Quand l'union catholique-orthodoxe fait la force
Monique et Noël Ruffieux sont mariés depuis près de 60 ans. La catholique et l’orthodoxe ont fait de cette union mixte, au-delà des difficultés, un terreau d’enrichissement de leur foi. Rencontre dans le cadre de la Semaine de l’unité des chrétiens, du 18 au 25 janvier 2019.
Dans la petite maison de Courtaman, dans la campagne fribourgeoise, le sapin de Noël côtoie les icônes orthodoxes. Le couple Ruffieux vit sous ce toit depuis plus de 40 ans. La demeure est riche d’objets, de tableaux et de souvenirs en tous genres. Autant de témoins de la diversité des intérêts, expériences et croyances qui caractérisent leur union. Des différences, notamment sur le plan confessionnel, qui ne semblent pas constituer un obstacle à l’évidente complicité entre les époux.
Splendeur orthodoxe
La longue barbe de patriarche de Noël dénote son appartenance à l’orthodoxie. Une confession que le catholique de naissance a choisi de rejoindre en 1981, après un long cheminement intellectuel et spirituel. Le Fribourgeois ne se considère pourtant pas comme un «converti». Pour lui, il ne s’est agi que d’opter pour une autre branche du tronc commun de la chrétienté. Un choix auquel ni Monique, ni leurs enfants n’ont fait obstacle. Le couple était en fait depuis longtemps proche de la spiritualité orthodoxe. Mais seul Noël a franchi le pas. Des questionnements théologiques et un besoin de vivre sa foi en communauté ont été les principaux facteurs de cette décision.
Déjà au niveau de la théologie du mariage, les Ruffieux ne trouvaient pas leur compte dans le catholicisme. Alors qu’ils se sont pris de passions pour les profonds et nombreux textes orthodoxes sur le sujet. Noël a également toujours été ébloui par la richesse liturgique orthodoxe. «Certains peuvent être attirés par l’austérité. J’ai, pour ma part, davantage besoin d’une certaine splendeur pour vivre ma foi au mieux. Je pense que la beauté est un révélateur de Dieu».
Entre deux mondes
Mais si Noël a pris un autre chemin que son épouse, il n’a pas rejeté son Eglise d’origine. Leurs 40 dernières années se sont ainsi déclinées entre les deux mondes. Ils sont toujours allés ensemble soit aux messes à l’église catholique locale, soit aux célébrations dans les lieux de culte orthodoxes de la région. Il reste également attaché à certains aspects de la liturgie catholique. Il n’est ainsi pas rare qu’avant de se coucher, il entonne un chant grégorien.
«L’Eglise du Christ est de toute façon un immense chantier»
Les quatre enfants nés de leur union sont le reflet de cette ouverture. Deux ont choisi l’Eglise catholique, un l’orthodoxie et le dernier le protestantisme évangélique. Des chemins qu’ils ont toujours été complètement libres d’arpenter. «Il est faux de dire que l’on transmet la foi. Les parents ont surtout pour tâche de préparer le bon terreau spirituel», souligne Monique qui est une adepte du jardinage. «Ensuite, c’est Dieu qui sème et qui arrose», renchérit Noël. Des enfants qui ont ainsi hérités de cette «double sensibilité» spirituelle, fréquentant aussi bien la paroisse catholique du village que la paroisse orthodoxe de Fribourg, créée par Noël Ruffieux en 1982. «Dès le départ, notre engagement a été œcuménique, explique le laïc orthodoxe. Notre souci a été de ne pas construire des murs, mais des ponts».
Carêmes prolongés
Cependant, cette parfaite entente oecuménique ne va pas sans difficultés dans la vie quotidienne. Si les disputes théologiques sont toujours constructives dans le couple, l’organisation des fêtes est parfois compliquée. Noël ne pose pas réellement de problème, car la fête est célébrée pour tous le 25 décembre, selon le calendrier occidental. «En fait, les orthodoxes fêtent aussi le 25 décembre, mais les Slaves le font avec un calendrier qui a neuf jours de retard», explique Noël.
Pâques, et donc le carême, est une autre paire de manches. Comme les dates sont parfois séparées de près d’un mois, les conjoints respectent d’habitude ensemble les deux périodes et réalisent donc des carêmes prolongés.
Des approches différentes d’un même mystère
Mais le point le plus difficile pour eux est la communion eucharistique. Quand il va à la messe, Noël ne va d’habitude pas communier. «Je considère qu’il s’agit, dans l’une ou l’autre Eglise, de la même eucharistie. D’ailleurs, elle y est dogmatisée à peu près de la même façon. Mais les paroissiens sachant que je suis orthodoxe, je préfère y renoncer pour ne pas créer de confusion». Les conjoints regrettent ainsi cette non acceptation de leurs Eglises respectives. «Lorsqu’on se marie à l’église, on nous dit que nous ne sommes plus qu’une seule chair. Mais devant l’eucharistie, le plus beau cadeau de Dieu, nous sommes séparés», déplore Monique.
Même si la différence confessionnelle ne simplifie pas leur vie quotidienne, les Ruffieux savent pourtant qu’elle constitue une inestimable richesse. «Si nous sommes des chercheurs de Dieu, ces différences ne posent pas de problèmes, assure la catholique. Car l’Eglise du Christ est de toute façon un immense chantier, encore à construire. Et toutes les confessions ne sont que des approches différentes du même mystère insondable de Dieu». (cath.ch/rz)