Déception d'une activiste pro-choix à l'annonce du résultat du vote | © Keystone
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Après le vote du sénat rejetant l'IVG, la société argentine plus divisée que jamais

Après un débat historique qui a duré plus de 16 heures, le projet de loi de légalisation de l’avortement en Argentine, adopté à une courte majorité par les députés en juin dernier, a été rejeté le 8 août 2018 par 38 sénateurs contre 31 et 2 abstentions. Mais face à l’IVG, la société argentine, traditionnellement catholique, est plus divisée que jamais.

La victoire des opposants à l’IVG à la Chambre des députés, mais surtout la mobilisation massive qui a accompagné le vote du «oui» du 14 juin dernier, a d’abord fait penser que la «marée verte», avant tout les jeunes favorables à la dépénalisation, prévaudrait aussi au Sénat, note Vaticannews en langue espagnole.

Beaucoup plus conservateur que la Chambre des députés, le Sénat est une Chambre où les intérêts des provinces de l’intérieur du pays, plus traditionalistes, sont représentés. Au fil des semaines, la pression de l’Eglise catholique et des évangéliques a gagné du terrain jusqu’à ce que le vote scelle la victoire des opposants à l’avortement.

«Célestes» contre «Verts»

Alors que le «secteur céleste» (couleurs bleu et blanc du drapeau argentin), composé des opposants au projet en faveur d’un avortement sûr, légal et gratuit, célébrait sa victoire avec des feux d’artifice et force musique sur la Place du Congrès le 8 août, le «groupe vert» regroupant les jeunes militants pour la dépénalisation de l’IVG était abattu. Les rayons lasers de couleur verte dirigés vers le Sénat se sont éteints et de nombreuses jeunes femmes, portant des foulards verts, se sont mises à pleurer.

Face aux «célestes», qui criaient leur victoire comme lors d’un match de football, les déçus lançaient toujours «Avortement légal à l’hôpital!», «Pouvoir populaire!», «Le féminisme vaincra!», échangeant ensuite des insultes avec le camp opposé, «Fils de p…!», «Anti-droits!», relate la presse argentine.

L’Eglise, qui combat la légalisation de l’IVG, a aussi été prise à partie et en cette journée tendue. Les mouchoirs les plus vendus étaient de couleur orange: ils appellent à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Des manifestants dépités se sont affrontés aux forces de l’ordre, qui ont procédé à plusieurs arrestations.

L’aide de l’Eglise pour les mères en difficultés

L’Eglise catholique a développé plusieurs initiatives en faveur des mères qui font face à des grossesses difficiles, inattendues ou non désirées. Dans les banlieues des grandes métropoles, l’Eglise cherche à développer des espaces d’accueil pour les femmes enceintes à travers un réseau de «maisons de la mère», leur garantissant nourriture, soins médicaux et de santé. Elle fournit supervision, aide psychologique, conseils juridiques et sociaux afin que les mères puissent poursuivre leur grossesse et faire face aux premières années de la vie de leurs enfants jusqu’à l’âge scolaire, souligne Vaticannews.

La Conférence épiscopale argentine avait invité les fidèles à une «Messe pour la vie» célébrée à la cathédrale de Buenos Aires au soir du 8 août, alors que se déroulait le débat au Sénat. Présidée par le cardinal Mario A. Poli, archevêque de Buenos Aires et primat d’Argentine, elle était concélébrée par le président de la Conférence épiscopale, divers autres évêques du pays et le nonce apostolique en Argentine, Mgr Leon Kalenga Badikebele.

Homélie du cardinal Mario A. Poli

«Il est vrai aussi que nous avons peu fait pour accompagner adéquatement les femmes qui se trouvent dans des situations très difficiles, où l’avortement leur est présenté comme une solution rapide à leur angoisse profonde, en particulier lorsque la vie qui grandit en elles est le résultat d’un viol ou arrive dans un contexte d’extrême pauvreté», a reconnu le cardinal Mario A. Poli   dans une homélie condamnant fermement l’IVG. «La vérité est qu’il s’agit de légitimer, pour la première fois dans la législation argentine, le fait qu’un être humain puisse éliminer son prochain». Rappelant la valeur sacrée de la vie, il a demandé à l’Eglise, à l’instar des appels du pape François, de venir en aide aux femmes en difficultés.

«Nous devons veiller à multiplier les espaces de solidarité et d’aide concrète: qu’il y ait des foyers où les jeunes mères enceintes soient accueillies avec l’étreinte maternelle des femmes qui ont eu la joie de concevoir, malgré tout», a-t-il poursuivi.

Ne plus punir les femmes

La commission d’experts en charge de la révision du Code pénal a conseillé, dans le cas d’un avortement, de remplacer la prison par d’autres types de peines. Le gouvernement, par l’intermédiaire du Ministère de la justice dirigé par German Garavano, plaide d’emblée pour que ces femmes ne soient plus punies. Ainsi, l’avortement continuerait d’être un crime, mais  il n’y aurait plus de peines pour les femmes. Une peine serait cependant maintenue pour les médecins, chirurgiens et les pharmaciens, comme le prévoit le Code actuel et la condamnation de l’IVG y resterait inscrite.

Pas question donc de supprimer la mention de l’avortement dans le texte, car ce serait à nouveau relancer une discussion très passionnée, note une source gouvernementale. «Le consensus que nous voyons dans la société et même dans l’Eglise, même si elle ne l’exprime pas ouvertement, c’est que les femmes ne devraient pas être punies», note un membre du Cabinet, cité par Clarin. Le texte devrait être prêt dans deux semaines pour que le président Mauricio Macri puisse l’envoyer au Congrès.  (cath.ch/clarin/vaticannews)

 

Déception d'une activiste pro-choix à l'annonce du résultat du vote | © Keystone
9 août 2018 | 13:04
par Jacques Berset
Temps de lecture : env. 4  min.
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