système ne tient plus. Il doit changer!», écrit la FPH dans une prise de position publiée le 9 juin 2019.

Selon la FPH, le dernier rapport de la Cour des comptes montre que les dégâts sont encore plus graves que ce que pensait la société. «Si nos institutions avaient fait leur travail régulièrement selon la loi, on n’aurait pas tous ces dégâts», a dénoncé le pasteur Sylvain Exantus, président de la FPH. (cath.ch/radvat/nouvelliste/be)

Manifestations à Port-au-Prince | Capture d'écran Youtube
10 juin 2019 | 13:13
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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