Tunisie: les islamistes opposés à l'égalité en matière d'héritage

Le président de la République tunisienne Béji Caid Essebsi a affirmé lors de la Journée de la Femme tunisienne, lundi 13 août 2018, qu’il allait soumettre à l’Assemblée des représentants du peuple une proposition de loi sur l’égalité entre hommes et femmes dans l’héritage. Il doit cependant compter avec l’opposition farouche des milieux islamistes, qui rappellent que selon le Coran, un homme a droit au double de l’héritage de la femme.

Béji Caid Essebsi souhaite modifier les dispositions du Code du Statut Personnel (CSP) relatives à l’héritage. La présidence de la République devrait présenter son projet dans les plus brefs délais à l’Assemblée des représentants du peuple. Mais comme les autres mouvances islamistes, Ennahdha, le mouvement d’inspiration islamiste qui a remporté le plus grand nombre de mairies à l’issue des municipales de mai dernier, compte bien lui mettre les bâtons dans les roues.

Il faut compter avec les mosquées

Dans un certain nombre de mosquées, contrôlées par des imams issus du mouvement Ennahdha, la proposition d’égalité entre homme et femme en matière d’héritage est vivement critiquée.

Invitée de Houna Shems, le nouveau magazine politique de la radio tunisienne Shems Fm, la porte-parole de la présidence de la République Saida Garrache a déclaré, lundi 13 aout 2018, que le mouvement Ennahdha refuse la proposition relative à l’égalité dans l’héritage. Le mouvement a adressé au président de la République Béji Caid Essebsi un rapport résumant son opinion à propos du rapport de la Commission des libertés et de l’égalité (Colibe).

Ennhadha souligne que l’islam est la religion du pays

Ennhadha sait que sa base, arguant du Coran, est farouchement opposée à la proposition de Béji Caid Essebsi. Des imams et autre religieux affiliés au parti ont déjà exprimé ouvertement leur opposition à l’idée d’égalité en matière d’héritage.

Si l’islam n’a pas été intégré comme source de droit dans la Constitution tunisienne, la charte fondamentale est écrite «Au nom de Dieu le clément, le miséricordieux» et des références à la religion musulmane apparaissent à maintes reprises, laissant une place importante à l’interprétation.

Le préambule de la Constitution mentionne «l’appartenance culturelle et civilisationnelle [de la Tunisie] à l’oummah arabe et islamique» et précise que «la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain, l’islam est sa religion, l’arabe sa langue et la République son régime».

Pour les islamistes, l’égalité n’est pas une priorité

Les islamistes d’Ennahda n’oublient pas de rappeler que le préambule de la Constitution tunisienne exprime «l’attachement de notre peuple aux enseignements de l’islam et à ses finalités caractérisés par l’ouverture et la tolérance, ainsi qu’aux valeurs humaines et aux principes universels et supérieurs des droits de l’Homme».

Abdelkrim Harouni, président du Conseil de la Choura du mouvement Ennahdha, a déclaré le 13 août sur les ondes radio tunisienne Mosaique FM que l’égalité dans l’héritage «n’est pas une demande populaire pour l’instant, ce n’est pas une priorité pour la Tunisie». Il a rappelé à ce propos qu’Ennahdha a exprimé ses réserves au président de la République, car, selon lui, «le peuple est musulman et l’Etat, qui représente le peuple, doit se conformer à cet islam, aux préceptes de l’islam et interpréter dans le cadre de ces préceptes».

Des interprétations divergentes de la Constitution

Revenant sur le discours de Béji Caïd Essebsi, Harouni a affirmé que le président de la République a axé ses propos sur le caractère civil de l’Etat en mentionnant l’article 2 de la Constitution, à savoir que la Tunisie est «un Etat civil, fondé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit», «mais il a oublié l’article premier [l’islam est sa religion], qui représente l’identité de cette Constitution».

«Le président de la République a fait une lecture de la Constitution, il l’a interprétée or ce n’est pas la seule compréhension possible de la Constitution» a-t-il insisté. «L’article 2 vient expliquer l’article premier. Quand celui-ci dit que ›sa religion est l’islam’, cela ne veut pas dire qu’il s’agit d’un Etat théocratique, mais que c’est un Etat qui est tenu d’appliquer les préceptes de l’islam parce que c’est un Etat qui représente un peuple musulman», a-t-il poursuivi, en estimant que le président de la République a «interprété» la Constitution dans un autre sens que ne le fait Ennahdha.

Le Coran avant les droits civils ou vice-versa

Egalement membre du conseil de la Choura d’Ennahdha, la députée Monia Ibrahim souligne pour sa part que la question de l’héritage est bien claire dans l’islam. «En religion, il y’a des préceptes constants qui ne demandent pas d’interprétation», note-t-elle, en mentionnant le verset coranique qui dit qu’un homme a droit au double de l’héritage de la femme.

Selon Caïd Essebsi, le principe serait d’appliquer l’égalité dans l’héritage tout en donnant tout de même la possibilité de choisir l’application de la charia, le droit islamique. Le projet de loi sur l’égalité dans l’héritage sera soumis au Parlement au démarrage de la prochaine session parlementaire. Les partisans de l’égalité en matière d’héritage soulignent que l’évolution de la société tunisienne a transformé le statut, la place et le rôle de la femme, de sorte que le partage inégal prescrit par le Coran ne satisfait plus aux besoins d’un fonctionnement adéquat de la cellule familiale. (cath.ch/be)

 

 

 

Le président de la République tunisienne Béji Caid Essebsi | Capture d'écran
15 août 2018 | 17:10
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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