Lausanne: la «tentation d’Exit» passée au crible
Le prêtre valaisan Michel Salamolard a évoqué, le 27 mars 2019 dans la salle Notre-Dame de Lausanne, les arcanes juridiques et humains de l’assistance au suicide. Il a notamment fustigé le rôle de l’association Exit, qui se sert de l’article 115 du Code pénal pour promouvoir une mort programmée.
La salle Notre-Dame a failli se révéler trop exiguë. Le Cercle catholique de Lausanne (CCL) avait choisi, pour sa première conférence 2019, de traiter d’un thème brûlant: «La tentation d’Exit». Près de 80 personnes ont répondu à l’appel pour entendre l’abbé Michel Salamolard, prêtre à Sierre et auteur de nombreux ouvrages sur l’éthique chrétienne.
Le conférencier a précisé d’emblée qu’il parlait comme quelqu’un qui «a connu des personnes qui se sont suicidées», mais aussi comme quelqu’un qui a «décidé d’épouser (s)a vie»: «Quoiqu’il arrive, nous terminerons ensemble», a précisé le prêtre valaisan, également confident, comme ecclésiastique, des souffrances de personnes tentées par l’assistance au suicide.
La Constitution fédérale
Posant le débat comme une réflexion citoyenne, sans jugement sur les personnes demandant l’assistance au suicide, l’abbé Salamolard dénonce le changement de mentalité contemporain. Aujourd’hui, dit-il, nous assistons «à un développement de l’incitation et de l’aide légale au suicide» ainsi qu’à «une baisse de la réprobation morale de l’incitation de l’aide au suicide».
Et pourtant, la Constitution fédérale précise, dans son préambule, que «la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres».
«Poussé par un mobile égoïste»
Statistiquement, l’association Exit recense 28’762 membres en Suisse romande. Une hausse constante qui va de pair avec la hausse du nombre de suicides assistés en Suisse, passés de 187 en 2003 à 1204 en 2018.
La base légale de l’assistance au suicide réside dans l’article 115 du Code pénal suisse. Sous le titre «Incitation et assistance au suicide», ce texte adopté en 1937 – et jamais révisé depuis – stipule : «Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.»
Le contexte social, teinté de patriotisme, de 1937 diffère de celui de notre époque. La notion de « mobile égoïste» évoqué par le texte de loi n’a jamais été étudiée vraiment par les juges, estime Michel Salamolard. En 1937, l’aide au suicide correspond à une situation ultime de l’honneur à sauver ou de trahison en cas de guerre, comme l’atteste l’article 114 du Code, qui correspond au «Meurtre sur la demande de la victime».
«Je ne grimpe plus à 4000 mètres»
L’anomalie juridique de l’article 115 est ainsi exploitée par les associations d’aide au suicide comme Exit ou Dignitas. Les règles actuelles de prise en charge par Exit, par exemple, correspondent à des demandes «en face de maladies incurables», de «souffrances intolérables» et de «polypathologies invalidantes liées à l’âge».
Ancien guide de montagne, Michel Salamolard se dit, avec ironie, correspondant à ces polypathologies invalidantes puisqu’il «voit moins bien» à 77 ans, qu’il «ne peut plus grimper à 4000 mètres», que «ses genoux commencent à grincer». Car derrière ces normes ouvertes au suicide aidé, pointe déjà une nouvelle demande : celles de personnes «fatiguées de vivre».
Se suicider à l’hôtel?
Le grand argument de la liberté individuelle est brandi par les organisations comme Exit. Et le combat de cette dernière consiste à entrer dans les EMS. Or une mort programmée dans un établissement chargé, au contraire, de prendre soin des personnes âgées jusqu’à la fin crée souvent un traumatisme profond au sein du personnel des EMS ainsi que chez les autres résidents.
«Pourquoi ne pas se suicider à l’hôtel? demande, provocateur, l’abbé Salamolard. «Pour ne pas attenter à la réputation de l’établissement et parce que les clients et le personnel ne l’accepteraient pas… Alors pourquoi demander cela à un EMS, dont la valeur suprême est d’aider les personnes à mourir dans la dignité?».
«Les souffrances intolérables»
Pourtant, pointe le conférencier, les EMS du canton de Vaud ne peuvent pas refuser, depuis 2012, la tenue d’une assistance au suicide en leur sein, à certaines conditions. Ce changement, accepté par le peuple vaudois, prouve, s’il en est, la pénétration progressive des organisations d’aide à la mort sur demande dans les établissements de soins.
Au final, le conférencier a mis en valeur les soins palliatifs, qui offrent souvent des moyens humains de finir sa vie avec dignité. L’abbé Salamolard préconise donc d’interdire l’incitation au suicide ainsi que les organisations d’aide au suicide. Et de refuser d’apporter une aide médicale au suicide, car le rôle du médecin est d’aider et protéger les plus faibles.
La Fédération des médecins suisses (FMH) a d’ailleurs refusé, en 2018, de suivre les recommandations de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) qui préconisait de permettre le suicide assisté en cas de souffrances intolérables: une notion subjective et imprécise pour la FMH. L’aide au suicide continue d’agiter le débat social. L’assistance nombreuse réunie à Lausanne en a donné une preuve supplémentaire. (cath.ch/bl)