Liban: Les chefs religieux ne veulent pas d'un mariage civil
Depuis des décennies, au Liban, la revendication de la possibilité de conclure un mariage civil, sous une forme facultative ou obligatoire, fait polémique. Dans les «pays des cèdres», le mariage reste l’affaire des religieux. Tant le mufti de la République, le cheikh sunnite Abdellatif Deriane, que le patriarche maronite, le cardinal Bechara Raï, sont opposés au mariage civil.
Deriane affirme que le mariage civil, qui n’est pas autorisé au Liban, «est contraire à la religion islamique». Cela irait, à ses yeux, totalement à l’encontre de la charia. Les chiites sont sur la même longueur d’onde.
Pour le patriarche maronite, le mariage civil va «à l’encontre du sacrement»
En février 2019, à l’issue d’une réunion avec le président de la République Michel Aoun, le patriarche maronite Bechara Raï a estimé qu’»une personne chrétienne ne peut pas se marier civilement, parce qu’elle sera en état de péché, d’autant que cette forme de mariage va à l’encontre du sacrement». Il s’était toutefois prononcé auparavant en faveur d’une «loi civile unique contraignante qui s’imposerait à tous».
Le Liban n’a pas de code de statut personnel unifié (statut juridique concernant notamment le mariage, le divorce, la garde des enfants, l’héritage), dans un pays où coexistent dix-huit confessions religieuses. Chaque communauté a ses tribunaux qui règlent chacune à leur manière toutes les questions relatives au statut personnel
Une question de privilèges ?
Chaque fois qu’ils sentent leurs privilèges menacés au Liban, les religieux, toutes confessions confondues, se mettent d’accord sur une même position, s’en prenant au courant laïque démocratique, pour qui le mariage civil est un besoin prioritaire et l’un des droits de la personne. Le courant laïque et démocratique a proposé, dès les années 1960, un projet de loi concernant le mariage civil facultatif pour résoudre la question sans heurter les institutions confessionnelles. En vain jusqu’à présent!
Au Liban, le mariage est religieux par tradition, mais il a aussi des conséquences économiques. A chaque mariage ou divorce, l’église ou la mosquée perçoivent une somme d’argent conséquente. Si le mariage civil devient légal au Liban, les institutions religieuses perdraient donc de l’argent. Mais des religieux se sont prononcés en faveur du mariage civil. Près de 25’000 Libanais se seraient mariés civilement à l’étranger. Des agences de voyage se sont même spécialisées dans le commerce matrimonial.
Chypre, l’échappatoire
Pour échapper au carcan religieux, qui interdit notamment les mariages inter-religieux, et en l’absence d’un mariage civil, de nombreux Libanais se rendent à Chypre, à moins de 300 km du Liban. Ils peuvent là s’unir librement. Le mariage civil hors des frontières libanaises est reconnu depuis 1936, mais pas à l’intérieur. Le débat à ce propos a ressurgi en 1951, alors que l’Ordre des avocats de Beyrouth proposait un projet de loi civile sur le statut personnel. Le projet de loi permettant le mariage civil facultatif, défendu en 1998 par le président de la République, le maronite Elias Hraoui, avait été rejeté par Premier ministre d’alors, le sunnite Rafic Hariri, qui avait cédé à la pression des religieux.
Apostats
Au Liban, les dignitaires religieux ne considèrent pas comme apostats (»mourtadine») leurs fidèles à condition qu’ils contractent leur mariage civil en dehors des frontières, mais les déclarent «mourtadine» s’ils le font au Liban.
Mi-février, la nouvelle ministre libanaise de l’Intérieur, Raya Hassan, s’était déclarée favorable à l’instauration d’un mariage civil facultatif. La musulmane sunnite avait alors déclenché une vive polémique en déclarant son intention «d’ouvrir la porte au dialogue pour faire reconnaître le mariage civil facultatif au Liban».
La société civile se rebiffe
Son interview diffusée le 15 février 2019 sur la chaîne télévisée Euronews a relancé une vieille polémique et suscité la réprobation des milieux musulmans. Les instances religieuses sunnites avaient rapidement réagi et refusé une nouvelle fois la possibilité pour les Libanais de contracter des unions civiles.
Longue liste de discriminations envers les femmes
Dans le quotidien francophone libanais «L’Orient-Le Jour», l’avocate Joëlle Bou Abboud Rouillard, présidente de l’ONG de défense du droit des femmes Al Insan Mahabba (AIM), rappelle quelques exemples de discriminations des femmes dans les lois communautaires libanaises, «toutes confessions confondues».
Elle note ainsi que la garde des enfants revient prioritairement au père, et qu’une mère chrétienne avec un mari musulman perd la garde des enfants si elle les élève dans la foi chrétienne. Elle perd également la garde des enfants si elle se remarie. En cas de divorce, la primauté du droit est en faveur de l’homme. Joëlle Bou Abboud Rouillard pointe également du doigt «des expériences inacceptables à supporter, tels l’adultère ou les violences conjugales afin que le divorce d’une femme soit légitimement et socialement accepté».
Pour une loi civile «unique et obligatoire»
L’avocate milite pour qu’au Liban, «une loi civile, unique et obligatoire», protège les droits fondamentaux des femmes, et «qu’en cas de conflits entre le droit civil et le droit religieux, c›est le droit civil qui doit prévaloir». Elle affirme que le mariage civil ne s’oppose pas à la religion et n’exclut pas le mariage religieux, «mais il doit concilier la croyance avec les valeurs de citoyenneté et d’égalité de tous devant la loi». (cath.ch/orj/be)
La «Déclaration de la fraternité humaine pour la paix dans le monde et la coexistence commune» a été signée conjointement par le pape François et Ahmed El-Tayeb, grand imam d’Al-Azhar, lors de la visite du pontife aux Emirats Arabes Unis (EAU) en février 2019. Les deux dignitaires religieux ont, à cette occasion, plaidé pour l’émancipation de la femme et l’abolition des pratiques inhumaines et des coutumes humiliantes à son égard. Les partisans du mariage civil au Liban y voient une invitation à instaurer l’égalité entre hommes et femmes dans les pays musulmans.