Jacques Nuoffer, président du groupe SAPEC ( (Soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse) (photo Maurice Page)
Suisse

Le 'motu proprio' sur les abus est un progrès, mais qui doit se concrétiser

Le président du Groupe SAPEC, unique association de victimes d’abus dans un contexte ecclésial en Suisse, a salué le 10 mai 2019 les avancées du motu proprio du pape François Vos estis lux mundi contre les abus sexuels. Jacques Nuoffer estime toutefois que le texte ne va pas assez loin sur certains points.

«Bien, mais peut mieux faire», résume Jacques Nuoffer. Le représentant du SAPEC; lui-même victime d’abus, reconnaît que le document publié par le Vatican le 9 mai 2019 réalise plusieurs demandes de son groupe et d’autres associations de victimes. «Globalement, cela va dans le bon sens», assure-t-il. Il mentionne en particulier l’obligation de signaler à l’Eglise tout soupçon d’agression sexuelle ou de harcèlement, y compris contre des personnes majeures. «Ce point est important, car il permet d’agir contre les mises sous emprise que des responsables religieux peuvent exercer sur des personnes qui leur sont subordonnées. Comme dans les cas qui ont récemment été mis au jour d’abus sur des religieuses».

Système de signalement positif

Jacques Nuoffer trouve aussi très positive l’exigence de dénonciation de toute tentative de couvrir des faits au niveau de la hiérarchie. La mise en place d’un système de signalement simple et accessible lui paraît une avancée intéressante, ainsi que la possibilité qu’un tel signalement soit rétroactif, concernant donc des cas prescrits. «C’est quelque chose que nous avons déjà mis en place en Suisse, notamment avec Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). La Suisse est donc à l’avant-garde dans le domaine, mais c’est une bonne chose que cela puisse être généralisé ailleurs».

Dénonciation lacunaire

D’autres points laissent Jacques Nuoffer insatisfait. Notamment le maintien du secret absolu de la confession, qui exclut une dénonciation d’éventuels abus rapportés dans un confessionnal. Autre point problématique du motu proprio: l’absence d’obligation de signalement aux autorités judiciaires dans les pays où cela n’est pas légalement exigé. «Cet aspect peut poser des difficultés dans certains pays, relève le président du SAPEC. En particulier en Italie, où l’Eglise est très présente et où la dénonciation n’est pas obligatoire. Cela permet encore à beaucoup d’agresseurs d’échapper à la justice».

Il déplore aussi l’absence de mention de dédommagements financiers en faveur des victimes. Un aspect sur lequel la Suisse est également bien avancée, avec le dispositif original d’indemnisation de la Commission Ecoute-Conciliation-Arbitrage-Réparation (CECAR), mis sur pied sous la pression des victimes en collaboration avec l’Eglise catholique et avec le soutien de parlementaires. Les personnes victimes qui ne veulent plus avoir à faire avec l’institution qui ne les a pas protégés peuvent y obtenir reconnaissance et réparation.

Le «système métropolitain» pas parfait

Le fait que les victimes ne puissent pas avoir accès à leur dossier, mais seulement aux résultats de l’enquête, à l’issue de la procédure, déçoit particulièrement Jacques Nuoffer. Il se souvient que dans son propre cas, cette impossibilité de pouvoir consulter des informations le concernant avait été douloureuse.

L’une des principales mesures de Vos estis lux mundi est le rôle central confié à l’archevêque métropolitain, chargé de prendre la responsabilité de l’enquête lorsqu’un évêque est mis en cause. Ce point ne satisfait cependant pas le représentant du Groupe SAPEC, qui considère que «trop de marge» est laissée au prélat. «Le métropolitain n’a aucune obligation de s’entourer de personnes indépendantes et compétentes».

Associations de victimes à l’écart

Jacques Nuoffer regrette aussi qu’aucune place ne soit donnée par le document aux associations de victimes. «Il aurait été très constructif de généraliser la démarche suisse, où les associations de victimes et l’Eglise ont décidé d’agir conjointement». L’activiste appelle aussi à l’établissement d’une instance juridique indépendante qui serait en charge de juger les clercs abuseurs à travers le monde. Il estime en outre dommage que le pape ne donne aucune incitation à ouvrir un dialogue général sur les questions du pouvoir et de la sexualité dans l’Eglise.

Maintenir la pression

«Je suis finalement content que ce texte soit sorti. Même s’il n’est pas parfait, il permet d’avancer, confie le président du SAPEC. Je pense que le pape ne se rend pas compte de certains points qui paraissent importants aux victimes et qu’il y a de nombreux freins dans l’Eglise sur ces questions. Maintenant, il faut maintenir la pression pour que les progrès continuent et surtout pour que les mesures annoncées dans le motu proprio soient réellement appliquées». (cath.ch/rz)

Jacques Nuoffer, président du groupe SAPEC ( (Soutien aux personnes abusées dans une relation d'autorité religieuse) (photo Maurice Page)
10 mai 2019 | 14:10
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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