Les nuages noirs s'accumulent sur l'Eglise | © Oliver Sittel
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Le sommet des évêques sur la protection des mineurs en 10 questions

Rarement un rassemblement d’évêques à Rome n’aura suscité autant d’attentes et de commentaires. Le sommet sur la protection des mineurs, convoqué par le pape François du 21 au 24 février 2019, représente en effet un enjeu majeur pour la crédibilité de l’Eglise catholique dans le monde. Cath.ch en a synthétisé 10 enjeux.


1. Qui participe?

La rencontre de Rome rassemblera environ 180 personnes: présidents des conférences des évêques du monde entier (une centaine), représentants des congrégations religieuses, membres de la curie, experts laïcs et victimes. Le fonctionnement sera analogue à celui d’un synode des évêques: rapports, débats en plénière, groupes de travail linguistiques, mais aussi des temps de prières liturgiques. La coordination des débats a été confiée au Père jésuite Federico Lombardi, ancien directeur du Bureau de presse du Saint-Siège. Le pape François a promis sa présence tout au long du sommet.

Le pape| Wikimedia commons.

Le premier jour devra mettre en lumière le rôle pastoral, spirituel et juridique de l’évêque. La deuxième journée sera dédiée à la chaîne de responsabilités. Le troisième jour, les participants étudieront la «question systémique», c’est-à-dire la réponse communautaire au fléau des abus sexuels. Deux moments liturgiques importants baliseront la rencontre: une célébration pénitentielle le 23 février et la messe du dimanche le 24.


2. Quel enjeu?

Le pape a voulu que ce sommet soit «une rencontre de pasteurs et non pas un congrès d’études». Cette réunion se concentrera exclusivement sur les agressions commises contre des enfants. «Ce sont les plus faibles et ils n’ont aucune voix», a indiqué le Père Hans Zollner, de la Commission pontificale pour la protection des mineurs.

Le Père Frederico Lombardi, ancien directeur du Bureau de presse du Saint-Siège (Photo: eglise.catholique.fr)

Pour le Père Lombardi, le premier enjeu est la prise de conscience individuelle et collective. Selon lui «certaines personnes, des responsables, parfois des évêques, n’ont pas compris la profondeur du problème.» Sans les nommer, le Père Lombardi a dénoncé quelques épiscopats (en particulier en Afrique ndlr) qui «n’ont presque rien fait» pour combattre les abus sexuels, considérant avec une «incroyable naïveté» que leur pays n’était pas concerné. Il faut donc regarder en face la réalité, et pas seulement sur le plan théorique mais aussi expérientiel et émotionnel.

L’Irlandaise Marie Collins, ancienne membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, le dit de manière plus directe: «Les mandarins endormis dans la direction de notre Eglise semblent penser que s’ils ferment les yeux, les abus resteront cachés et qu’ils n’auront pas à s’en occuper.» Il s’agit donc de susciter un véritable changement d’attitude dans toute l’Eglise.


3. Quelles attentes?

Pour le pape François, il est fondamental de faire en sorte qu’en retournant dans leur pays, les évêques soient conscients des règles à appliquer et accomplissent les pas nécessaires pour prévenir les abus, protéger les victimes et s’assurer qu’aucun cas ne soit couvert ni occulté, a expliqué Alessandro Gisotti, porte-parole ad interim du Saint-Siège. Une promesse dont doute Marie Collins: «Nous serons assurés que les choses avancent. Mais nous verrons très peu de plans d’actions sur papier, concrets et engagés.»

L’Irlandaise Marie Collins a démissionné de la Commission pontificale pour la protection des mineurs (photo Keystone /Andrew Medichini)

S’il ne faut probablement pas attendre une révision des règles canoniques concernant les sanctions contre les clercs fautifs, la possibilité de la mise en place, par région, de ‘task-forces’ spécialisées devrait faire son chemin. Ces groupes de travail devraient épauler les conférences épiscopales dans la gestion et la prévention des abus, explique le Père Zollner. Ils auraient aussi pour tâche de transmettre les solutions les plus valides déjà expérimentées ailleurs.

Dans le même ordre d’idée, le traitement des cas des prêtres pédophiles pourrait être décentralisé. Actuellement, les 5’100 évêques du monde ne rendent de comptes qu’au pape. Ce qui est vite ingérable. La chaîne des responsabilités devrait être redéfinie, en créant éventuellement un échelon intermédiaire continental entre les conférences épiscopales et le Vatican.

Dans l’avion de retour du Panama, le 27 janvier 2019, le pape François a mis cependant en garde contre une attente surdimensionnée quant à ce sommet.»Le problème continuera, car c’est un problème humain qui est partout.»


4. Le célibat des prêtres remis en cause?

Divers milieux ont mis les abus sexuels en lien direct avec le célibat obligatoire pour les prêtres. Mais pour le Père Zollner, suivi en cela par la majorité des spécialistes, on ne peut pas établir de lien causal entre célibat et abus sexuels. Les abus sont commis à 95% dans le cadre familial et 99,9% des abuseurs sont des personnes non célibataires. Enfin, au moins 95% des prêtres n’ont jamais commis d’abus sexuels sur des mineurs. Le jésuite admet néanmoins que le célibat peut être un facteur de risque s’il n’est pas bien vécu au cours des années.

Le Père Hans Zollner est l’un des organisateurs du sommet sur la protection des mineurs (wikimedia/Rebecski/CC BY-SA 4.0

Le pape François a, lui aussi, fortement douché les attentes dans ce domaine en répétant, le 27 janvier, son attachement au célibat sacerdotal reçu comme un don pour l’Eglise. L’idée que l’abolition du célibat puisse être un outil de prévention contre les abus sexuels ne semble donc avoir aucune chance de progresser. Il convient aussi de rappeler que les Eglises catholiques de rite oriental ont des prêtres mariés.


5. L’influence du lobby gay?

Suite à l’affaire du cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, convaincu d’abus sexuels sur des séminaristes et des mineurs, mais aussi à plusieurs cas antérieurs dans divers pays, pas mal de voix se sont élevées pour dénoncer la prévalence des homosexuels dans le clergé catholique. La «sous-culture gay», qu’ils auraient introduite au sein de l’Eglise, aurait permis une plus grande tolérance face aux actes d’éphébophilie envers de jeunes garçons pubères.

L’ancien archevêque de Washington, Theodore McCarrick | © Vatican News

«Le pape François est entouré de gens qui n’ont pas les mêmes intérêts que lui. Ils le bloquent, lui posent des pièges, par exemple en le conseillant mal. De plus, il y a le lobby gay et ceux qui menacent les gays de mettre au grand jour leurs préférences sexuelles», explique le journaliste et écrivain italien Gianluigi Nuzzi.

Sans jamais faire de lien avec la pédophilie, le pape a récemment expliqué que la question de l»«²homosexualité dans le clergé l’inquiétait. «»³L»«²Eglise recommande que les personnes ayant cette tendance enracinée ne soient pas acceptées pour le ministère ni pour la vie consacrée»«³, a-t-il rappelé.


6. Quelles sanctions contre les évêques?

Après de longs atermoiements, l’Eglise a, au cours des dernières années, révoqué de leur charge, voire renvoyé du sacerdoce, des évêques et même des cardinaux reconnus coupables d’abus sexuels sur mineurs.

Mgr Philippe Barbarin, archevêque de Lyon (Photo: Jacques Berset)

Mais sanctionner l’ignorance ou la négligence des prélats face aux abus sexuels commis par des prêtres, parfois il y a plusieurs décennies, est nettement plus délicat. L’affaire du cardinal Barbarin l’illustre parfaitement. Si l’archevêque de Lyon a incontestablement commis une faute morale, en ne dénonçant pas et en n’écartant pas le prêtre pédophile Bernard Preynat, la justice civile ne devrait vraisemblablement pas le condamner. Mérite-t-il néanmoins une sanction canonique? Doit-il démissionner? Un jugement, fut-il d’Eglise, ne peut pas se baser sur la colère légitime des victimes ni sur le sentiment du peuple.

Là aussi, en bon jésuite, le pape François n’imposera certainement pas de nouvelles mesures générales. Préférant continuer à juger au cas par cas.


7. Quelles réparations financières?

Si dans la plupart des pays occidentaux, les réparations financières en faveur des victimes des prêtres pédophiles se sont imposées, ce n’est largement pas le cas partout.

argent | © 2013 Tim Reckmann / pixelio.de

Dans nombre de pays, les évêques persistent à considérer que les crimes pédophiles commis par des prêtres relèvent uniquement de leur responsabilité personnelle et non pas de celle de l’Eglise. Ils n’envisagent donc pas le versement de dédommagements aux victimes.

Sachant que les diocèses ne sont pas des filiales du Vatican, mais disposent d’une indépendance financière, l’idée d’une solution globale est peu concevable. La question dépend aussi beaucoup des relations Eglise-Etat dans chaque pays.


8. Quelles mesures de prévention?

Charte obligatoire pour tous les agents pastoraux, examens psychologiques pour les candidats au sacerdoce, demande d’extraits de casier judiciaire pour tous les employés d’Eglise, journées de formations, points de contact: les évêques de nombreux pays ont mis peu à peu en place un arsenal pour la prévention des abus sexuels.

Le cardinal autrichien Christoph Schönborn, archevêque de Vienne (Photo: www.katholisch.at)

Mais il faut constater que la situation varie énormément selon les continents et les pays. La ‘tolérance zéro’ prônée par le pape François n’a pas partout la même signification. «Trop souvent, le prêtre apparaît encore comme sacré et intouchable», note le cardinal Christoph Schönborn, archevêque de Vienne.

 

 

 


9. Les prêtres stigmatisés?

La stigmatisation généralisée envers les prêtres, par la faute de quelques-uns, est aussi un grave problème pour les évêques. Les suicides de prêtres, coupables ou non d’abus sexuels, ont jeté un très vif émoi dans les communautés. L’arrestation d’un prêtre pédophile sème souvent la consternation et la division.

Une des pages du rapport sur les prêtres accusés d’abus sexuels en Californie | capture d’écran

«Non, prêtre n’est pas égal à pédophile, il faut éviter la paranoïa!», martèle Marco Tuberoso. Le responsable de l’association ESPAS, (Espace de soutien et de prévention pour les personnes concernées par les abus sexuels), active en Suisse romande, veut éviter de tomber dans l’une ou l’autre dérive, la négation du problème ou les réactions exagérées: «Les prêtres doivent toujours pouvoir continuer à se comporter de manière chaleureuse et adéquate, en sachant où sont les limites, et en prenant conscience du fait que l’attitude de la société dans ce domaine a changé.»


10. Quelle place pour les femmes?

Le nombre de femmes et de laïcs restera très réduit lors du rassemblement romain. Parmi les responsables de la curie, on notera la présence de Gabriella Gambino et Linda Ghisoni, sous-secrétaires du Dicastère pour les laïcs la famille et la vie.

Gabriella Gambino, sous-secrétaire du Dicastère pour les laïcs, la famille et la vie | © Vaticanews

«Les laïcs doivent continuer à parler avec force pour les changements. La nécessité d’impliquer les laïcs, y compris les femmes, à tous les niveaux doit se faire si l’Eglise veut entrer dans le XXIe siècle», a commenté Marie Collins. (cath.ch/mp)

Les nuages noirs s'accumulent sur l'Eglise | © Oliver Sittel
14 février 2019 | 17:07
par Maurice Page
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