La secrétaire générale du Conseil des Eglises du Moyen-Orient (Cemo), la théologienne maronite libanaise Souraya Bechealany | capture d'écran Vatican media
International

«Les chrétiens d’Orient peuvent décider pour eux-mêmes»

Elle était la seule femme présente sur le podium avec le pape et les prélats orientaux pour la prière pour la paix, le 7 juillet 2018, à Bari. La nouvelle secrétaire générale depuis 2018 du Conseil des Eglises du Moyen-Orient (Cemo), la théologienne maronite libanaise Souraya Bechealany, a prié en arabe pour que les chrétiens du Moyen-Orient puissent former des communautés vibrantes et solides.

Souraya Bechealany ne mâche pas ses mots. «Nous avons besoin du soutien de l’Occident, mais ne parlez pas en notre nom ou à notre place. Au Moyen-Orient, les chrétiens ne sont pas des invités, nous y sommes chez nous depuis deux millénaires. Et nous sommes assez majeurs pour prendre notre destin en mains», explique-t-elle dans une interview publié sur le site catholique cathobel, avant la rencontre de Bari.

«Nous y avons pris part à la construction de nos sociétés et de nos pays. Sans les chrétiens, ces pays ne seront plus ce qu’ils sont. Sans nous, le Moyen-Orient changera de figure et perdra une partie importante de sa diversité ainsi que son sens de l’altérité. C’est pourquoi il faut nous aider: défendons ensemble la justice pour qu’il y ait la paix, car il n’y a pas de paix sans justice.» Défendre la continuité de la présence chrétienne au Moyen-Orient, c’est par ailleurs aussi œuvrer au profit de l’Occident lui-même, estime Souraya Bechealany.

«Permettez-nous de vous aider à construire les modalités concrètes de l’unité dans la diversité sur vos propres territoires européens. Permettez-nous de vous aider à penser les nouvelles conjonctures qui s’imposent à vous avec l’arrivée des chrétiens orientaux et des musulmans dans vos pays. Nous en avons le guide d’emploi, comme nous avons une expérience millénaire de voisinage avec de grandes populations musulmanes. Vous avez donc autant besoin de nous que nous de vous.»

Crises au Moyen-Orient

Depuis la création Conseil des Eglises du Moyen-Orient en 1974, il y a eu la guerre civile au Liban, les guerres en Irak et la crise actuelle en Syrie. Auparavant il avait eu la question chypriote et le conflit israélo-palestinien. «En fait, nous sommes constamment confrontés à des besoins d’urgence… Peut-être même que par ces crises continues, nous n’avons pas encore pris assez de temps pour réfléchir en profondeur le rôle que nous jouons en tant que chrétiens au Moyen-Orient et ce que nous pouvons donner au monde par notre unité dans la diversité.»

Mais entre-temps, les urgences restent énormes. «Le Liban par exemple accueille momentanément deux millions cinq cent mille réfugiés syriens et palestiniens pour une population de quatre millions de Libanais. Il y a 350.000 enfants à scolariser mais le pays est fortement endetté. De quoi parle-t-on quand on parle d’hospitalité dans un pays comme le mien ?»

La Secrétaire générale du Conseil des Eglises du Moyen-Orient n’hésite pas à formuler des propos critiques: «De nombreuses agences humanitaires occidentales sont là pour nous aider en nous les en remercions. Mais pourquoi certaines d’entre elles s’implantent chez nous et cherchent à nous remplacer ? Ne parlez pas en notre nom à notre place. Ne décidez pas pour nous à notre place. N’oubliez jamais que nous sommes présents depuis deux millénaires en Terre Sainte, en Egypte et en Turquie, au Liban, en Syrie et en Irak… Nous avons façonné nos pays et nos sociétés. Nous vous invitons à réfléchir et à construire ensemble l’avenir.»

Conflit syrien

Depuis de nombreuses années en effet, l’Irak et la Syrie sont les champs de bataille d’innombrables acteurs étrangers. «Nous voudrions par exemple bien voir que de nombreux réfugiés au Liban puissent rentrer chez eux en sécurité, car la paix semble revenue dans les régions de Syrie d’où ils sont originaires. Mais savez-vous combien d’agendas cachés jouent sur le terrain?, interroge Souraya Bechealany. Elle veille cependant scrupuleusement à ne faire de déclarations politiques qui pourraient situer le Cemo dans un camp ou un autre. Mais «la discussion entre gouvernements au pouvoir et opposition appartient aux populations de nos pays, et non pas à des étrangers.»  (cath.ch/cathobel/benoît lannoo/mp)

 

La secrétaire générale du Conseil des Eglises du Moyen-Orient (Cemo), la théologienne maronite libanaise Souraya Bechealany | capture d'écran Vatican media
8 juillet 2018 | 11:46
par Maurice Page
Temps de lecture : env. 3  min.
Partagez!