Mgr Samir Nassar à Grandchamp: la guerre en Syrie a décimé nos communautés
La guerre en Syrie, qui dure depuis 2011, a décimé nos communautés. Il y aura certes toujours des chrétiens en Syrie, mais notre petit troupeau est en train de disparaître… Mgr Samir Nassar, archevêque maronite de Damas, a décrit la situation précaire des chrétiens syriens, le 20 juin 2018, lors d’une rencontre œcuménique à la Communauté des sœurs de Grandchamp, à Areuse, près de Neuchâtel.
L’archevêque maronite de Damas était l’invité de l’Eglise catholique romaine de Neuchâtel, qui fête cette année, sous la devise «Bâtir des ponts», les 75 ans de sa reconnaissance par l’Etat de Neuchâtel. Dans ce canton, les Eglises réformée évangélique, catholique romaine et catholique chrétienne sont en effet reconnues comme des institutions d’intérêt public par la Constitution.
La construction ecclésiale s’effondre doucement
Dans la Chapelle de l’Arche, grande bâtisse en bois qui abritait jadis une industrie d’indiennes (tissus imprimés), la foule s’était rassemblée pour participer à l’Office des vêpres de rite maronite et entendre ensuite le témoignage de l’archevêque maronite de Damas. Qui lâche d’emblée: «en Syrie, la construction ecclésiale s’effondre doucement… Les chrétiens ont diminué au moins de moitié. A Alep, sur 160’00 chrétiens avant la guerre, il en reste peut-être 30’000…»
Hôte des sœurs de Grandchamp, Don Pietro Guerini, vicaire épiscopal pour le canton de Neuchâtel, a salué les représentants des diverses Eglises présentes, notamment Maroun Tarabay, prêtre maronite, Christian Miaz, pasteur protestant, Nassouh Toutoungi, prêtre catholique chrétien, Marius Manea, prêtre orthodoxe, Naseem Asmaroo, prêtre chaldéen catholique, et le prêtre de la paroisse de l’Eglise apostolique arménienne Neuchâtel-Jura.
«Sommes-nous en train de tourner la page de la présence chrétienne au Moyen-Orient»
«Sommes-nous en train de tourner la page de la présence chrétienne au Moyen-Orient», s’est demandé Don Pietro en préambule, en soulignant que la soirée avait pour but, dans le sens du Jubilé de l’Eglise catholique dans le canton, de «bâtir des ponts» avec les chrétiens persécutés pour leur foi dans cette région du monde.
«Commençons nous-mêmes par grandir en humanité!»
Au cours de la table ronde sur le thème «Mort et vie des chrétiens d’Orient», Mgr Samir Nassar a échangé avec Roberto Simona, spécialiste de l’islam et des minorités chrétiennes de l’organisation «Aide à l’Eglise en détresse Suisse». Ce dernier a plaidé pour l’union des chrétiens des différentes confessions, qui ne forment, au Moyen-Orient, plus qu’un «petit troupeau». Et de lancer: «Pour changer le monde, commençons nous-mêmes par grandir en humanité!»
La discussion, modérée par Julia Moreno, de l’Eglise catholique romaine neuchâteloise, a permis à Mgr Samir Nassar, natif du village libanais de Nabay, dans le Metn, élu archevêque de Damas en 2006 par le Synode maronite, de dresser un portrait peu optimiste de l’avenir des chrétiens au Moyen-Orient.
«En Syrie, nous avons certes la liberté de culte»
«En Syrie, nous avons certes la liberté de culte, qui est garantie. Avant la guerre, notre vie ecclésiale était tranquille, rythmée par les liturgies, la célébration des fêtes, les processions dans les rues de Damas où saint Paul a vécu. Avec la guerre en Irak, nous avons accueilli un flux de chrétiens chaldéens, qui remplissaient nos églises et nos écoles. Ces réfugiés ont réveillé et encouragé la foi de nos chrétiens syriens, qui sont plutôt discrets et souffrent en silence. Beaucoup ignorent leur foi ou sont indifférents… Avec la guerre en Syrie, qui a débuté en 2011, beaucoup d’Irakiens sont partis, et nous ne pouvons plus faire des processions à l’extérieur, en raison du danger».
Une Eglise œcuménique, par la force des choses
Ce qui réjouit toutefois le prélat d’origine libanaise, c’est de constater, à Damas, que l’Eglise est plus œcuménique qu’au Liban: «c’est la situation du terrain qui nous y oblige, mais c’est une chance. Il y a de l’entraide entre les Eglises. Mon diocèse compte 5 prêtres incardinés, ainsi que 8 auxiliaires d’autres Eglises – latins, syriaques catholiques, melkites… On apprend le rite des autres dénominations pour servir les chrétiens dispersés».
Les prêtres du diocèse sont syriens et libanais, et ils sont en majorité mariés. Les prêtres maronites syriens sont formés au Liban. Ils sont arabophones et ne parlent pas le français. C’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle l’archevêque est un Libanais.
Exode massif des jeunes pour échapper au service militaire
A Damas, constate-t-il, depuis 2015, les jeunes sont partis en masse, lorsqu’a été décrétée la mobilisation générale et qu’a été instauré le service militaire jusqu’à 40 ans. «Avec cet exode massif des jeunes, il n’y a presque plus de mariages dans notre communauté. Sur les 20 ou 10’000 maronites du diocèse – nous ne disposons d’aucune statistique fiable – il n’y en a eu 40 en 2016, 10 en 2017, et 7 baptêmes au lieu de 40. De même chez les melkites, on est passé de 400 mariage à 100…»
Mgr Nassar souligne que la vie de l’Eglise est centrée sur le travail paroissial et que les religieuses sont nombreuses à se consacrer à la catéchèse, à la pastorale, au travail social et à l’éducation. Mais la situation semble désespérée: la Syrie est en bonne partie détruite et la moitié de la population est réfugiée ou déplacée à l’intérieur du pays.
L’exode se poursuit partout à un rythme rapide, surtout parmi les jeunes et les hommes, ce qui provoque une pénurie aiguë de main d’œuvre. La crise sociale, l’inflation et le sévère blocus imposé à la Syrie font des Syriens qui restent au pays «un peuple pauvre qui vit de l’assistanat et de la mendicité». Faute de perspectives d’avenir, certains s’engagent dans des milices.
«Il faut être un héros pour rester chrétien dans ces pays!»
Il confie à cath.ch que chaque communauté vit dans son coin. «Avec la population sunnite, il n’y a aucune communication, les gens se méfient les uns des autres. Leurs chefs religieux viennent nous visiter aux grandes fêtes, Noël et Pâques, mais il n’y a pas de vrai dialogue».
«Nous vivons comme petite minorité à l’ombre de l’islam; nous avons la liberté de culte, mais pas la liberté de conscience. Le Liban est le seul pays arabe où un musulman peut devenir chrétien. Les familles musulmanes ont de nombreux enfants, tandis que la démographie des chrétiens est en baisse. Les jeunes chrétiens qui veulent se marier ne trouvent plus de femmes chrétiennes, et s’ils se marient avec une musulmane, ils n’ont pas d’autres choix que de se convertir. Nous perdons ainsi des dizaines de fidèles chaque année en raison de mariages mixtes. Il faut être un héros pour rester chrétien dans ces pays!»