Les erreurs et les omissions des accusateurs du pape François
Le récent «témoignage» de Mgr Carlo Maria Vigano contre le pape François, dont on apprend qu’il a en fait été rédigé par le journaliste italien Mario Tossati, est de plus en plus fondamentalement remis en cause. Le vaticaniste Andrea Tornielli en a fait une «lecture raisonnée» pour en relever les erreurs, les contradictions et les omissions du prélat italien désormais inatteignable.
Passées à la moulinette d’Andrea Tornielli, les accusations de l’ancien nonce aux Etats-Unis ne pèsent pas bien lourd. Pour le vaticaniste, qui publie son analyse sur le site Vatican Insider et dans le quotidien La Stampa, le procès contre le pape François et l’exigence de sa démission fait bien partie d’une vaste entreprise de déstabilisation lancée conte le pontife argentin par les milieux conservateurs et intégristes, dont Mgr Vigano serait un des exécutants.
Andrea Tornielli a pris au mot la demande du pape François dans l’avion le ramenant d’Irlande: «Je crois que le communiqué de Vigano parle de lui-même et que vous aurez la maturité professionnelle pour en tirer les conclusions». Le vaticaniste a opéré une lecture attentive du texte séparant les faits des opinions, relevant les contradictions, les incohérences et les omissions du prélat.
Tout d’abord, les faits, en supposant que ce que Vigano a dit est vrai, le 22 novembre 2000, le frère dominicain Boniface Ramsey a écrit au nonce apostolique aux USA, Mgr Gabriel Montalvo pour l’informer qu’il avait entendu dire que McCarrick avait «partagé son lit avec des séminaristes». La veille, le 21 novembre, Jean Paul II avait nommé McCarrick archevêque de Washington. Ce rapport transmis par le nonce à la Secétairerie d’Etat, alors dirigée par le cardinal Angelo Sodano, n’aurait pas eu de suite.
Cette coïncidence ne manque pas d’interroger Andrea Tornielli. Si ces rumeurs sur McCarrick étaient si répandues et si insistantes, pourquoi cela n’a-t-il pas empêché sa nomination comme évêque auxiliaire de New York en 1977, sous Paul VI, puis comme évêque de Metuchen en 1981, sous Jean Paul II, son transfert à l’archidiocèse de Newark en 1986, enfin sa promotion à Washington en 2000 et sa création comme cardinal en 2001?
La faute au cardinal Sodano?
Concernant ces nominations, Vigano charge le cardinal Sodano en expliquant que Jean Paul II était déjà malade et presque incapable de comprendre et de gouverner l’Église. Une affirmation clairement fausse pour les années en question. Jean Paul II ne mourra qu’en 2005. En outre relève Tornielli, Vigano omet de citer l’entourage du pape responsable des nominations dont son secrétaire particulier Stanislaw Dziwisz. Et il ne cite le préfet de la congrégation des évêques, le cardinal Giovanni Battista Re, que pour l’exonérer. Si Sodano n’avait pas transmis l’information à Jean Paul II pourquoi le nonce n’a-t-il pas insisté s’il pensait que les accusations contre McCarrick étaient fiables?
Plaintes en 2006
De nouvelles plaintes sont arrivées en 2006, lorsque le pape était Benoît XVI et le Secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone. Cette fois un ancien prêtre abuseur d’enfants, Gregory Littleton, entre en scène. Il explique au nonce aux USA, Mgr Pietro Sambi qu’il a été harcelé sexuellement par McCarrick. Il est utile de préciser qu’à ce moment-là McCarrick était déjà à la retraite. Sa démission avait été acceptée le 16 mai 2006, 10 mois après son 75e anniversaire. Si les plaintes étaient si connues pourquoi McCarrick n’a-t-il pas quitté son poste immédiatement, à l’âge de 75 ans, s’interroge Tornielli.
En 2008, suite à de nouvelles allégations de comportements inappropriés de McCarrick, Vigano affirme avoir envoyé une autre note à ses supérieurs. Un ordre de sanction de Benoît XVI serait alors intervenu «en 2009 ou 2010». Vigano ne peut pas être plus précis, car à ce moment-là, il avait quitté son poste à la Secrétairerie d’Etat, où il coordonnait le travail du personnel des nonciatures, et avait été nommé secrétaire du Gouvernorat de la Cité du Vatican. Cet ordre de Benoît XVI n’a pas été rendu public. Il a été transmis par le Saint-Siège au nonce à Washington (toujours Mgr Sambi) pour qu’il le communique à la personne concernée. Indulgence pour un cardinal désormais âgé et retraité? Ou bien la preuve n’a-t-elle pas été jugée suffisante par Benoît XVI? Tornielli rappelle qu’à cette époque personne n’avait jamais parlé, et encore moins dénoncé, de maltraitance d’enfants. Il s’agissait de harcèlement de séminaristes majeurs, ce qui constituait néanmoins des abus caractérisés commis par une personne ayant autorité.
La réalité des sanctions de Benoît XVI fortement mise en doute
Des doutes quant à la réalité ou au moins sur le contenu des sanctions de Benoît XVI sont plus que légitimes au regard de ce qui se passe ensuite. Et c’est la principale faiblesse du témoignage de Vigano. McCarrick ne change pas du tout son mode de vie, multipliant les apparitions publiques, les voyages, les conférences et les ordinations aux côtés de nombreux cardinaux et évêques. A Rome, il rencontre plusieurs fois le pape, notamment en 2012 et 2013. Benoît XVI ne semble jamais s’offusquer de ces comportements.
Quant à Vigano lui-même, alors nonce aux Etats-Unis entre 2011 et 2016, il ne semble pas le moins du monde gêné de s’afficher avec le cardinal McCarrick. Il va même jusqu’à prononcer un hommage public lors de l’attribution d’un prix, le 2 mai 2012, à New York, comme l’atteste une vidéo visible sur les réseaux sociaux. En tant que nonce aux USA, Vigano avait alors un accès direct au pape Benoît XVI. Pourquoi n’est-il pas intervenu pour manifester sa désapprobation?
Abp Carlo Maria Vigano at a gala honoring then-Cardinal McCarrick in May 2012, six months after the archbishop now says he was given instructions about Pope Benedict's supposed sanctioning of McCarrick. pic.twitter.com/x1XAc0qUlS
— Cindy Wooden (@Cindy_Wooden) August 29, 2018
Le pape François entre en scène
Le pape François entre en scène en juin 2013. McCarrick, alors âgé de plus de 80 ans, n’a pas participé au conclave qui l’a élu. Il est un cardinal retraité mais hyperactif. Vigano se rend à une audience où le le pape lui pose une question sur McCarrick. Vigano lui aurait alors rappelé que le cardinal «a corrompu des générations de séminaristes et de prêtres» et qu’au Vatican un dossier en atteste. Mais sans lui parler des sanctions de Benoît XVI.
La supposition que le pape François aurait malgré tout choisi Mc Carrick comme conseiller pour la nomination d’évêques aux Etats-Unis est très faiblement étayée. Elle repose sur le fait que le pape aurait déclaré à Vigano que «les évêques des États-Unis ne doivent pas être idéologisés, ils doivent être des pasteurs». Comme dans les mois qui suivirent, McCarrick fit une déclaration similaire à un monseigneur de la nonciature, qui le rapporta ensuite à Vigano, l’ancien nonce en déduit que le cardinal américain était derrière l’attitude de Bergoglio à l’égard de l’Église américaine. Il semble beaucoup plus plausible que le pape François ait simplement fait cette remarque à de nombreuses autres personnes. Il a également exprimé très souvent publiquement cette idée des évêques pasteurs, que Benoît XVI avant lui avait déjà défendue.
Le pape François sanctionne
Quatre ans et demi passent et en 2018 arrive, pour la première fois, la nouvelle d’un abus sur un mineur commis cinquante ans plus tôt par McCarrick, alors jeune prêtre. Une procédure canonique régulière a été rapidement ouverte par le diocèse de New York, avec la transmission des documents à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. D’autres nouvelles sont portées à la connaissance du diocèse de Newark, concernant deux règlements avec compensation pour les dommages que McCarrick a payés, concernant des plaintes de harcèlement déposées par des séminaristes majeurs au moment des faits. François lui impose alors le 28 juillet non seulement le silence et une vie retirée, mais lui enlève aussi son chapeau de cardinal.
Tout n’est qu’instrumentalisation
Tout le reste du «témoignage» de Mgr Vigano est constitué d’opinions, entre autres sur la branche déviante des jésuites, qui ne sont pas déterminantes pour juger de sa pertinence. Pour Andrea Tornielli, l’instrumentalisation de l’opération est évidente pour quiconque réfléchit à la succession des événements, sans qu’il soit même nécessaire de revisiter d’autres informations qui tendent à discréditer la figure de Vigano. (cath.ch/vi/mp)