Carême: «Les catholiques doivent apprendre à discuter», plaide Philippe Lefebvre
Professeur d’Ancien Testament à l’Université de Fribourg, le dominicain Philippe Lefebvre voit dans le Carême qui commence l’occasion pour l’Eglise en crise de se convertir.
Cette année, le début du Carême entre en résonance avec l’actualité sur les abus sexuels…
Philippe Lefebvre: C’est le moins que l’on puisse dire. Les révélations entendues depuis des mois – et loin d’être terminées – sont un appel à la conversion. Personnelle, certes, mais aussi du monde catholique. Demandons-nous ce que nous voulons vivre dans l’Eglise. Pourquoi certains sujets sont-ils tabous, comme la sexualité, celle des prêtres en l’occurrence?
J’ai dénoncé un prédateur sexuel pendant treize ans. Il a finalement été condamné par l’Eglise en juillet dernier, mais pourquoi avoir attendu tout ce temps? Ce n’est pas seulement la hiérarchie qui est en cause: ce sont aussi certains sites catholiques qui montent au créneau à la moindre critique. Peut-on s’asseoir, parler, téléphoner à la personne pour lui demander ses sources avant de vouloir la faire taire, comme si le silence allait sauver l’Eglise?
Avant de manger moins de Nutella, apprenons à nous parler.
J’aimerais que ce Carême, avant de nous faire manger moins de Nutella, soit un moment pour apprendre à se parler. Pas seulement des abus sexuels, d’ailleurs: ceux-ci sont spectaculaires, mais ils sont le fruit du désir plus profond le mettre la main sur autrui. La Bible ne parle que de ça.
A quoi pensez-vous?
Dans la Genèse, Dieu dit à Adam et Eve de ne pas mettre la main sur l’arbre qui est au milieu du jardin. Arrive un petit malin qui leur assure: «Mais pas du tout, si vous mangez du fruit de l’arbre, vous serez comme des dieux». Alors que Dieu se balade à quelques mètres de là, personne ne l’invite au débat. On prend le fruit dans son dos sans qu’il y ait de discussion: ni avec Lui, ni entre Adam et sa femme, ni même avec le serpent, l’Abuseur par excellence.
Que peuvent faire les baptisés à leur échelle?
Parler de ce qui arrive en ce moment; et laisser parler les personnes que l’on n’a pas l’habitude d’entendre. J’accompagne des personnes victimes d’abus: à la racine de leur souffrance, il y a toujours un interdit de parole. Les catholiques peuvent aussi renoncer à certains préjugés.
Lesquels?
L’idée qu’on exagère avec ces histoires d’abus, que c’est pareil ailleurs, dans l’éducation le sport, le cinéma,… Peut-être, mais commençons par chez nous! Depuis une dizaine d’années, on m’a raconté une centaine d’histoires qui ne figureront jamais dans aucune statistique. On ne connaît que 1% à 10% des cas. Nous avons bien assez à faire.
Croyez-vous que l’Eglise saura changer de culture?
Jésus nous le demande, en tout cas. Le défi, ce n’est pas d’abord les mesures spectaculaires, les grandes annonces médiatiques, mais retrouver la parole entre nous. Pouvoir dire où on en est.»Moi je ne crois pas à toutes ces histoires d’abus»: très bien, parlons-en!
Pierre et Paul se sont engueulés copieusement.
Peut-être qu’on ne sera pas d’accord: ce n’est pas grave! Pierre et Paul se sont engueulés copieusement, lit-on dans la lettre aux Galates, mais ils ne sont pas tombés en miettes pour autant. Ils sont même les colonnes de l’Eglise. On a le droit de se disputer, tant qu’on cherche la vérité.
Vous-mêmes, comment abordez-vous ce Carême?
En communion avec toutes les personnes qui m’ont raconté des histoires longtemps tues. Et je l’aborde avec une certaine colère. J’espère non qu’elle disparaisse – Jésus lui-même a été en colère –, mais qu’elle soit féconde. (cath.ch/cmc)