Pour Thierry Collaud, le changement de doctrine sur la peine de mort manifeste le dynamisme de l'éthique chrétienne | © Pierre Pistoletti
Suisse

Peine de mort: la doctrine morale de l’Eglise n'est pas figée

Le 2 août dernier, la peine de mort a changé de statut dans le catéchisme de l’Eglise catholique. Tolérée sous certaines conditions, elle est devenue «inadmissible». Le cas est emblématique du dynamisme de la pensée morale de l’Eglise, selon Thierry Collaud, professeur d’éthique à l’Université de Fribourg.

Le feu orange est devenu rouge. Après une longue période d’incubation, les velléités abolitionnistes au sein de l’Eglise ont fini par aboutir à un changement de doctrine. La décision du pape François de modifier le Catéchisme de l’Eglise catholique ne tombe pas du ciel: la volonté de changement remonte au Concile Vatican II (1962-1965). Elle a pris de l’ampleur depuis Jean Paul II et son encyclique Evangelium Vitae (1995) sur la valeur et l’inviolabilité de la vie humaine. Elle s’est renforcée sous le pontificat de Benoît XVI qui appelait en 2011 à la concertation de tous pour «arriver à l’élimination de la peine capitale».

Levée d’une ambiguïté

«Un bel exemple de la maturation de la conscience morale de l’Eglise», pour Thierry Collaud. Le professeur à la Faculté de théologie de Fribourg ne voit pas de rupture dans le passage du permis à l’interdit, mais «un gain de cohérence». «Globalement, l’Eglise a toujours affirmé: tuer des gens, ce n’est pas bien. En supprimant du catéchisme l’exception de la peine de mort, le pape François renforce cette ligne.»

«C’est facile de dire je suis contre l’avortement, contre l’euthanasie ou contre la peine de mort. Mais ça ne fait pas de vous un ‘bon chrétien’!»

Il lève du même coup une ambiguïté qui a longtemps eu cours dans l’Eglise. «J’ai toujours été choqué de lire le propos de certains catholiques bien-pensants qui militent à la fois pour la peine de mort et contre l’avortement, poursuit l’éthicien. En continuité avec Jean Paul II, François affirme la nécessité de prendre soin ‘de toute la vie et de la vie de tous’. Celle de l’enfant à naître comme celle du migrant qui traverse la mer sur un bateau. Et même celle du criminel. Tous partagent une égale dignité reçue de Dieu».

L’Eglise, en phase avec son temps?

Il s’agit donc d’un développement organique, comme l’Eglise en a connu d’autres. Avant la peine de mort, son point de vue avait déjà évolué sur l’esclavage, la démocratie ou même le prêt à intérêt. Qu’est-ce à dire? Que l’enseignement moral de l’Eglise adopte, avec quelques années de retard, les mœurs de son temps?

«Ce n’est pas si simple, nuance Thierry Collaud. Une saine évolution ne suit pas les ‘trends’ sociaux du moment. Elle est guidée par des lignes de force, des grands principes – dans le cas de la peine de mort: le respect de la vie – dont l’application cherche à se dire de manière toujours plus juste dans la réalité historique complexe des sociétés humaines. Dans ce processus, le contexte socio-culturel peut être un stimulus pour amener l’Eglise à améliorer l’expression de son message. Le cardinal Newman avait déjà bien décrit ce développement dans la formulation des idées théologiques qui ne sont pas figées dans une expression intemporelle, au grand dam des partisans d’une ‘Eglise de toujours’.»

«Mais au fond, ce changement d’une ligne dans le catéchisme catholique n’a d’importance que s’il reflète la vie concrète de la communauté ecclésiale et de ce qui compte vraiment pour elle ici et maintenant: avancer avec le Christ sur les chemins caillouteux du monde, en vivant de la vie en plénitude qu’il nous offre.»

L’interdit ne suffit pas

Au-delà de la peine de mort, le respect de la vie engage les chrétiens. «C’est facile de dire je suis contre l’avortement, contre l’euthanasie ou, désormais, contre la peine de mort. Mais ça ne fait pas de vous un ‘bon chrétien’, avertit Thierry Collaud. Il faut aller plus loin et s’interroger sur la manière dont nous favorisons ce respect au quotidien. Que faisons pour faire vivre d’une vraie vie cette femme enceinte démunie, ce migrant, cet employé exploité ou cette personne âgée qui n’en peut plus d’être seule?»

Au lendemain de la votation du Sénat argentin interdisant l’avortement, le discours du cardinal de Buenos Aires sonne comme une saine remise en question. «Nous avons peu fait pour accompagner adéquatement les femmes qui se trouvent dans des situations très difficiles où l’avortement leur est présenté comme une solution rapide à leur angoisse profonde», reconnaissait Mgr Mario Poli. «C’est tout autre chose que de se contenter d’affirmer un interdit», selon Thierry Collaud. (cath.ch/pp)

Pour Thierry Collaud, le changement de doctrine sur la peine de mort manifeste le dynamisme de l'éthique chrétienne | © Pierre Pistoletti
11 août 2018 | 13:08
par Pierre Pistoletti
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