De retour de Mossoul, Roberto Simona témoigne de l'improbable retour des chrétiens
A Qaraqosh, aux portes de la ville irakienne de Mossoul, les travaux de reconstruction vont bon train après le passage dévastateur des djihadistes de Daech, l’Etat islamique autoproclamé. L’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED-ACN) finance en partie le retour des chrétiens dans leur foyer.
60% de la population de cette petite ville chrétienne de la Plaine de Ninive – chassée par l’avancée des djihadistes en août 2014 – est revenue. Mais sans opportunités de travail, avec l’insécurité régnante – les chrétiens craignent des voisins qui ont sympathisé avec les djihadistes – beaucoup songent à rejoindre des parents en Occident. A quelques dizaines de kilomètres de là, la vieille ville de Mossoul, sur la rive droite du Tigre, n’est plus qu’un amas de ruines. Les chrétiens qui y vivaient avant la prise de contrôle de la métropole sunnite par al-Qaïda et le règne de terreur imposé ensuite par les djihadistes de Daech, ne vont certainement pas y retourner, témoigne le Tessinois Roberto Simona. Les terroristes de l’Etat islamique, qui ont occupé la ville de juin 2014 à sa libération complète par les forces armées irakiennes en juillet 2017, ont laissé derrière eux une longue trace de sang et une forte empreinte sur les mentalités.
Dans la ville, Daech a imposé la charia, exécuté des centaines de personnes et détruit systématiquement tous les symboles religieux, visant non seulement de nombreuses églises et monastères chrétiens, mais également d’autres sites de pèlerinage musulmans ainsi que des vestiges archéologiques et d’importants monuments assyriens.
Mossoul dévastée
Le Suisse, responsable de l’antenne romande et tessinoise de l’œuvre d’entraide catholique AED-ACN, s’est rendu en juillet 2018, en compagnie de Marc Fromager, directeur d’AED-France, dans la métropole irakienne dévastée, à plus de 350 km au nord de Bagdad.
Les photos qu’il a ramenées de ce voyage privé n’incitent pas à l’optimisme: de la rive orientale du grand fleuve qui divise la ville en deux, on ne voit qu’un amas de ruines, des maisons aplaties par les bombardements des forces irakiennes et de leurs alliés américains engagés dans la reconquête de ce bastion rebelle. C’est de là, depuis la grande mosquée Al-Nouri, qu’Abou Bakr al-Bagdadi avait proclamé le rétablissement du califat islamique sur toute la région le 29 juin 2014, réclamant l’obéissance de tous les musulmans. Les «fous d’Allah» ont fait sauter la mosquée et son fameux minaret penché le 21 juin 2017, alors que l’armée irakienne était tout proche de l’édifice.
L’invasion américaine a déchiré le tissu social
Avant l’invasion américaine de l’Irak, en 2003, dans la ville de Mossoul, la capitale des musulmans sunnites d’Irak, cohabitaient, aux côtés de la grande majorité sunnite, des minorités chrétiennes, shabaks, yézidis, kurdes, assyriennes, arméniennes et turkmènes. L’ancienne Ninive comptait plus de quarante églises et monastères. Dès l’occupation américaine et la mise à mort du dictateur Saddam Hussein, note Roberto Simona, l’hostilité latente envers les minorités est devenue plus ouverte.
Les attentats contre la minorité chrétienne se sont multipliés, mais rien de comparable avec le règne de la terreur imposé par les djihadistes de Daech, qui n’ont pas non plus épargné les musulmans qui ne leur étaient pas favorables.
«Il n’y a plus aucun chrétien ici, ils ne vont certainement plus revenir»
Sur la route, en approchant Mossoul, une grande tenture peinte accrochée à un container, avec un grand Christ saluant l’arrivant en anglais «welcome back!», «bienvenu!» Plus loin, un panneau: I love Mossoul. Passant le pont provisoire qui enjambe le Tigre – le large pont de béton a été en partie détruit par les bombardements – l’arrivée dans le quartier d’Al-Meidan est apocalyptique. Le squelette de l’église syro-catholique d’Al-Tahira (Notre-Dame de l’Immaculée Conception), complètement dévastée, émerge des ruines des maisons alentour.
L’homme qui guide Roberto au milieu des ruines précise: «ici, dans ce quartier, sur 20 maisons, une seule était occupée par une famille musulmane, les autres habitants étaient des chrétiens. Il n’y a plus aucun chrétien ici, et ils ne vont sûrement jamais revenir!»
A Ankawa, la banlieue chrétienne d’Erbil, au Kurdistan, le Père Najib Mikhail – le religieux dominicain qui a sauvé les précieux manuscrits chrétiens et livres antiques en araméen, arabe et arménien lors de la prise de Qaraqosh par les islamistes de Daech – avait déjà mis en garde: ce n’est pas la priorité pour les chrétiens d’investir de grandes sommes pour reconstruire leurs édifices religieux à Mossoul. «La situation est trop instable, les chrétiens ne vont pas revenir dans cette ville!»
Slogans djihadistes dans les églises
Du haut des mosquées, Daech avait décrété par hauts parleurs que les chrétiens de Mossoul, pour survivre, devaient choisir entre trois possibilités: soit se convertir à l’islam, soit payer la jiziah (impôt imposé aux non musulmans), soit quitter la ville sans rien prendre, leurs biens appartenant à l’Etat Islamique.
Poursuivant sa visite au milieu des décombres, Roberto découvre, dans l’église syro-catholique Mar Thomas (saint Thomas) et dans sa voisine syro-orthodoxe, les graffitis sur les murs: des slogans islamistes en arabe, mais aussi en russe et en anglais. De nombreux djihadistes étrangers s’étaient installés à Mossoul, venant de partout, notamment des anciennes Républiques soviétiques: du Caucase, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan, d’Azerbaïdjan…
Le visiteur retrouve les slogans islamistes en cyrillique peints dans les ruines du couvent des dominicains, un autre en anglais: «The islamist conquest of Rome». Partout, les djihadistes ont saccagé les églises, qu’ils ont dynamitées. Ainsi la fameuse église de Notre-Dame de l’Heure, l’une des plus célèbres de la ville de Mossoul, ornée de la première horloge installée sur le sol irakien, offerte par l’impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III, aux Pères dominicains qui avaient bâti l’édifice dans les années 1870.
Des étudiants chrétiens à l’Université de Mossoul
Dans la cour de l’église dévastée se trouve une grotte de Lourdes avec la statue de la Vierge, Notre-Dame-des-miracles, où venaient prier, dans les temps meilleurs, des paroissiens, mais aussi des musulmans et des yézidis, une des minorités religieuses irakiennes. Les djihadistes de Daech ont détruit l’église, dont le clocher mutilé est toujours debout.
Le Tessinois relève que quelque 600 étudiants chrétiens fréquentent encore l’Université de Mossoul, située sur la rive orientale du Tigre, qui, bien qu’ayant subi de graves dommages, fonctionne à nouveau. La partie moderne de la ville a été moins touchée, et elle est vivable. »Ces étudiants, qui parlent arabe, ne peuvent pas suivre leur cursus universitaire au Kurdistan, pour des raisons de langue, mais ils ne restent pas à Mossoul après les cours, ils rentrent dans leurs villages de la Plaine de Ninive».
Perte de confiance dans les voisins musulmans
Les chrétiens chassés de Mossoul et de la Plaine de Ninive ont perdu confiance dans leurs anciens voisins musulmans. A Qaraqosh, petite ville syro-catholique de la Plaine de Ninive, à deux dizaines de kilomètres de Mossoul, 5’275 familles sont retournées. Leurs maisons ont été reconstruites ou réparées, notamment grâce au programme d’aide d’AED, précise Roberto Simona.
«Le défi est qu’ils restent. L’Eglise les invite à revenir, mais une nouvelle menace pointe à l’horizon: les shabaks, des chiites, commencent à s’installer dans cette région traditionnellement chrétienne. Ils partent à la conquête de ces territoires». Les chrétiens chassés par les djihadistes n’ont plus confiance dans leurs voisins musulmans, dont certains ont volontiers participé aux exactions contre eux et au pillage de leurs biens.
Plus de 30’000 enfants endoctrinés
Le Père Najib Mikhail confirme que la méfiance entre les communautés s’est profondément installée: à Mossoul, plus de 30’000 enfants ont été endoctrinés, intoxiqués, par l’idéologie extrémiste qui leur a été insufflée par l’Etat islamique: «Il y a eu un véritable lavage de cerveaux chez ces enfants; il faudra du temps pour que cette idéologie dangereuse pour les minorités soit éradiquée…»
Aux yeux du dominicain irakien, une rééducation de cette population prendra du temps. «Il faut investir dans l’éducation, c’est prioritaire, car il ne suffira pas de reconstruire ce qui a été détruit, si la mentalité djihadiste reste dans les esprits !» Le Père Najib insiste: «Il faut éviter, dans la Plaine de Ninive, de créer un ghetto chrétien entouré de villages hostiles…» Pour lui, il est absolument nécessaire de ne pas aider seulement les chrétiens à reconstruire leur maison, car si rien n’est fait pour les voisins musulmans, les tensions entre les communautés vont s’aggraver. (cath.ch/be)