Abbé Mauro Lepori: «Nous sommes passés de l’humiliation à l’humilité»
Pour Mauro Giuseppe Lepori, Abbé général de l’Ordre cistercien, la lutte contre les diverses formes d’abus dans l’Eglise exige de donner plus d’importance à la synodalité, aux femmes et à la formation des séminaristes. L’ancien Père-Abbé d’Hauterive (FR) estime que l’Eglise est sur un chemin d’humilité et de conversion.
En réaffirmant que les abus sont une tragédie, dans le discours final de la rencontre sur la protection des mineurs, le pape a dit à l’Église qu’il était nécessaire de recommencer, de repartir avec une grande humilité.
Durant cette rencontre, nous sommes passés d’un sentiment de honte et d’humiliation à une volonté de traverser cette épreuve avec humilité. Qu’est-ce que l’humilité? C’est l’attitude qui permet à Dieu d’agir dans la vie des personnes. Elle permet un chemin de conversion. Après tout, pourquoi y a-t-il eu toutes ces dissimulations d’abus? Parce que l’humiliation n’a pas été acceptée, elle ne s’est pas transformée en humilité. Car c’est l’humilité qui permet à Dieu d’agir et de vaincre le mal.
C’est pourquoi le pape, dans son discours de clôture, a eu le courage d’attribuer à Satan l’origine de ces maux et de nous appeler tous à un chemin d’humble conversion. François l’a affirmé d’une façon extraordinaire: cette blessure devient une occasion de vie nouvelle, dans la mesure où nous acceptons humblement la situation et le besoin de conversion.
Toute l’histoire de l’Église et toute la spiritualité mystique et monastique s’accordent pour affirmer que la seule réalité qui vainc Satan est l’humilité, car c’est la seule vertu qu’il ne peut imiter. Les Pères du désert ont toujours fait l’expérience que l’humilité vainc le mal. Le diable jeûne et veille plus que tous les ascètes, il ne mange ni ne dort; mais l’humilité du Christ, il ne la supporte pas.
Dans son message conclusif, François affirme aussi que dans la «colère du peuple pour les abus, nous devons lire la colère de Dieu». Pourtant, il y a encore des membres de l’Eglise qui ont un regard négatif sur ceux qui soulèvent ces questions.
Dans le contexte ecclésial, nous assistons parfois à des réactions défensives, par exemple lorsque les médias ou les États sont accusés d’exploiter la question des abus pour attaquer l’Église. Nous avons pris conscience que même si cela peut arriver, du point de vue de l’Église, toute dénonciation de ces problèmes est la voix de Dieu, d’où qu’elle vienne. C’est une correction dont nous avons besoin. En l’acceptant, nous pouvons devenir un signe pour les autres, qui à leur tour ont besoin de l’accepter. L’Église, qui à travers beaucoup de ses membres n’a pas été fidèle à la conduite morale que Dieu lui a confiée, dans son choix de réagir positivement et humblement à ses lacunes, retrouve ce leadership éthique qu’elle avait perdu.
«Ce qui a fait obstacle au changement c’est l’abus de pouvoir et le cléricalisme»
Une première prise de conscience est arrivée grâce aux cas très graves apparus aux États-Unis. Elle a été suivie par des mesures élaborées progressivement. Aujourd’hui, face aux affaires de prélats qui ont couvert des agresseurs, il semble que la conscience ne soit pas partout la même dans l’Eglise.
À l’intérieur de l’Église, il existe des mécanismes non évangéliques de conception du pouvoir qui conduisent à des formes d’insensibilité aux blessures les plus graves. Cette insensibilité devient complice d’un acharnement sur les plus faibles et les plus démunis.
Jésus lui-même a combattu le cléricalisme des apôtres. Pensez au lavement des pieds ou lorsque, dans l’Evangile, on parle de ceux qui voulaient s’approprier le ministère et le transformer en pouvoir, en une position de prestige. Pensons aussi à la scène où les disciples voulaient empêcher les enfants d’aller vers Jésus; même dans ces circonstances ils tombaient dans un abus de pouvoir.
Pour lutter contre le cléricalisme, à l’origine de la dissimulation des abus, la collégialité des évêques doit être vécue dans une synodalité. Même la formation des prêtres doit être synodale.
Je crois qu’aujourd’hui, le temps est venu où la collégialité des évêques doit être vécue dans la synodalité, à l’exemple de ce que nous avons vécu la semaine passée. En effet, à la rencontre étaient présent des évêques, mais aussi des religieux et des laïcs, dont des femmes. La synodalité n’enlève rien à l’autorité théologique des évêques, au contraire. Elle leur permet d’exercer dans la vérité que le Christ voulait. En particulier, elle ouvre au rôle que la femme peut avoir, précisément en tant que femme.
«Dans les structures de l’Église, le regard des femmes est très important»
Quelques femmes ont participé à la rencontre avec des discours très appréciés et le pape François a souligné la nécessité de cette présence.
Le pape a parlé du rôle de la femme comme commentaire à la réponse d’une intervenante à une de mes questions. La doctoresse avait donné l’exemple de sa maternité, de la naissance de son enfant. Le pape a repris ses mots en affirmant que «la femme est l’image de l’Église épouse, femme et mère». Il s’agit donc de comprendre que l’autorité hiérarchique fait aussi partie de cette nature maternelle de l’Église. La présence des femmes dans l’Église est fondamentale parce qu’elle aide à comprendre comment exercer l’autorité ecclésiastique.
Un exemple concret à ce propos?
Moi, je fais presque toutes mes visites canoniques accompagnées d’une abbesse, même dans les monastères masculins. Qu’est-ce que cela change? Le regard. Et il est très important que ce regard féminin soit là, parce qu’il est une aide à vivre l’autorité sous l’angle de la maternité, dans une prise en charge mille fois plus fructueuse que l’autoritarisme.
Dans mon ordre monastique, depuis 2000, les supérieures (qui représentent la moitié des membres) sont pleinement impliquées dans le Chapitre général et dans les structures de gouvernement. Cela a totalement changé le gouvernement de l’Ordre. Je dis toujours que nous sommes passés de la politique à la communion. C’est-à-dire d’une manière de gérer l’autorité comme pouvoir, à un exercice de l’autorité comme soin que nous devons porter aux communautés et aux membres de l’Ordre. C’est pourquoi, très naturellement, les femmes ont pris beaucoup plus de place dans la vie de l’Ordre.
«Le domaine de la formation des séminaristes devrait être plus communautaire, impliquant les couples mariés et les figures féminines»
Lors de la rencontre au Vatican, vous avez aussi traité le thème de la formation des séminaristes.
Le domaine de la formation doit être davantage communautaire, et pas seulement géré par des clercs. Les couples mariés et les figures féminines doivent être impliqués. Ceci aiderait aussi à comprendre comment vivre le célibat, ce qui ne signifie pas la solitude du prêtre, car un prêtre qui se donne n’est jamais seul.
Il s’agit d’aider les prêtres à vivre leur célibat au sein de la communauté chrétienne et à la servir. Parce que cela rend le célibat fructueux. L’exemple est dans l’Évangile : Comment Jésus a-t-il formé ses apôtres ? Il a créé parmi eux et autour d’eux une communauté où il y avait aussi des femmes. Un contexte communautaire met tôt ou tard en lumière les immaturités humaines d’une personne et l’aide à mûrir dans le cheminement de sa vie. Les séminaires devraient être des lieux de relation ecclésiale, où l’on devrait apprendre à vivre sa vie de prêtre au sein d’une communauté, qui sera plus tard la paroisse ou d’autres domaines de la pastorale. (cath.ch/catt/cv/dp)