Elise Cairus: «La grossesse est une belle occasion de s’interroger sur nos origines»
Jeune mère de famille et théologienne protestante genevoise, Elise Cairus a développé une réflexion sur l’accompagnement de la grossesse et de la naissance à la lumière de la Bible. Elle publie L’accompagnement spirituel de la naissance aux Editions Salvator (mars 2019). Interview.
Pourquoi vouloir réhabiliter les parents dans leur rôle au moment de la venue d’un enfant?
Aujourd’hui l’accompagnement de la grossesse est très médicalisé et surveillé au risque de déposséder les parents de celle-ci. La naissance recèle une part de mystère, la médecine ne peut tout prévoir, tout expliquer, un enfant apporte nécessairement de l’inattendu.
La science ne répond pas aux questions existentielles que réveillent une grossesse. Les psychologues peuvent les accompagner, mais la question du sens de la vie revient aux religions et les chrétiens ont quelque chose à dire. Mais, j’ai remarqué que peu de personnes sont capables d’écouter et de répondre aux interrogations d’une femme enceinte, encore plus si des difficultés apparaissent. Voilà pourquoi j’ai décidé de creuser la question après avoir moi-même traversé une grave complication suite à la naissance de ma fille.
Quelle libération de se savoir aimé inconditionnellement de Dieu dès le début de notre vie!
Vous invitez les femmes, les parents, à faire de la grossesse une occasion de croissance spirituelle? Qu’ont-ils à découvrir?
Cette période est une rare et belle occasion de s’interroger sur nos origines et notre destinée. Ces questions fondamentales et universelles sont souvent taboues, sauf pour l’enfant qui commence à raisonner avec des questions telles que celles-ci : «où j’étais avant de naître?», «qu’est-ce qu’on fait après la mort?».
L’Ancien Testament, parle régulièrement du tout petit avant sa naissance, enveloppé d’attention divine. L’amour de Dieu devant sa créature est un amour maternel, les termes hébreux montrent que la création le prend aux entrailles.
Les parents sont souvent surpris de l’attachement qu’ils peuvent ressentir devant leur bébé. «Je ne pensais pas que je pouvais l’aimer autant», «je voudrais souffrir quand il a mal» avouent certains. Ils expérimentent en écho l’amour de Dieu pour l’homme. Dieu est bien plus qu’un père à la façon des hommes nous apprend la Bible, c’est un père avec un cœur de mère qui souffre quand il nous voit souffrir, qui prend sur lui nos maux. Il porte sa création comme une mère porte son enfant.
Vous avez étudié les Ecritures Saintes, que disent-elles du début de la vie?
J’ai découvert l’amour inconditionnel de Dieu pour tout homme. Au prophète Jérémie, Dieu dit qu’avant de le façonner dans le ventre de sa mère, Il le connaissait (Jr 1,5). Saint Paul aux Ephésiens écrit «Dieu nous a choisis avant la Création du monde» (Eph, 1,4). Aucune vie, même celle qui n’est pas désirée ou conçue dans la violence, n’est indifférente à Dieu. Quelle libération de se savoir aimé inconditionnellement de Dieu dès le début de notre vie!
La Genèse présente aussi l’être humain comme «mis à part», il est la dernière œuvre du Créateur, consacré, à son image. Il lui confie le reste de la Création.
Tous ces versets montrent la dignité et la valeur de la vie humaine: elle est un don sacré. Se posent alors des questions: jusqu’où la médecine peut-elle intervenir pour faire des expériences? Si l’embryon était simplement un amas de cellules ce serait plus facile… Les cellules humaines ne sont pas celles des plantes ou des animaux, sinon nous n’aurions pas des théologiens et des philosophes dans les comités d’éthique.
Pourquoi invitez-vous les femmes enceintes à regarder l’humilité de Marie face à son fils, que peuvent-elles découvrir?
Marie a vécu des choses difficiles avec Jésus. Et ce dès le début: elle est enceinte sans être mariée, elle met au monde son fils dans une étable, il disparait plusieurs jours lors d’un pèlerinage à Jérusalem et enfin, elle assiste à sa mort. Toute mère peut s’identifier à elle dans les moments tourmentés et regarder comment elle traverse les épreuves dans la foi et la confiance. Elle apprend à renoncer à la toute-puissance, à accepter les contrariétés dans l’humilité. En particulier quand le destin de son enfant n’est pas celui imaginé ou espéré, ce qui est particulièrement douloureux …
Vous affirmez que la vie et la mort sont liées. Pourquoi ternir la joie de la naissance?
Vie et mort sont intrinsèquement liées, même si heureusement les décès sont rares au moment de la naissance grâce aux progrès médicaux. 80 % des grossesses sont menées à terme sans problème en Occident. Les accidents concernant la maternité permettent de mesurer la fragilité de la vie. Naissance et mort nous surprennent toujours, elles ne nous appartiennent pas ou pas complètement. Voilà qui donne encore plus de valeur à la vie.
Je suis aussi frappée par les coïncidences de dates quand des naissances se produisent le jour anniversaire d’un décès par exemple. Les croyants peuvent y voir le signe que la vie triomphe de la mort.
Quand les choses se compliquent ou se passent mal (stérilité, fausse couche, avortement), la tentation est souvent d’en vouloir à Dieu. Comment trouver la consolation?
Dans mon livre, je m’intéresse à l’accompagnement spirituel des couples en souffrance. «Pourquoi nous? Qu’avons-nous fait de mal?» se demandent-ils souvent. La stérilité est parmi les questions les plus difficiles à traverser. Les pasteurs et les prêtres ont besoin de se former pour les accompagner. Il faut permettre aux parents de découvrir que Dieu n’est pas là pour faire souffrir: il ne châtie pas et ne punit pas. Ils ont besoin d’expérimenter, souvent grâce à un intermédiaire, la présence paternelle de Dieu qui aime et console. Continuer à parler à Dieu est pour eux la meilleure façon d’apaiser petit à petit leur souffrance et leur révolte. Il est notre Père, on peut tout lui dire! (cath.ch/bej/pp)
Elise Cairus est docteur en théologie et titulaire d’une maîtrise ès lettres (histoire) de l’Université de Genève. Auteur de «L’humour des évangiles» (Ed. TempsPrésent, 2016), elle a aussi co-édité Entre la mémoire et l’oubli. La pensée protestante aujourd’hui (Ed. Labor et Fides, 2016). Elle est mariée et mère d’une fille. Elle vit à Genève.