Le pape François  (Photo: Flickr/Mazur/catholicnews/CC BY-NC-SA 2.0)
Vatican

Le pape reconnaît les abus sur les religieuses

Le pape François a répondu pendant un peu moins de quarante minutes aux questions des journalistes le 5 février 2019 dans l’avion qui le ramenait vers Rome depuis Abou Dabi (Emirats arabes unis) où il a notamment participé à une rencontre interreligieuse inédite. Après être revenu sur le voyage, le pontife a notamment reconnu des abus sexuels sur des religieuses commis par des prêtres. I.Media en a fait la transcription

Religieuses abusées par des prêtres :

C’est vrai, c’est un problème. Avant tout, la maltraitance des femmes est un problème. J’oserais dire que l’humanité n’est pas encore mûre. La femme est considérée comme de seconde classe… Il faut commencer par là. Ce problème est culturel. Cela mène jusqu’au féminicide. Il y a des pays où la maltraitance des femmes arrive jusqu’au féminicide. Et avant d’arriver à la question, je vous livre cette curiosité, mais faites une enquête pour savoir si c’est vrai ou non.

On m’a dit que l’origine des bijoux féminins est venu d’un pays très ancien de l’Orient où était en vigueur la loi pour répudier les femmes, on les chassait. Mais si le mari, dans ce pays – je ne sais pas si c’est vrai ou faux – lui disait «va-t-en», alors elle devait partir seulement avec ce qu’elle avait sur elle, mais sans prendre rien d’autre. Et c’est là que les femmes ont commencé à se faire des bijoux d’or et avec des pierres précieuses de façon à ce qu’elles aient quelque chose pour survivre. Je ne sais si c’est vrai ou pas, c’est intéressant, faites l’enquête.

Maintenant votre question [sur l’abus de religieuses par des prêtres, ndlr.]. Il est vrai que dans l’Eglise il y a eu aussi des clercs. Ce n’est pas quelque chose que tous font, mais il y a eu des prêtres et aussi des évêques qui ont fait cela… Je crois que cela se fait encore parce que ce n’est pas une chose qui se finit comme cela, cela avance ainsi. Cela fait longtemps que nous travaillons sur ce dossier. Plusieurs clercs ont été suspecté puis suspendus en raison de cela. Mais je ne sais si le procès est terminé. Nous avons aussi dissous quelques congrégations féminines qui ont été très touchées par cette corruption. Je ne peux pas que cela n’a rien à voir.

On doit faire quelque chose de plus, oui ! Avons-nous la volonté ? Oui ! Mais c’est un chemin qui vient de loin. Le pape Benoît XVI a eu le courage de dissoudre une congrégation féminine qui avait un certain niveau de problème parce que cet esclavage des femmes s’était installé, esclavage des femmes de la part des clercs et du fondateur. Parfois le fondateur prend la liberté, vide cette liberté à des sœurs et peut alors se produire ce genre de choses.

Le pape Benoit XVI – et je veux le souligner – est un homme qui a eu le courage de faire tant de choses sur ce phénomène. Il y a une anecdote sur lui. Il avait tous les pièces et documents sur une organisation religieuse où il y avait de la corruption, corruption sexuelle, économique et sexuelle. Il avançait [dans l’enquête, ndlr.] mais il y avait des filtres qui faisaient que ces documents ne pouvaient pas arriver. Le pape avait la volonté de voir la vérité. Il était alors le cardinal Ratzinger. Il a finalement organisé une réunion avec tous les documents et quand il est rentré il a dit à son secrétaire, «mettez cela aux archives, l’autre partie a gagné». Nous ne devons pas nous scandaliser de cela. Ce sont des étapes d’un processus. Mais devenu pape, la première chose qu’il a faite a été de demander ces archives et a recommencé.

Il y a un folklore sur le pape Benoît. On le montre comme un homme tellement bon, bon. Un morceau de pain est plus méchant que lui. Bon et faible… Mais il n’y a rien de faible en lui ! Ce fut un homme fort. Il a été conséquent. Il s’est remis au travail sur ce dossier depuis le début sur cette congrégation qui avait ce problème [d’abus de religieuses, ndlr.]. Prions pour que nous puissions encore aller de l’avant [s ur ce dossier], moi, je veux avancer. Nous sommes au travail !

Sur le voyage aux Emirats arabes unis et le dialogue interreligieux

J’ai vu un pays moderne, ce qui m’a touché aussi c’est la propreté de la ville, aussi des petites curiosités, comment font ils pour arroser les fleurs dans ce désert. C’est aussi un pays moderne et aussi accueillant tant de peuples qui viennent là. C’est un pays qui regarde le futur. Par exemple l’éducation des enfants, ils les éduquent en regardant toujours le futur. Ils me l’ont expliqué.

Une chose ensuite qui m’a touché, c’est le problème de l’eau. ils cherchent pour le futur, un futur proche, de prendre l’eau de la mer et la rendre potable. Aussi l’eau de l’humidité pour la boire. On cherche toujours des choses nouvelles.

Aussi j’ai entendu dire de quelqu’un : «un jour nous n’auront plus le pétrole, nous nous préparons à ce jour». C’est un pays qui regarde le futur . Il m’a semblé que c’est un pays ouvert, pas fermé, aussi la religiosité, l’islam ouvert pas fermé, de dialogue, un islam fraternel et de paix. Je souligne la vocation à la paix que j’ai sentie, même s’il y a quelques problèmes de quelques guerres dans la zone. La rencontre avec les sages a été très émouvante, avec les sages de l’islam. C’est une chose profonde et … de diverses cultures. Cela témoigne de l’ouverture de ce pays à un certain dialogue régional, universel, religieux.

J’ai été touché en outre par la réunion interreligieuse. C’est un événement culturel fort. Ils ont mentionné dans le discours ce qu’ils ont fait ici l’an dernier sur la protection des enfants. dans les médias de l’internet. la pédopornographie aujourd’hui est une industrie qui rapporte tant d’argent et profite des enfants. Ils s’en sont rendus compte dans ce pays et ils ont fait cela. C’est une chose positive, assurément il y a des choses négatives. Mais dans un voyage de deux jours ces choses ne se voient pas. Et si elles se voient on regarde dans l’autre direction. Et je les remercie pour l’accueil.

Rencontre avec le Conseil musulman des anciens

Les anciens sont vraiment des sages. le grand imam a d’abord parlé et puis chacun d’entre eux, en commençant par les plus anciens, qui parlaient espagnol. Oui parce qu’il l’avait appris en Mauritanie. Un ancien de 80 ans… jusqu’au plus jeune un secrétaire qui a peu parlé mais a tout dit dans une vidéo. C’est sa spécialité c’est un communicant, ça m’a plu! c’était une très belle chose. Le mot clé est sagesse et puis fidélité et puis ils ont souligné un chemin de vie dans lequel cette sagesse grandit et la fidélité se renforce et de là naît l’amitié entre les peuples. Chacun était différent, je ne sais pas comment expliquer. Un d’entre était chiite… La sagesse et la fidélité : ce chemin amène à la construction de la paix. Parce que la paix est une œuvre de sagesse et de fidélité. La fidélité entre les peuples, etc. J’ai eu l’impression d’être admis entre les sages, c’est une garantie pour le grand imam d’avoir ce conseil. Oui je suis très satisfait.

Document sur la fraternité humaine

Le document a été préparé avec tant de réflexion et aussi en priant. Aussi bien le grand imam avec son équipe, aussi bien moi, nous avons tant prié pour réussir à faire ce document. Parce que pour moi il y a seulement un seul grand danger en ce moment: la destruction, la guerre, la haine entre nous. Et si nous, croyants, nous ne sommes pas capables de nous donner la main, nous embrasser, notre foi sera défaite. Ce document est né de la foi en Dieu, qui est père de tous, et père de la paix. et condamne toute destruction, tout terrorisme. Le premier terrorisme de l’Histoire est de Cain. Un document qui s’est développé de manière passionnante, allers, retours, prières. Il a été laissé murir un peu de manière confidentielle. Il ne faut pas laisser partir l’enfant avec le bon moment, avant qu’il ne soit mature.

Je sais, j’ai entendu de quelques musulmans qu’il [le document] sera étudié à l’université, au moins à Al Azhar, c’est sûr, et dans les écoles. Il sera étudié, non pas imposé, étudié.

Le faste du protocole, la guerre au Yémen

Moi j’interprète tous les gestes de bienvenue comme des gestes de bonne volonté. Chacun les fait selon sa propre culture. Ce que j’ai trouvé ici c’est un accueil tellement grand qu’il voulait tout faire, les petites choses, les grandes choses, pour sentir que la visite du pape était une bonne chose. Quelqu’un a C’est pour cela que j’ai vu qu’ils ont essayé de faire tout leur possible pour accueillir le pape. Je l’ai interprété comme une chose bonne. il voulait me faire sentir que je suis le bienvenu, que la venue du pape est une chose bonne. Quelqu’un a dit aussi que c’était une bénédiction. Dieu le dira, Dieu sait. Eux le sentent si j’interprète une chose bonne, et ils voulaient faire sentir que j’étais le bienvenu. Sur le problème des guerres, vous en avez mentionné une, je sais que c’est difficile d’avoir une opinion après deux jours. J’ai parlé de ce sujet avec peu de personnes. Je dirais que j’ai trouvé de la bonne volonté pour avoir un processus de paix. Ça je l’ai trouvé. Vous avez parlé sur les situations belliqueuses, vous avez mentionné le Yémen, j’ai trouvé de la bonne volonté pour avoir des processus de paix.

Instrumentalisé par les musulmans ?

Mais pas seulement par les musulmans ! On m’accuse de me faire instrumentaliser par tous, même par les journalistes! Je le répète clairement: du point de vue catholique, le document ne s’est pas éloigné d’un millimètre de Vatican II, qu’il cite même quelque fois. Rien. Le document a été fait dans l’esprit de Vatican II. J’ai voulu, avant de prendre la direction, le présenter, au moins de ma part de le faire lire à quelques théologiens. Et aussi, officiellement, au théologien de la Maison pontificale, qui est un dominicain, dans la belle tradition dominicaine. Non pas pour aller à la chasse aux sorcières, mais pour voir où est la chose juste. Et lui l’a approuvé. Si quelqu’un peut se sentir mal à l’aise, je peux le comprendre: ce n’est pas quelque chose de tous les jours, mais ce n’est pas un pas en arrière, c’est un pas en avant. C’est un pas en avant qui vient d’il y a 50 ans, du concile qui doit se développer. Les historiens disent que pour qu’un concile s’enracine dans l’Eglise, il faut cent ans. On est à mi-chemin. Je voulais attirer l’attention là-dessus.

Dans le monde musulman, il y a différents courants, il y a en a des plus radicaux. Hier au Conseil des sages il y avait au moins un chiite, un très grand universitaire, qui a bien parlé. Il y aura des discordances. C’est un processus qui doit mûrir. Comme les fruits.

Le choix des interlocuteurs musulmans

Il y a un peu de hasard dans la proximité des voyages. Parce que je voulais aller à Marrakech à la Rencontre [sur les droits des minorités religieuses, en janvier 2016. NDLR]. Mais là il y a eu de petites difficultés protocolaires: je ne pouvais pas aller à une rencontre internationale sans faire d’abord une visite au pays. Et je n’avais pas le temps. Pour cela, nous avons reporté la visite, et elle vient à proximité de celle-ci. Et c’est le Secrétaire d’Etat qui est allé à Marrakech. C’est une question diplomatique, de politesse. Mais ce n’est pas une chose planifiée. Au Maroc j’irai aussi sur les traces de saint Jean Paul II qui y est allé. Il a été le premier à s’y rendre. Ce sera un voyage agréable. Et puis sont arrivées des invitations d’autres pays arabes, mais il n’y a pas le temps cette année. On verra l’année prochaine, moi ou le prochain Pierre, s’il on trouve une place dans l’agenda.

Médiation au Vénézuela

Vous partez de la médiation entre Argentine et Chili. Cela été un acte courageux de Jean Paul II qui a évité une guerre qui arrivait. En diplomatie, il y a des petits pas. le dernier est la médiation. Ce sont des petits pas initiaux ou facilitateurs, non pas seulement au Vatican mais dans toute la diplomatie. On fait comme ça en diplomatie, d’abord par des rapprochements, démarrer des possibilités de dialogue. La secrétairerie d’état pourra bien vous expliquer ces pas que l’on peut faire.

Je savais avant le voyage qu’une lettre de Maduro arrivait, mais je ne l’ai pas encore lue. Nous verrons ce qu’on peut faire. Pour le dernier pas la médiation, il faut la volonté des deux parties. Les deux parties doivent demander, comme cela a été le cas en Argentine et du Chili. Le Saint-Siège au Venezuela a été présent au moment du dialogue où il y avait Rodriguez Zapatero lors d’une première réunion et cela a continué avec Mgr Celli. Là on a accouché d’une souris, de la fumée. Maintenant je ne sais pas, je verrai avec la lettre, je verrai ce qui peut être fait mais les conditions initiales sont que les deux parties demandent. Je reste disposé… C’est identique quand les gens vont chez le prêtre lorsqu’il y a un problème entre le mari et la femme. Il faut travailler toujours avec les deux parties, c’est ça le secret. Les pays doivent réfléchir sur cette condition avant de demander une facilitation ou une présence d’observateurs ou de médiateurs.

Christianophobie

J’ai parlé de la persécution des chrétiens. Mais comme le document était sur plus d’unité, plus d’amitié… le document condamne la violence. Quelques groupes qui se disent musulmans – les anciens disent qu’ils ne le sont pas – persécutent des chrétiens. Je me souviens d’un papa, à Lesbos, avec trois enfants, «je suis musulman, ma femme était chrétienne, des terroristes de Daesh sont venus, ils ont vu la croix, ils ont dit convertis-toi. C’est le pain quotidien de tous les groupes terroristes. Tout comme la destruction de la personne. Cela, le document le condamne fortement.

Athéisme

Les processus ont un début. La liberté est toujours un processus. Il faut toujours avancer, jamais s’arrêter. J’ai été impressionné par une discussion que j’ai eu avant de partir avec un garçon de 13 ans, à Rome. Il voulait me voir. Il m’a dit «certaines choses me paraissent intéressantes mais je voulais vous dire que je suis athée. Que dois-je faire, comme athée, pour devenir un homme de paix ?». Je lui ai dit: fait ce que tu sens. Son courage m’a plu. Il est athée, mais cherche le bien. Ce chemin est aussi un processus. Un processus qu’on doit respecter et accompagner. Il faut accompagner tous les processus, quel que soit sa couleur. Ce sont des pas en avant.

Toute histoire est grande et digne

Cela a été un voyage trop bref mais pour moi cela a été une grande expérience. Je pense aussi que chaque voyage est historique, chaque jour s’écrit l’histoire. Aucune histoire n’est petite. Aucune. Toute histoire est grande et digne. Et si elle est difficile, la dignité est cachée. Voilà ce que je peux dire. Merci pour votre travail. (cath.ch/imedia/ah/mp)

Voir également: http://www.ktotv.com/emissions/priere-et-vie-de-l-eglise/pape/les-voyages-du-pape/le-pape-francois-aux-emirats-arabes-unis

 

Le pape François
6 février 2019 | 08:37
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 10  min.
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