Pays baltes: un témoignage des «racines» occulté par l’accord chinois
En voyage dans les trois pays baltes du 22 au 25 septembre 2018, le pape François a invité ces pays à puiser dans leurs racines douloureuses un message d’accueil. Mais en annonçant l’accord provisoire avec la Chine au premier jour de ce déplacement, le Vatican a pris le risque de reléguer ce message à l’arrière-plan.
Le fait le plus notable de ce voyage est justement celui qui ne le concerne pas: la signature d’un accord «provisoire» avec la Chine sur la nomination des évêques et la levée de l’excommunication des évêques nommés par Pékin sans l’accord de Rome. Lors de la conférence de presse dans l’avion de retour du voyage, le pape François a précisé que les futurs prélats seraient nommés par le successeur de Pierre, après «discussion» avec Pékin.
Chevauchement d’actualités
Cet accord – même provisoire et pour l’instant relativement secret – constitue une des plus grandes avancées de la diplomatie vaticane de ces dernières décennies. Il vient presque mettre un terme à la division de la communauté catholique chinoise entre Eglise ›officielle’ et Eglise ›souterraine’. Presque, car Pékin n’a pour le moment pas reconnu tous les évêques nommés par Rome. Il n’en demeure pas moins que désormais tous les évêques de Chine sont en communion avec le successeur de Pierre, comme le faisait remarquer le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat.
Au vu de la prouesse que constitue, ce compromis, la date de sa publication interroge. Pourquoi avoir fait le choix de le publier au premier jour d’un voyage hors d’Italie, au risque que celui-ci passe au second plan? De fait, l’attention s’est focalisée sur la Chine et non sur la Lituanie. Est-ce par crainte de fuites? Une exigence de Pékin? Ou alors le Vatican a-t-il saisi l’opportunité d’avoir nombre de médias et d’agences de presse à proximité pour donner plus de retentissement à l’information, au détriment du pays visité? Quelle que soit l’explication, ce qui restera le plus de ce voyage n’a rien à voir avec les pays visités.
Les douloureuses racines des pays baltes
Cela est d’autant plus dommage que – comme toujours avec le pape François – le voyage avait un véritable sens, un enseignement puisé localement pour le porter à l’Eglise universelle. En venant dans les trois pays baltes pour le centenaire de leur indépendance, le pontife est venu illustrer son message de l’importance des racines. Racines douloureuses pour ces pays qui ont souffert de deux totalitarismes du 20e siècle. S’ils sont aujourd’hui dans l’Union européenne, ces trois pays étaient il y encore moins de 30 ans au nombre des républiques soviétiques socialistes constituant l’URSS.
Tout au long du voyage, le successeur de Pierre s’est attaché à rappeler l’histoire de ces pays. Il a également visité nombre de lieux symboliques, comme la stèle en mémoire du ghetto de Vilnius, les anciens locaux du KGB dans la même ville ou encore le Monument de la liberté à Riga. Presque toutes les prises de parole de l’évêque de Rome ont fait allusion à ces temps de persécutions, de déportations et de haine de la foi.
Pour lui, cette histoire est les racines de ces peuples. Et à ce titre, elle doit être intégrée, assimilée, pour aller de l’avant. Devant les personnes âgées à Riga, le pape a ainsi filé la métaphore: être les «racines des jeunes bourgeons qui doivent fleurir et porter du fruit». Sans cela, estime le pape, les pays baltes continueront à souffrir de leurs maux: alcoolisme, suicide et forte émigration. En somme, leurs jeunes resteront ›déracinés’ de leur propre terre, ce qui est aussi néfaste pour eux que pour elle. Les jeunes n’auront ainsi pas d’ancrage dans une histoire – c’est une des «pires aliénations» selon le pape – et la terre restera stérile.
La charité, «devoir» des chrétiens et «clef» du Paradis
Pour le chef de l’Eglise catholique, il est d’autant plus nécessaire que les pays baltes assument leur histoire qu’ils peuvent en tirer un message pour le monde entier. Victimes des horreurs commises par ceux qui veulent imposer un «modèle unique», les Baltes doivent en témoigner devant le monde. En particulier devant l’Union européenne, a insisté le pape, alors que certains estiment que «l’unique manière possible de garantir la sécurité et la survie d’une culture réside dans l’effort pour éliminer, effacer ou expulser les autres».
Voilà le message que le pontife attend des Baltes: la voie de l’avenir n’est pas le repli sur soi, mais l’accueil. Un accueil d’autant plus facile qu’on est soi-même bien enraciné dans sa culture. Pour le pape François, il ne s’agit de rien de moins que du «devoir» des chrétiens. Ne pas le faire n’est rien de moins que «refuser Dieu». Et la récompense sera grande, a-t-il encouragé, car la charité est la «clef» du Paradis.
Une invitation à la conversion qui concerne les habitants, mais aussi les Etats : le pays le plus fort, a soutenu le pape dans une allusion à peine voilée à la Russie et à l’OTAN, n’est pas celui qui crie le plus fort, se fait le plus menaçant ou déploie le plus de troupes. C’est celui qui se met à l’école de l’Evangile en se faisant «le dernier de tous et le serviteur de tous».
Si le successeur de Pierre s’est rendu dans les pays baltes, c’est donc in fine pour plaider le «pari» de la «fraternité universelle». Non pas une uniformisation mièvre, mais une unité qui se construit sur la base solide des racines différentes des peuples. Les pays baltes en offrent déjà un avant-goût, avec leur œcuménisme réel, construit et fortifié par les persécutions communes. (cath.ch/imedia/xln/rz)