Bulgarie: le pape François face à la froideur des hiérarques orthodoxes

La joie et la ferveur étaient indéniables, les 5 et 6 mai 2019, dans les rangs de la petite minorité catholique de Bulgarie – quelque 44’000 fidèles, sur une population de 7 millions d’habitants à près de 80% orthodoxes. Il n’en était cependant pas de même du côté orthodoxe, dans une Eglise réticente à l’œcuménisme, et pas seulement envers les catholiques.

L’Eglise orthodoxe bulgare était certes entrée au Conseil œcuménique des Eglises (COE), mais s’en est finalement retirée en 1998. De même, elle a boycotté le Concile panorthodoxe qui s’est déroulé en juin 2016 en Crète, le qualifiant de «ni grand, ni saint, ni panorthodoxe». Contrairement aux autres Eglises orthodoxes, l’Eglise bulgare ne participe pas à la commission théologique de dialogue catholico-orthodoxe.

Si le pape François a été reçu dimanche matin 5 mai 2019 au Palais du Saint-Synode à Sofia par le Patriarche orthodoxe Néophyte et les membres du Saint-Synode, il s’agissait simplement d’une visite protocolaire. Le patriarche orthodoxe Néophyte n’a pas joint sa prière à celle du pape François, alors que ce dernier a réitéré l’engagement de l’Eglise catholique dans le dialogue œcuménique, en pleine continuité avec les efforts menés notamment par Jean XXIII, qui fut délégué apostolique en Bulgarie, et par Jean Paul II, qui visita la Bulgarie en 2002.

Pas d’acte liturgique commun

La situation était claire dès le départ: le Saint-Synode, l’organe de gouvernement de l’Eglise orthodoxe bulgare, avait d’emblée refusé, à l’unanimité, de s’associer à quelque acte liturgique commun que ce soit présidé par le chef de l’Eglise catholique.

Malgré les paroles d’ouverture du pape François, le Patriarcat orthodoxe bulgare n’avait envoyé aucun haut dignitaire à la rencontre interreligieuse pour la paix, lundi soir 6 mai sur la Place de l’indépendance de Sofia. A cette cérémonie étaient présents des représentants des principales religions de Bulgarie: l’Eglise orthodoxe roumaine, l’Eglise arménienne, des représentants de l’islam, de l’Eglise protestante et du judaïsme, mais l’Eglise orthodoxe bulgare, la plus importante, n’était représentée que par un simple laïc.

L’œcuménisme du sang forgé dans la persécution

Le pape François avait certes été reçu poliment la veille par le patriarche Néophyte, qui l’avait remercié pour cette visite protocolaire, qu’il a saluée comme une marque de «respect réciproque». Dans son allocution, le patriarche a déclaré: «Au nom du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe de Bulgarie, nous vous saluons avec votre suite: Bienvenue !  Bienvenue dans la terre qui porte l’héritage des saints Cyrille et Méthode égaux-aux-apôtres, du saint prince Boris-Michel le baptiste [Boris Ier de Bulgarie, qui a pris l’initiative du baptême du peuple Bulgare, ndt], de saint Clément d’Ohrid et de nombreux autres saints de Dieu».

Le patriarche a assuré faire «tous les efforts afin de ne pas nous engager dans le compromis en matière de foi. Nous nous réjouissons chaque fois lorsque nous apprenons que d’autres leaders spirituels partagent des convictions semblables!»

Des voies «immédiatement praticables» pour l’unité des chrétiens

De son côté, l’évêque de Rome a indiqué des voies «immédiatement praticables» pour l’unité des chrétiens appartenant à des confessions différentes, soulignant notamment «l’œcuménisme du sang» – en particulier la persécution commune subie par les chrétiens des diverses confessions sous le communisme.

En rencontrant le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe bulgare, le pape François a en effet rappelé le sang qui unit les martyrs chrétiens de toute confession et le fait que les persécuteurs ne font pas de distinction quand ils attaquent les croyants dans le Christ et leurs lieux de prière.

Les Eglises sont déjà rapprochées, malgré les divisions ataviques, leurs conflits et leurs controverses doctrinales, avec le martyre et la persécution dans cet œcuménisme du sang, rappelle ainsi le journaliste Andrea Tornielli, directeur éditorial du Dicastère pour la communication du Vatican.

«On peut cheminer ensemble en cherchant à annoncer l’Evangile»

Faisant mémoire d’Angelo Roncalli, le futur Jean XXIII, qui fut représentant pontifical en Bulgarie, le pape en a reproposé le témoignage, en invitant les chrétiens à «cheminer et faire ensemble pour donner témoignage au Seigneur, en particulier en servant les frères les plus pauvres et oubliés, dans lesquels Il est présent». C’est «l’œcuménisme du pauvre».

On peut déjà être unis, on peut déjà cheminer ensemble, indépendamment des dialogues de haut niveau et des différences théologiques, note Tornielli. «On peut témoigner ensemble de l’Evangile auprès de ceux qui souffrent». Le troisième œcuménisme proposé par le pontife est lié à la mission et à la communion, sur l’exemple des saints Cyrille et Méthode: c’est celui de la mission. «On peut cheminer ensemble en cherchant à annoncer l’Evangile».

Des déchirures douloureuses infligées au Corps du Christ

Le pape a encore relevé que «les plaies, qui, tout au long de l’histoire, se sont ouvertes entre nous chrétiens, sont des déchirures douloureuses infligées au Corps du Christ qu’est l’Eglise. Aujourd’hui encore, nous en touchons avec la main les conséquences. Mais peut-être que si nous mettons ensemble la main dans ces plaies et confessons que Jésus est ressuscité, et si nous le proclamons notre Seigneur et notre Dieu, si, en reconnaissant nos manques, nous nous immergeons dans ses plaies d’amour, nous pouvons retrouver la joie du pardon».

Et le pape François d’exprimer son espoir du jour où, «avec l’aide de Dieu, nous pourrons célébrer sur le même autel le mystère pascal». (cath.ch/vaticannews/orthodoxie.com/be)

Le pape François accueilli par le patriarche Néophyte le 5 mai 2029 à Sofia |© Patriarcat orthodoxe de Bulgarie
8 mai 2019 | 00:22
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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