L'abbaye Notre-Dame d'Orval produit environ 78'000 hl de bière par an. | © Orval
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L'Orval: une bière née d'une légende

L’Orval, une bière blonde produite à l’abbaye cistercienne de Notre-Dame d’Orval, dans le sud-est de la Belgique, doit son nom à une légende.

Nous sommes en Belgique au XIe siècle, et Mathilde est une comtesse de Toscane. Elle est aussi la tante de Godefroy de Bouillon, le célèbre chevalier. Au cours d’une balade (d’autres parlent d’une chasse), la comtesse est venue boire au bord d’un ruisseau où, par inadvertance, elle a fait tomber son alliance dans l’eau.

Or cette bague était le seul souvenir qui lui restait de son défunt mari. Elle invoque alors la Vierge. Une truite aurait jailli de l’eau, tenant dans sa bouche le précieux anneau. Mathilde aurait saisi l’anneau en s’écriant: «Vraiment, c’est ici un val d’or!»

Une truite et un anneau

Pour remercier la Vierge, Mathilde a alors voulu qu’on fonde sur ce «val d’or» une abbaye… qui a pris le nom Orval. En souvenir de cet épisode, la source d’eau, avec laquelle est brassée la bière, fut rebaptisée «Mathilde». La comtesse est à la fois peu et beaucoup évoquée à Orval: la fontaine éponyme est un point du site incontournable encore majoré depuis la réalisation de la fresque de Jean-Claude Servais. La truite de la légende est sans cesse sur les bouteilles, les verres, les ferronneries d’art dans toute l’abbaye.

Mathilde à qui la truite rend sa bague nuptiale. La fontaine éponyme est un point du site incontournable. | © Jacques Berset.

Le logo visible sur les bouteilles d’Orval représente d’ailleurs une truite tenant dans sa bouche un anneau. On le trouve partout: sur les vitraux, sur les portes, dans la brasserie.

La bouteille de la bière a une forme arrondie bien particulière et inimitée, faisant penser à celle d’une quille. Cette forme permet en effet à la bouteille de résister à la forte pression de la bière qu’elle contient. La pression de la bière Orval est en effet deux fois plus importante que les bières blondes traditionnelles.

La Brasserie d’Orval, implantée dans l’enceinte de l’Abbaye, a été créée en 1931 pour financer l’énorme chantier de la reconstruction d’Orval. Elle a, dès le début, embauché de la main-d’œuvre salariée, dont le premier maître brasseur, Pappenheimer, à l’origine de la recette de fabrication. La politique commerciale de la brasserie est ajustée aux valeurs vécues par la communauté monastique. Les revenus de la marque sont consacrés à des œuvres sociales et à l’entretien des bâtiments.

Une bière rare

L’Orval est une denrée rare. Les cafés et les commerces ne l’ont plus à disposition de manière constante. Et ce phénomène risque de se généraliser dans les années à venir. La bière est produite selon la tradition trappiste. C’est à dire qu’elle doit être brassée au sein de l’abbaye. Or l’espace y est limité, et la clôture du monastère (les murs de la brasserie) n’est pas extensible à l’infini. La production est limitée, quelle que soit la demande.

Un autre engagement des moines trappistes consiste à ne pas produire plus que ce dont ils ont besoin pour vivre. Ils versent le surplus à des œuvres de charité. Or les moines reversent déjà plus de la moitié de leurs bénéfices à des associations caritatives. Signe que la production actuelle d’Orval leur suffit déjà largement pour vivre. Ils n’ont donc aucune raison de l’augmenter.

La Brasserie d’Orval prône une production modérée, qui est toutefois loin d’être négligeable: 22 millions de bouteilles sont produites annuellement, dont plus de 85% sont destinées au marché belge.La production de la bière se monte à environ 78’000 hl par an. Or cette quantité se trouve insuffisante pour satisfaire la très grande demande des amateurs, puisque l’on constate partout dans les points de vente des pénuries. Ce phénomène semble même être devenu un véritable sujet de société, puisque la presse belge l’évoquent régulièrement.

L’abbaye d’Orval, dans le sud-est de la Belgique. | © Jacques Berset.

Une Orval ou un Orval?

Dans la majorité de la francophonie, on pense qu’il faut dire «une Orval» car cette expression est la contraction d’»une bière Orval». De même que l’on dit «une Chimay» pour signifier «une bière de Chimay», il faudrait donc dire «une Orval».

Les Gaumais c’est-à-dire les habitants de la Gaume, région de la Belgique où est produite la bière, disent «un Orval». La raison: la légende d’Orval nous apprend que Mathilde s’est exclamée «Vraiment c’est ici un Val d’Or». Par la suite, toujours d’après la légende, l’appellation «Val d’Or» aurait donc donné le nom local Orval. Or l’on dit bien un Val d’Or. On doit donc dire un Orval.

Pour les soutenir, les habitants locaux peuvent aussi compter sur Le Dictionnaire des belgicismes (2e édition de 2010) qui stipule qu’Orval «est féminin dans la majeure partie de la Belgique francophone, mais est un nom masculin dans sa région de production».

Les brasseurs de l’Orval eux-mêmes semblent préférer cette interprétation, puisqu’ils disent eux-mêmes que «Servir un Orval est tout un art». C’est officiel: si vous voulez dire le diminutif d’»une bière Orval», préférez le féminin. Et si vous êtes un puriste, utilisez le masculin.

Une bière qui se garde

Grâce à sa levure de la variété des Brettanomyces, la bière peut se conserver pendant plusieurs années dans une cave. Comme les grands vins. Puisqu’elle se bonifie en vieillissant, la bière Orval est donc à part parmi les bières, et même au sein des bières trappistes. Elle est ainsi souvent comparée aux grands crus par les spécialistes. L’étiquette de la bouteille permet de connaître la date d’embouteillage et la date recommandée de consommation optimale.

Depuis 1931, elle doit surtout son goût incomparable à la qualité de son eau, de ses houblons et de ses levures. Elle s’appuie sur des variétés spécifiques de houblons, très aromatisées, qui sont liées au premier maître-brasseur d’Orval, originaire de Bavière. Et sa méthode anglaise de houblonnage à cru lui procure une diversité d’arômes tout en maintenant son niveau d’amertume.

Ainsi, un Orval de six mois ou plus aura tendance à présenter un mélange d’odeurs de levure et de houblon suranné. L’amertume sera plus diffuse et le goût aura évolué vers une subtile touche d’acidité, accompagnant des saveurs de caramel, de levure et des notes madérisées.

Une, deux ou trois années de vieillissement en cave sont souvent conseillées par les amateurs. Certains puristes poussent même le vice jusqu’à attendre cinq ans après la mise en bouteille. (cath.ch/cathobel/ag/bh)

L'abbaye Notre-Dame d'Orval produit environ 78'000 hl de bière par an. | © Orval
7 mai 2019 | 15:56
par Bernard Hallet
Temps de lecture : env. 4  min.
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