Le philosophe et ancien enseignant fribourgeois François Gachoud (photo: cath.ch)
Suisse

Comment un médecin doit-il répondre à une demande de suicide assisté?

Comment un médecin doit-il répondre à une demande de suicide assisté? A partir de quels critères peut-il accorder une ordonnance pour une potion létale? Dans ses directives médico-éthiques sur «L’attitude face à la fin de vie et à la mort», l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) propose d’assouplir les critères actuels. Le philosophe fribourgeois François Gachoud s’inquiète de ce changement et interpelle les médecins.

Promulguées en mai 2018, les directives de l’ASSM seront soumises le 25 octobre 2018 à la fédération faîtière des médecins suisses (FMH) qui en décidera de l’adoption.

Pourquoi ces nouvelles directives de l’ASSM sont-elles si inquiétantes à vos yeux?
François Gachoud: En Suisse, le choix de se donner la mort, avec une assistance est possible selon l’art. 115 du Code pénal. Dans la pratique, ce choix était réservé aux seuls patients en fin de vie et qui souffraient d’une maladie incurable. Ce double critère garantissait l’objectivité fondant la pratique de l’assistance au suicide. Cette pratique relevait de l’exercice d’une expertise médicale. Le médecin posait des garde-fous qui ne sont pas requis par la loi mais par les codes de déontologie.

«L’ASSM prend le risque de mettre les médecins dans une situation délicate, même difficile»

Mais depuis que les Associations Exit et Dignitas ont réussi à élargir l’assistance au suicide aux «polypathologies invalidantes», le patient n’est plus nécessairement en fin de vie et sa maladie n’est pas nécessairement incurable. L’ASSM emboîte clairement le pas et va même plus loin.

Le motif avancé est celui de l’autodétermination du patient. En quoi cela pose-t-il problème?
Ne prendre en compte que l’autonomie du patient et sa souffrance subjective, c’est prendre le risque de méconnaître le caractère souvent équivoque de la demande d’assistance au suicide. L’ASSM n’hésite pourtant pas à privilégier ce seul critère: «Il n’existe aucun critère objectif pour évaluer la souffrance en général, ni le degré de souffrance supportable». Mais ce n’est pas parce qu’une souffrance est toujours en effet vécue subjectivement qu’on doit en déduire l’exclusion d’un critère objectif définissable.

Vers la sortie? | CC BY 2.0

Pour vous il s’agit d’un fâcheux laxisme.
Il suffit au fond de dire : «Je me déclare fatigué de la vie et je suis capable de discernement. Donc je puis m’autodéterminer à choisir le suicide quand je veux puisque je trouve ma souffrance insupportable.» L’ASSM propose certes à l’appui un principe éthique reconnu important : celui du droit à l’autodétermination du patient. Il ne s’agit pas de le nier, mais de considérer toute la gravité de son application. Car c’est ici la vie elle-même qui est remise en cause. L’ASSM prend le risque de mettre les médecins dans une situation délicate, même difficile, car comment mesurer et évaluer une souffrance subjective déclarée insupportable?

«N’avons-nous pas été un jour, vous et moi, des ‘fatigués de la vie’?»

Aujourd’hui certains milieux parlent volontiers de «fatigués de la vie».
Il en va là d’un euphémisme fort douteux pour exprimer la banalisation du suicide. Après tout, n’avons-nous pas été un jour, vous et moi, des «fatigués de la vie» ? A cause d’une maladie qui a fait beaucoup souffrir, d’un burn-out difficile à vivre, d’un divorce douloureusement traversé, d’un chômage de longue durée ou de toute autre épreuve jugée à un moment donné insupportable? L’idée d’en finir nous a peut-être même effleurés. Mais nous avons réussi à surmonter l’épreuve. Pourquoi? Parce que nous avons en nous une faculté de résilience en vertu d’une foi en la vie plus forte que l’instinct de mort. Mais aussi et surtout parce que nous avons trouvé auprès d’autrui une écoute attentive, une aide, un encouragement, une empathie active, une compassion qui nous a touchés.

Le suicide n’est donc pas une question seulement personnelle?
L’Académie ne voit pas que, si nous sommes des êtres évidemment vulnérables, nous sommes aussi des êtres de relation qui avons besoin des autres. C’est notre condition d’être humain vivant en société. L’isolement et la solitude sont le terreau fertile de l’enfermement sur soi et l’on sait que celui-ci est une des causes principales des tentatives de suicide. Il ne suffit pas de s’en référer à la seule détermination lucide du patient pour lui octroyer le droit de gagner sa mort assistée si facilement. Le patient en souffrance a besoin de tout autre chose: de retrouver le goût de vivre.

«Il faut donner des raisons de vivre plutôt qu’examiner les raisons de mourir!»

Chacun a néanmoins droit à son autonomie personnelle.
Nous vivons dans une société qui, depuis quelques décennies, a érigé l’individualisme en absolu. Chacun n’est responsable que de lui-même. Ce qui veut dire que chacun est finalement considéré isolément, livré en effet à sa seule référence subjective. Nul n’est plus responsable de la détresse des autres. Combien de gens, surtout des jeunes, sont fragiles et manquent de repères qui leur donneraient des raisons de vivre? Combien de gens sont vulnérables et seuls enfermés dans leur détresse en quête d’un salut souhaité? Va-t-on offrir à ces gens-là l’assistance au suicide parce qu’ils ressentent une souffrance jugée insupportable?

Autre point inadmissible pour vous: le fait de rendre ces directives également applicables aux enfants et adolescents.
On côtoie ici l’intolérable. Car quel enfant ou adolescent de 12 à 16 ans est réellement capable de discernement à un âge largement reconnu comme fragile, fluctuant, instable et susceptible de retournement complet? Ce dont ces enfants et adolescents ont un urgent besoin, c’est d’une aide attentive pour les accompagner et leur donner des raisons de vivre et non pas l’examen de leurs raisons de mourir! Là se trouve très concrètement le lieu où l’on voit combien notre société est malade.

L’ASSM continue pourtant de défendre l’optique que «l’aide au suicide ne fait pas partie de l’activité médicale car elle est contraire aux buts de la médecine.»
Oui, mais que dit-elle un peu plus loin? «Si le patient persiste dans son désir (de suicide), le médecin peut, sur la base d’une décision dont il endosse personnellement la responsabilité, apporter une aide au suicide, sous réserve de cinq conditions» Comment ne pas constater une contradiction? C’est cautionner ainsi, quelles que soient les conditions édictées par précaution, que le médecin est partie prenante du processus organisé par les associations d’aide au suicide comme Exit ou Dignitas. (cath.ch/mp)


François Gachoud

Né à Fribourg en 1941, François Gachoud s’est spécialisé en philosophie moderne et contemporaine, il a consacré bon nombre de travaux à Hegel. Enseignant de philosophie, au Collège du Sud à Bulle, il a participé régulièrement à des émissions à la Radio Suisse Romande et sur France Culture. Il a également été chroniqueur pour divers journaux. Il est l’auteur de diverses publications dont notamment Comment penser la Résurrection. Essai philosophique. Le Cerf, Paris, 2014.

Le philosophe et ancien enseignant fribourgeois François Gachoud (photo: cath.ch)
10 octobre 2018 | 00:01
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 5  min.
Partagez!