Les musulmans d'Allemagne pourront-ils bientôt prélever un impôt?
Les mosquées en Allemagne sont souvent contrôlées et financées de l’étranger, en particulier par le gouvernement turc. Pour y remédier, la fondatrice de la mosquée libérale de Berlin, Seyran Ates, a relancé l’idée d’introduire un impôt ‘ecclésiastique’ pour les musulmans à l’instar de ce que connaissent les Eglises chrétiennes. Face à la montée de l’extrémisme, son idée a reçu de nombreux soutiens politiques.
Aujourd’hui, la majorité des mosquées en Allemagne ne sont pas indépendantes. Près de la moitié des imams se rattachent à l’Union turco-islamique de l’Institut des religions (Ditib) et sont des fonctionnaires de l’Etat turc, qui les salarie par le biais de la présidence des Affaires religieuses (Diyanet). L’organisation faîtière, qui regroupe 896 des quelque 2’000 mosquées du pays, est considérée comme le bras armé du président turc Recep Tayyip Erdogan. Ce dernier s’est déplacé en personne pour l’inauguration de la nouvelle mosquée à Cologne, lors de sa visite en Allemagne, le 29 septembre dernier. Nombre de politiciens, de commentateurs et de musulmans eux-mêmes considèrent cette mainmise comme abusive et militent pour un islam allemand.
Soutiens du monde politique
Dans la foulée, la fondatrice de la mosquée libérale de Berlin, Seyran Ates, soutient l’introduction d’une «taxe mosquée» (Moscheesteuer) pour les musulmans, analogue à l’impôt ecclésiastique que perçoivent les Eglises catholique et protestante. Cette mesure devrait permettre aux mosquées d’Allemagne de se rendre indépendantes financièrement et idéologiquement. Le concept n’est pas totalement nouveau, mais il a retrouvé un assez large écho dans le monde politique.
Le ministère fédéral de l’Intérieur est fondamentalement ouvert à cette idée. «Une ‘taxe mosquée’, qui ne serait prélevée que par les membres de la communauté religieuse concernée, peut être une solution», a déclaré le secrétaire d’Etat Markus Kerber (CDU).
Thorsten Frei, chef adjoint du groupe parlementaire chrétien-démocrate (CDU/CSU) au Bundestag, plaide en faveur d’une «taxe mosquée». «Notre objectif doit être que l’islam en Allemagne s’affranchisse de l’influence d’États étrangers et acquière une orientation nationale plus forte», a-t-il déclaré au magazine Die Welt.
«Nous devons avoir le courage de réduire la forte influence des États étrangers», a déclaré le député de la CSU Alexander Radwan. L’avocat munichois, fils d’un chrétien égyptien et d’une Allemande, se réjouit que sa proposition, émise au printemps 2018, de créer une sorte d’impôt pour les musulmans trouve aujourd’hui un soutien important. Selon Radwan, l’Allemagne pourrait s’inspirer de la loi autrichienne adoptée en 2015. Elle stipule que la collecte de fonds pour l’activité habituelle et la satisfaction des besoins religieux de ses membres doit avoir lieu à l’intérieur du pays.
Du côté social-démocrate (SPD), le ton est aussi plutôt favorable. «L’idée de découpler le financement des communautés musulmanes en Allemagne des bailleurs de fonds étrangers mérite d’être discutée», a déclaré Burkhard Lischka, expert du SPD. Il précise néanmoins que le chemin risque d’être long et difficile, notamment parce que les impôts ecclésiastiques sont du ressort des Länder et non pas de l’Etat fédéral.
Les obstacles restent nombreux
Cet accueil plutôt favorable sur le principe devrait se heurter cependant à de nombreux obstacles. La condition préalable à l’instauration d’un impôt serait que les mosquées obtiennent une reconnaissance en tant que corporations de droit public. Or aujourd’hui les communautés musulmanes ne répondent pas aux critères pour l’obtenir, en particulier sur la question de l’appartenance des membres.
Une ‘taxe-mosquée’ ne correspond pas à la compréhension que l’islam a de lui-même, explique Cemil Sahinöz dans l’Islamische Zeitung. C’est une question juridique, mais aussi théologique. L’islam ne connaît pas d’institutions comme les Eglises chrétiennes pour lesquelles l’appartenance est liée au baptême. Il ignore l’idée de comptabiliser et d’enregistrer ses membres. Comme il ignore l’idée que l’on puisse en sortir. On pourrait certes enregistrer les fidèles qui fréquentent telle ou telle mosquée. Mais rien n’empêche un individu d’en fréquenter aucune ou plusieurs. La création de corporations musulmanes de droit public apparaît donc comme difficile.
Le financement des mosquées est en débat depuis au moins une décennie au sein des musulmans d’Allemagne eux-mêmes, rappelle Cemil Sahinöz. Il est lié au désir d’avoir des imams nés, socialisés et formés en Allemagne. Mais aujourd’hui, les institutions de formation allemandes ne sont pas encore capables de former suffisamment d’imams pour guider les communautés.
Le devoir de l’aumône
Une des solutions pour le financement serait la création de fondations qui collecteraient le «zakat», c’est-à-dire l’aumône que le musulman est tenu de faire chaque année en faveur de plus démunis. Cette aumône se monte en principe à 2,5% de ses revenus. Mais il y a, là aussi, une question théologique: Le «zakat» peut-il être attribué indirectement globalement à une institution plutôt que directement à la personne dans le besoin?
Sur le fond, Cemil Sahinöz remarque aussi que la question du financement par l’étranger est biaisée. Les Eglises chrétiennes allemandes ne financent-elles pas elles-mêmes de nombreuses Eglises et institutions ecclésiales à l’étranger?
Une fausse bonne idée
D’autres commentateurs n’ont pas manqué de mettre en garde contre une ‘fausse bonne idée’. «Dans ce pays, nous mesurons encore l’islam à nos propres idées. C’était et c’est une erreur dangereuse», dénonce Cora Stephan dans une opinion sur le site la radio publique Norddeutsche Rundfunk. Pour elle, appliquer à l’islam des règles établies pour les Eglises chrétiennes dans des circonstances historiques assez spécifiques va à l’encontre de l’idée de la séparation Eglises-Etat. L’islam ne serait-il pas ainsi élevé, par la petite porte, au rang de religion d’État allemande? Ce qui correspondrait fatalement à une interprétation stricte selon laquelle l’islam vise à l’unité du pouvoir politique et laïc, c’est-à-dire la théocratie.
C’est pourquoi les mosquées ne sont pas des églises ou des lieux de culte, mais des centres politiques. Une telle taxe renforcerait probablement plutôt le pouvoir de l’islam sur les musulmans plus ou moins croyants vivant dans ce pays, plutôt que de signifier un pas vers l’indépendance, estime la commentatrice. (cath.ch/ag/mp)