François, un pape qui attire et qui irrite
L’engouement autour du pape François, le 21 juin 2018 à Genève, a relégué au second plan une autre réalité: ses adversaires ne désarment pas. Tour d’horizon des opposants au pape argentin.
La sécurité d’abord. Au soir du 21 juin, les forces de police genevoises ont poussé un «ouf» de soulagement. Le pape François avait circulé, il avait prié au Conseil œcuménique des Eglises et célébré à Palexpo, il était reparti. Un «ouf» proportionnel à l’importance de l’hôte d’un jour.
Car il fait partie des personnes les plus surveillées au monde. Et pour cause. Les menaces existent. Ainsi, en janvier 2015 à Manille, le groupe Yemaa Islamiya, des djihadistes philippins, avait planifié un attentat contre sa papamobile. Leur projet criminel avait échoué en raison d’une opération policière préalable qui avait éliminé l’artificier du groupe.
Que des extrémistes souhaitent éliminer l’évêque de Rome n’a rien d’étonnant. Le souvenir de Jean Paul II, victime du terroriste Ali Agça le 13 mai 1981 sur la Place Saint-Pierre, reste dans les mémoires. Sécurité maximale donc, à Rome comme à Genève.
La mafia, «sur le chemin du mal»
Certains n’hésiteraient pas à employer la manière forte. D’autres agissent de manière plus feutrée. Mais leur but est le même: tourner la page du pape argentin. Première sur les rangs, la mafia, contre laquelle François s’est prononcé à plusieurs reprises. Ainsi le 21 juin 2014, il s’en prenait ouvertement à la ›Ndrangheta, la branche calabraise du crime organisé: «Elle est dans l’adoration du mal et contre le bien commun. Ceux qui ont choisi le chemin du mal ne sont pas en communion avec Dieu, mais sont excommuniés».
Depuis, la police italienne comme la sécurité du Vatican craignent la revanche des mafieux. L’Italien Nelli Scavo, journaliste d’investigation, en a fait un livre: Les ennemis du pape (Bayard Culture, 2016). Il en a rencontré plusieurs: les réseaux traditionalistes, des barons de la finance, des multinationales, des mafias, des terroristes islamiques, des trafiquants d’armes, des prélats menacés dans leur pouvoir.
La crainte d’un attentat est alimentée, de surcroît, par une autre mesure, la remise en ordre des finances du Vatican. Dans ces labyrinthes financiers souvent opaques, le choc a été rude. En fermant des comptes douteux hébergés par l’institution financière, François a mécontenté. Il le sait.
La Curie bousculée
Le Vatican justement. Même dans le plus petit Etat du monde, l’opposition se fait jour. Dans certaines conversations de couloir, il est de bon ton de parler du «pape argentin». Une manière de marquer la distance, culturelle et idéologique, avec l’homme venu du bout du monde. Les services centraux de l’Eglise ont rarement été aussi bousculés. Car depuis son élection en mars 2013, un mot d’ordre guide le souverain pontife: réformer l’appareil central. Et dans sa volonté réformatrice, il s’est adjoint un conseil de ‘sages’, le C9.
«Faire des réformes à Rome, c’est comme nettoyer le Sphinx d’Egypte avec une brosse à dents»
Sa découverte progressive des mœurs de la Curie romaine l’a stupéfié. A la fin de l’année 2014, il dressait en public le catalogue des quinze maux de l’institution: endurcissement spirituel et mental, ragots, «Alzheimer spirituel» qui frappe ces hauts responsables, carriérisme, etc. La Curie accuse le choc. Mais le pape connaît l’ampleur de la tâche. Il confie: «Faire des réformes à Rome, c’est comme nettoyer le Sphinx d’Egypte avec une brosse à dents». La brosse passe mal. Et le C9, censé le conseiller, n’est pas exempt de reproches.
«Gestion trop autoritaire»
Le cardinal chilien Francisco Errazuriz aurait minimisé, voire caché à son patron les méfaits des prêtres pédophiles. Arcbouté en janvier 2018 pour défendre la hiérarchie chilienne, le pape se rétracte plus tard face aux révélations désastreuses de la commission d’enquête qu’il avait mandatée, confirmant les allégations des victimes. Une culture de l’impunité a régné au Chili. C’est terminé: désormais, comme partout, place à la «tolérance zéro» face à la pédophilie.
Quant au cardinal australien George Pell, autre membre du C9, il est poursuivi dans son pays pour une affaire ancienne de pédophilie. Et le Hondurien Oscar Maradiaga est, lui, accusé de malversations financières.
Mais l’opposition au pape est multiple. En février 2017, les Romains découvrent avec surprise sur les murs des affiches dénonçant sa «gestion trop autoritaire». Une campagne attribuée à certains catholiques conservateurs. Taxé de communiste par les élites républicaines aux Etats-Unis, brocardé par Marie Le Pen en France, accusé de brader la doctrine catholique, considéré comme anti-capitaliste et altermondialiste, François cristallise certains mécontentements.
Des «doutes»
Certes, à Rome, on peine à se poser en adversaire direct du pape. Mais en privé, les langues se délient. La publication, en mars 2016, de l’exhortation apostolique La joie de l’amour (Amoris Laetitia) sur l’amour dans la famille ouvre la voie de la contestation. Le document fait suite au Synode sur la famille de 2014 et 2015, en ouvrant la possibilité de la communion pour les divorcés remariés, après discernement. Une atteinte directe à la doctrine de l’Eglise, estiment certains, et non des moindres.
Les cardinaux Raymond Burke, Carlo Caffara, Walter Brandmüller et Joachim Meisner font publiquement état de leurs doutes (les dubia, en latin). Une manière de critiquer les positions du souverain pontife. Ce dernier n’a pas répondu à leurs questions sur Amoris Laetitia, portant sur les situations «irrégulières» qui ne peuvent pas, selon lui, être soumises aux mêmes normes générales. Mais les dubia gagnent d’autres rangs: le pape est suspecté de se «protestantiser», de ne plus distinguer le péché véniel du péché mortel.
Traductions liturgiques
Pourtant, Jorge Maria Bergoglio est homme à ne pas prendre de gants. En juillet 2017, il ne renouvelle pas le mandat du cardinal allemand Gerhard Müller à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi. A sa place, il nomme le secrétaire de la congrégation, alors que le cardinal Müller n’était âgé que de 69 ans. Le prélat allemand avait, lui aussi, émis des interrogations sur l’accès à la communion des personnes divorcées et remariées, évoquées dans Amoris Laetitia.
Autre voix contestataire, celle du cardinal guinéen Robert Sarah, préfet de la Congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements. A l’automne 2017, il est sévèrement recadré par François à propos de la traduction en langues vernaculaires des textes liturgiques. Selon le cardinal Sarah, le rôle du Saint-Siège dans le processus de traduction liturgique est primordial, car il faut des traductions plus proches du texte en latin. Le pape, lui, veut laisser davantage de liberté aux conférences épiscopales.
«Que ça ne me fasse pas souffrir»
Menaces externes ou contestations internes, le pape reste serein, confiant dans les gestes à poser pour faire bouger le catholicisme. Le journaliste jurassien Arnaud Bédat a enquêté sur ses adversaires pour son livre François seul contre tous. Enquête sur un pape en danger (Flammarion, 2017). «Son discours plaît, tout autant que sa manière de dépoussiérer l’Eglise, indiquait l’auteur à cath.ch. Evidemment, d’aucuns considèrent cette attitude comme sacrilège. Pour eux, le pape c’est Satan. Ils souhaitent le voir partir assez vite ou essayent de lui tendre des chausse-trapes». Et François «doit se battre en permanence».
«Je ne suis pas courageux devant la douleur»
Questionné sur le risque d’attentat, le saint-père raconte, non sans humour, avoir déjà songé à une telle éventualité: «Seigneur je ne te demande qu’une seule grâce: que ça ne me fasse pas souffrir! Parce que je ne suis pas courageux devant la douleur». Un réalisme souriant et sans découragement: il assume les risques de ses initiatives et croit en la pertinence de sa parole. (cath.ch/bl)